Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Drake, Keil & Douglas, qui a fait voir que quoique le conduit de la glande parotide fût coupé, on pouvoit, quand l’extrémité coupée étoit encore assez proche, la ramener dans la bouche & guérir la plaie.

En 1709, Lifter ; Hovius, qui a écrit sur les humeurs des yeux, en 1710 ; Goelicke, en 1713 ; Lancisi, qui s’est particulierement illustré par la publication des tables d’Eustachi, en 1714 ; en 1719, Heister, Chirurgien & Medecin si célebre ; en 1721, Ruisch, qui poussa l’art des injections si loin, art dont la perfection a confirmé tant de découvertes anciennes, & occasionné celle de tant de vérités inconnues ; en 1724, Santorini ; en 1726, Bernard Siegfried Albinus, qui a une connoissance si étendue de tout le corps anatomique, & qui s’est fait une si grande réputation par ses tables & par l’edition qu’il a donnée de celles d’Eustachi ; en 1727, Haller, savant en Anatomie & en Physiologie ; le célebre Monro, en 1730 ; Nichols, en 1733 ; Cassebohm, qui a bien connu l’oreille, en 1734 ; enfin Boerhaave, l’Esculape de notre siecle, celui de tous les Medecins qui a le mieux appliqué l’Anatomie & la Physiologie à la théorie & à la pratique ; & tant d’autres parmi les anciens & les modernes, tels que Casserius, Bourdon, Palfin, Lieutaud, Cant, &c. à qui leurs ouvrages feront plus d’honneur que mes éloges, & qui par cette raison ne devroient point être offensés de mon oubli.

Mais je serois impardonnable, & l’on pourroit m’accuser de manquer à ce que je dois à nos Académies, si je ne faisois mention de notre Winslow, qui vit encore, & dont le traité passe pour le meilleur qu’on ait sur les parties solides ; notre Morand, si connu par ses lumieres & ses opérations ; notre Bertin, qui a si bien expliqué les reins ; notre Senac à qui le traité sur le cœur, qu’il nous a donné récemment, assûrera dans les siecles à venir la réputation de grand Physicien & de grand Anatomiste ; notre Ferrein, un des hommes qui entend le mieux l’œconomie animale, & dont les découvertes sur la formation de la voix & des sons, n’en sont devenues que plus certaines pour avoir été contestées ; & les Auteurs de l’Histoire naturelle, dont le second volume est plein de vûes & de découvertes sur l’Anatomie & la Physiologie.

Voilà les hommes utiles auxquels nous sommes redevables des progrès étonnans de l’Anatomie. Si nous n’ignorons plus quelles sont les voies etroites qu’ont à suivre les liqueurs qui se séparent de nos alimens ; si nous sommes en état d’établir des regles sur la diete ; si nous pouvons rendre raison du retour difficile de la lymphe ; si nous savons comment par des obstructions causées dans les vaisseaux qui les portent, ces vaisseaux sont distendus ou relâchés, & comment il s’ensuit une hydropisie plus ou moins considérable, suivant que ces vaisseaux sont plus ou moins gros ; si nous nous sommes assûrés des propriétés de l’humeur pancréatique, & si nous avons vû disparoître le triumvirat & toutes les visions de Vanhelmont, de Sylvius de le Boë sur la fermentation nécessaire à la digestion ; si nous avons vû cesser les suites fâcheuses des blessures du conduit de la parotide ; si nos humeurs sont débarrassées de ces millions d’animalcules dont elles fourmilloient ; si le réservoir de la semence de la femme nous est enfin connu ; si l’homogénéité de cette semence, de celle de l’homme, & d’une infinité d’extraits de substances animales & végétales, est constatée ; si tant d’imaginations bisarres sur la génération viennent enfin de disparoître, &c. c’est aux découvertes des Anatomistes dont nous venons de parler, que nous en avons l’obligation.

