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équivalens, est corruptible. Ses commentateurs & ses paroles mêmes nous apprennent ce qu’il faut entendre par l’intelligence active, en la caractérisant d’intelligence divine, ce qui en indique & l’origine & la fin. Par là cette distinction, extravagante en apparence, de l’esprit humain en intelligence active & passive, paroît simple & exacte. Pour n’avoir point eu la clé de cette ancienne métaphysique, les partisans d’Aristote ont été fort partagés entr’eux, pour décider ce que leur maître croyoit de la mortalité ou de l’immortalité de l’ame. Les expressions d’intelligence passive ont même fait imaginer à quelques-uns, comme à Némesius, qu’Aristote croyoit que l’ame n’étoit qu’une qualité.

Quant aux Stoïcïens, voyons la maniere dont Séneque expose leurs sentimens : « Et pourquoi, dit-il, ne croiroit-on pas qu’il y a quelque chose de divin dans celui qui est une partie de la divinité même ? Ce tout dans lequel nous sommes contenus est un, & cet un est Dieu. Nous sommes ses associés, nous sommes ses membres ». Epictete dit que les ames des hommes ont la relation la plus étroite avec Dieu ; qu’elles en sont des parties ; qu’elles sont des fragmens séparés & arrachés de sa substance. Enfin Marc Antonin combat par ces réflexions la crainte de la mort. « La mort, dit-il, est non-seulement conforme au cours de la nature, mais elle est encore extrèmement utile. Que l’on examine combien un homme est étroitement uni à la divinité ; dans quelle partie de nous-mêmes cette union réside, & quelle sera la condition de cette partie ou portion de l’humanité au moment de sa réfusion dans l’ame du monde. »

Les sentimens des quatre grandes sectes de Philosophes sont, comme on le voit, à peu près uniformes sur ce point. Ceux qui croyoient, comme Plutarque, qu’il y avoit deux principes, l’un bon & l’autre mauvais, croyoient que l’ame étoit tirée, partie de la substance de l’un, & partie de la substance de l’autre ; & ce n’étoit qu’en cette circonstance seule qu’ils différoient des autres Philosophes.

Peu de tems après la naissance du Christianisme, les Philosophes étant puissamment attaqués par les écrivains chrétiens, altérerent leur philosophie & leur religion, en rendant leur philosophie plus religieuse, & leur religion plus philosophique. Parmi les rafinemens du paganisme, l’opinion qui faisoit de l’ame une partie de la substance divine, fut adoucie. Les Platoniciens la bornerent à l’ame des brutes. Toute puissance irrationnelle, dit Porphire, retourne par réfusion dans l’ame du tout. Et l’on doit remarquer que ce n’est seulement qu’alors que les Philosophes commencerent à croire réellement & sincerement le dogme des peines & des récompenses d’une autre vie. Mais les plus sages d’entre-eux n’eurent pas plûtôt abandonné l’opinion de l’ame universelle, que les Gnostiques, les Manichéens & les Priscilliens s’en emparerent : ils la transmirent aux Arabes, de qui les athées de ces derniers siecles, & notamment Spinosa, l’ont empruntée.

On demandera peut-être d’où les Grecs ont tiré cette opinion si étrange de l’ame universelle du monde ; opinion aussi détestable que l’athéisme même, & que M. Bayle trouve avec raison plus absurde que le système des atomes de Démocrite & d’Epicure. On s’est imaginé qu’ils avoient tiré cette opinion d’Egypte. La nature seule de cette opinion fait suffisamment voir qu’elle n’est point Egyptienne : elle est trop rafinée, trop subtile, trop métaphysique, trop systématique : l’ancienne philosophie des Barbares (sous ce nom les Grecs entendoient les Egyptiens comme les autres nations) consistoit seulement en maximes détachées, transmises des maîtres aux disciples par la tradition, où rien ne ressentoit la spéculation,

& où l’on ne trouvoit ni les rafinemens ni les subtilités qui naissent des systèmes & des hypotheses. Ce caractere simple ne régnoit nulle part plus qu’en Egypte. Leurs Sages n’étoient point des sophistes scholastiques & sédentaires, comme ceux des Grecs ; ils s’occupoient entierement des affaires publiques de la religion & du gouvernement ; & en conséquence de ce caractere, ils ne poussoient les Sciences que jusqu’où elles étoient nécessaires pour les usages de la vie. Cette sagesse si vantée des Egyptiens, dont il est parlé dans les saintes Ecritures, consistoit essentiellement dans les arts du gouvernement, dans les talens de la législature, & dans la police de la société civile.

Le caractere des premiers Grecs, disciples des Egyptiens, confirme cette vérité ; savoir, que les Egyptiens ne philosophoient ni sur des hypotheses, ni d’une maniere systématique. Les premiers Sages de la Grece, conformément à l’usage des Egyptiens leurs maîtres, produisoient leur philosophie par maximes détachées & indépendantes, telle certainement qu’ils l’avoient trouvée, & qu’on la leur avoit enseignée. Dans ces anciens tems le Philosophe & le Théologien, le Législateur & le Poëte, étoient tous réunis dans la même personne : il n’y avoit ni diversité de sectes, ni succession d’écoles : toutes ces choses sont des inventions Greques, qui doivent leur naissance aux spéculations de ce peuple subtil & grand raisonneur.

Quoique l’opposition du génie de la Philosophie Egyptienne avec le dogme de l’ame universelle, soit seule suffisante pour prouver que ce dogme n’étant point Egyptien ne peut être que Grec, nous en confirmerons la vérité en prouvant que les Grecs en furent les premiers inventeurs. Le plus beau principe de la Physique des Grecs eut deux auteurs, Démocrite & Séneque : le principe le plus vicieux de leur Métaphysique eut de même deux auteurs, Phérécide le Syrien, & Thalès le Milésien, Philosophes contemporains.

Phérécide le Syrien, dit Cicéron, fut le premier qui soûtint que les ames des hommes étoient sempiternelles ; opinion que Pythagore son disciple accrédita beaucoup.

Quelques personnes, dit Diogene Laërce, prétendent que Thalès fut le premier qui soûtint que les ames des hommes étoient sempiternelles. Thalès, dit encore Plutarque, fut le premier qui enseigna que l’ame est une nature éternellement mouvante, ou se mouvant par elle-même.

On entend communément par le passage ci-dessus de Cicéron, & par celui de Diogene Laërce, que les Philosophes, dont il y est fait mention, sont les premiers qui aient enseigné l’immortalité de l’ame. Mais comment accorder ce sentiment avec ce que dit Cicéron, ce que dit Plutarque, ce qu’ont dit tous les Anciens, que l’immortalité de l’ame étoit une chose que l’on avoit crue de tout tems ? Homere l’enseigne, Hérodote rapporte que les Egyptiens l’avoient enseignée depuis les tems les plus reculés : c’est sur cette opinion qu’étoit fondée la pratique si ancienne de déifier les morts. Il en faut conclurre, qu’il n’est pas question dans ces passages de la simple immortalité, considérée comme une existence qui n’aura point de fin, mais qu’il faut entendre une existence sans commencement, aussi-bien que sans fin : c’est ce que signifie le mot de sempiternelle dont se sert Cicéron. Or l’éternité de l’ame étoit, comme nous l’avons déjà fait voir, une conséquence qui ne pouvoit naître que du principe qui faisoit l’ame de l’homme une partie de Dieu, & qui par conséquent faisoit Dieu l’ame universelle du monde. Enfin l’antiquité nous apprend que ces deux Philosophes pensoient qu’il y avoit une