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d’entre eux, si nous n’avions des raisons particulieres de peser le mérite de celui-ci.

L’Encyclopédie de Chambers dont on a publié à Londres un si grand nombre d’Éditions rapides ; cette Encyclopédie qu’on vient de traduire tout récemment en Italien, & qui de notre aveu mérite en Angleterre & chez l’étranger les honneurs qu’on lui rend, n’eût peut-être jamais été faite, si avant qu’elle parût en Anglois, nous n’avions eu dans notre Langue des Ouvrages où Chambers a puisé sans mesure & sans choix la plus grande partie des choses dont il a composé son Dictionnaire. Qu’en auroient donc pensé nos François sur une traduction pure & simple ? Il eût excité l’indignation des Savans & le cri du Public, à qui on n’eût présenté sous un titre fastueux & nouveau, que des richesses qu’il possédoit depuis long-tems.

Nous ne refusons point à cet Auteur la justice qui lui est dûe. Il a bien senti le mérite de l’ordre encyclopédique, ou de la chaîne par laquelle on peut descendre sans interruption des premiers principes d’une Science ou d’un Art jusqu’à ses conséquences les plus éloignées, & remonter de ses conséquences les plus éloignées jusqu’à ses premiers principes ; passer imperceptiblement de cette Science ou de cet Art à un autre, & s’il est permis de s’exprimer ainsi, faire sans s’égarer le tour du monde littéraire. Nous convenons avec lui que le plan & le dessein de son Dictionnaire sont excellens, & que si l’exécution en étoit portée à un certain degré de perfection, il contribueroit plus lui seul aux progrès de la vraie Science que la moitié des Livres connus. Mais, malgré toutes les obligations que nous avons à cet Auteur, & l’utilité considérable que nous avons retirée de son travail, nous n’avons pû nous empêcher de voir qu’il restoit beaucoup à y ajoûter. En effet, conçoit-on que tout ce qui concerne les Sciences & les Arts puisse être renfermé en deux Volumes in-folio ? La nomenclature d’une matiere aussi étendue en fourniroit un elle seule, si elle étoit complette. Combien donc ne doit-il pas y avoir dans son Ouvrage d’articles omis ou tronqués ?

Ce ne sont point ici des conjectures. La Traduction entiere du Chambers nous a passé sous les yeux, & nous avons trouvé une multitude prodigieuse de choses à desirer dans les Sciences ; dans les Arts libéraux, un mot où il falloit des pages ; & tout à suppléer dans les Arts méchaniques. Chambers a lû des Livres, mais il n’a guere vû d’artistes ; cependant il y a beaucoup de choses qu’on n’apprend que dans les atteliers. D’ailleurs il n’en est pas ici des omissions comme dans un autre Ouvrage. Un article omis dans un Dictionnaire commun le rend seulement imparfait. Dans une Encyclopédie, il rompt l’enchaînement, & nuit à la forme & au fond ; & il a fallu tout l’art d’Ephraim Chambers pour pallier ce défaut.

Mais, sans nous étendre davantage sur l’Encyclopédie Angloise, nous annonçons que l’Ouvrage de Chambers n’est point la base unique sur laquelle nous avons élevé ; que l’on a refait un grand nombre de ses articles ; que l’on n’a employé presqu’aucun des autres sans addition, correction, ou retranchement, & qu’il rentre simplement dans la classe des Auteurs que nous avons particulierement consultés. Les éloges qui furent donnés il y a six ans au simple projet de la Traduction de l’Encyclopédie Angloise, auroient été pour nous un motif suffisant d’avoir recours à cette Encyclopédie, autant que le bien de notre Ouvrage n’en souffriroit pas.

La Partie Mathématique est celle qui nous a parû mériter le plus d’être conservée : mais on jugera par les changemens considérables qui y ont été faits, du besoin que cette Partie & les autres avoient d’une exacte révision.

Le premier objet sur lequel nous nous sommes écartés de l’Auteur Anglois, c’est l’Arbre généalogique qu’il a dressé des Sciences & des Arts, & auquel nous avons crû devoir en substituer un autre. Cette partie de notre travail a été suffisamment développée plus haut. Elle présente à nos lecteurs le canevas d’un Ouvrage qui ne se peut exécuter qu’en plusieurs Volumes in-folio, & qui doit contenir un jour toutes les connoissances des hommes.

À l’aspect d’une matiere aussi étendue, il n’est personne qui ne fasse avec nous la réflexion suivante. L’expérience journaliere n’apprend que trop combien il est difficile à un Auteur de traiter profondément de la Science ou de l’Art dont il a fait toute sa vie une étude particuliere. Quel homme peut donc être assez hardi & assez borné pour entreprendre de traiter seul de toutes les Sciences & de tous les Arts ?

Nous avons inféré de-là que pour soûtenir un poids aussi grand que celui que nous avions à porter, il étoit nécessaire de le partager ; & sur le champ nous avons jetté les yeux sur un nombre suffisant de Savans & d’Artistes ; d’Artistes habiles & connus par leurs talens ; de Savans exercés dans les genres particuliers qu’on avoit à confier à leur travail. Nous avons distribué à chacun la partie qui lui convenoit ; quelques-uns même étoient en possession de la leur, avant que nous nous chargeassions de cet Ouvrage. Le Public verra bientôt leurs noms, & nous ne craignons point qu’il nous les reproche. Ainsi, chacun n’ayant été occupé que de ce qu’il entendoit, a été en état de juger sainement de ce qu’en ont écrit les Anciens & les Modernes, & d’ajoûter aux secours qu’il en a tirés, des connoissances puisées