Ces découvertes sont donc de la derniere importance. La moindre en apparence peut avoir des suites surprenantes. C’est ce pressentiment qui occa-

sionna

sans doute entre les Anatomistes des contestations si vives sur la ramification d’une veine ou d’une artere, sur l’origine ou l’insertion d’un muscle, & sur d’autres objets dont la recherche ne paroît pas fort essentielle au premier coup d’œil.

Une conséquence de ce qui précede, c’est qu’il n’y a rien à négliger en Anatomie, & que plus l’art des dissections s’est perfectionné, plus l’art de guérir est devenu lumineux. Par quel penchant au paradoxe semble-t-on cependant mettre en question si les connoissances d’Anatomie subtile & recherchée ne sont pas superflues ? est-ce sincerement qu’on ferme les yeux sur les avantages de la connoissance de la distribution des plus petits canaux des arteres & des veines, & de la communication de ces vaisseaux les uns avec les autres ? n’est-ce pas l’injection qu’on y fait qui a completé la démonstration de la circulation du sang ? Un homme sans étendue d’esprit & sans vûes lit un recüeil d’observations microscopiques ; & du haut de son tribunal, il traite l’auteur d’homme inutile, & l’ouvrage de bagatelle. Mais que dira ce juge de nos productions, quand il verra ces observations qu’il a tant méprisées, devenir le fondement d’un édifice immense ? Il changera de ton ; il fera l’éloge du second ouvrage, & il ne s’appercevra seulement pas qu’il est en contradiction, & qu’il éleve aujourd’hui ce qu’il déprimoit hier.

Les palettes & la spirale sont les parties les plus déliées d’une montre, mais n’en sont pas les moins importantes. Assûrons-nous des découvertes : mais gardons-nous de rien prononcer sur leurs suites, si nous ne voulons pas nous exposer à faire un mauvais rôle. Sans la connoissance de l’Anatomie déliée, combien de cures qu’on n’eût osé tenter ! Valsalva raconte qu’une dame se luxa une des cornes de l’os hyoide, & que la suite de cet accident fut de l’empêcher d’avaler. Le grand Anatomiste soupçonna tout d’un coup cette luxation & la réduisit. Il y a donc des occasions où la connoissance des parties les plus petites devient nécessaire. Mais de quelle importance ne seroit-il pas de découvrir, si l’air porté dans le poumon suit cette voie pour se mêler au sang ; si la substance corticale du cerveau, n’est que la continuation des vaisseaux qui se distribuent à ce viscere ; si ces vaisseaux portent immédiatement le suc nerveux dans les fibres médullaires ; quelle est la structure & l’usage de la rate ; celle des reins succeinturiaux ; celle du thymus ! &c.

Contestera-t-on à Boerhaave que si nous étions mieux instruits sur les parties solides, & si la nature des humeurs nous étoit bien développée, les lois des Méchaniques nous démontreroient que ces effets inconnus de l’œconomie animale qui attirent toute notre admiration, peuvent se déduire des principes les plus simples ? Quoi donc, n’est-il pas constant que dans la nature où Dieu ne fait rien en vain, la moindre configuration a sa raison ; que tout tient par des dépendances réciproques, & que nous n’avons rien de mieux à faire que de pousser aussi loin que nous le pourrons, l’étude de la chaîne imperceptible qui unit les parties de la machine animale & qui en forme un tout ; en un mot, que plus nous aurons d’observations, plus nous serons voisins du but que l’Anatomie, la Physiologie, la Medecine & la Chirurgie doivent se proposer conjointement.

Mais puisque l’étude de l’Anatomie, même la plus déliée, a des usages si étendus ; puisqu’elle offre un si grand nombre de découvertes importantes à tenter, comment se fait-il qu’elle soit négligée, & qu’elle languisse, pour ainsi dire ? Je le demande aux maîtres dans l’art de guérir, & je serois bien satisfait d’entendre là-dessus leurs réponses.

Nous avons défini l’Anatomie, nous en avons démontré l’utilité dans toutes les conditions ; nous