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gétaux se servent pour pomper la nourriture : on verra que les racines se détournent d’un obstacle ou d’une veine de mauvais terrein pour aller chercher la bonne terre ; que mêmes ces racines se divisent, se multiplient, & vont jusqu’à changer de forme pour procurer de la nourriture à la plante. La différence entre les animaux & les végétaux, ne peut donc pas s’établir sur la maniere dont ils se nourrissent. Cela peut être, d’autant plus que cet air de spontanéité qui nous frappe dans les animaux qui se meuvent, soit quand ils cherchent leur proie ou dans d’autres occasions, & que nous ne voyons point dans les végétaux, est peut-être un préjugé, une illusion de nos sens trompés par la variété des mouvemens animaux ; mouvemens qui seroient cent fois encore plus variés qu’ils n’en seroient pas pour cela plus libres. Mais pourquoi, me demandera-t-on, ces mouvemens sont-ils si variés dans les animaux, & si uniformes dans les végétaux ? c’est, ce me semble, parce que les végétaux ne sont mûs que par la résistance ou le choc ; au lieu que les animaux ayant des yeux, des oreilles, & tous les organes de la sensation comme nous, & ces organes pouvant être affectés ensemble ou séparément, toute cette combinaison de résistance ou de choc, quand il n’y auroit que cela, & que l’animal seroit purement passif, doit l’agiter d’une infinité de diverses manieres ; ensorte que nous ne pouvons plus remarquer d’uniformité dans son action. De-là il arrive que nous disons que la pierre tombe nécessairement, & que le chien appellé vient librement ; que nous ne nous plaignons point d’une tuile qui nous casse un bras, & que nous nous emportons contre un chien qui nous mord la jambe, quoique toute la différence qu’il y ait peut-être entre la tuile & le chien, c’est que toutes les tuiles tombent de même, & qu’un chien ne se meut pas deux fois dans sa vie précisément de la même maniere. Nous n’avons d’autre idée de la nécessité, que celle qui nous vient de la permanence & de l’uniformité de l’évenement.

Cet examen nous conduit à reconnoître évidemment qu’il n’y a aucune différence absolument essentielle & générale entre les animaux & les végétaux : mais que la nature descend par degrés & par nuances imperceptibles, d’un animal qui nous paroît le plus parfait, à celui qui l’est le moins, & de celui-ci au végétal. Le polype d’eau douce sera, si l’on veut, le dernier des animaux, & la premiere des plantes.

Après avoir examiné les différences, si nous cherchons les ressemblances des animaux & des végétaux, nous en trouverons d’abord une qui est très générale & très-essentielle ; c’est la faculté commune à tous deux de se reproduire, faculté qui suppose plus d’analogie & de choses semblables, que nous ne pouvons l’imaginer, & qui doit nous faire croire que, pour la nature, les animaux & les végétaux sont des êtres à peu près de même ordre.

Une seconde ressemblance peut se tirer du développement de leurs parties, propriété qui leur est commune ; car les végétaux ont aussi-bien que les animaux, la faculté de croître ; & si la maniere dont ils se développent est différente, elle ne l’est pas totalement ni essentiellement, puisqu’il y a dans les animaux des parties très-considérables, comme les os, les cheveux, les ongles, les cornes, &c. dont le développement est une vraie végétation, & que dans les premiers tems de la formation le fœtus végete plûtôt qu’il ne vit.

Une troisieme ressemblance, c’est qu’il y a des animaux qui se reproduisent comme les plantes, & par les mêmes moyens ; la multiplication des pucerons, qui se fait sans accouplement, est semblable à celle des plantes par les graines ; & celle des polypes, qui se fait en les coupant, ressemble à la multiplication des arbres par boutures.

On peut donc assûrer, avec plus de fondement

encore, que les animaux & les végétaux sont des êtres du même ordre, & que la nature semble avoir passé des uns aux autres par des nuances insensibles, puisqu’ils ont entre eux des ressemblances essentielles & générales, & qu’ils n’ont aucune différence qu’on puisse regarder comme telle.

Si nous comparons maintenant les animaux aux végétaux par d’autres faces, par exemple, par le nombre, par le lieu, par la grandeur, par la forme, &c. nous en tirerons de nouvelles inductions.

Le nombre des especes d’animaux est beaucoup plus grand que celui des especes de plantes ; car dans le seul genre des insectes, il y a peut-être un plus grand nombre d’especes, dont la plûpart échappent à nos yeux, qu’il n’y a d’especes de plantes visibles sur la surface de la terre. Les animaux même se ressemblent en général beaucoup moins que les plantes, & c’est cette ressemblance entre les plantes qui fait la difficulté de les reconnoître & de les ranger ; c’est-là ce qui a donné naissance aux méthodes de Botanique, auxquelles on a par cette raison beaucoup plus travaillé qu’à celles de la Zoologie, parce que les animaux ayant en effet entre eux des différences bien plus sensibles que n’en ont les plantes entre elles, ils sont plus aisés à reconnoître & à distinguer, plus faciles à nommer & à décrire.

D’ailleurs il y a encore un avantage pour reconnoître les especes d’animaux, & pour les distinguer les unes des autres ; c’est qu’on doit regarder comme la même espece celle qui, au moyen de la copulation, se perpétue & conserve la similitude de cette espece, & comme des especes différentes celles qui, par les mêmes moyens, ne peuvent rien produire ensemble ; desorte qu’un renard sera une espece différente d’un chien, si en effet, par la copulation d’un mâle & d’une femelle de ces deux especes, il ne résulte rien ; & quand même il résulteroit un animal mi-parti, une espece de mulet, comme ce mulet ne produiroit rien, cela suffiroit pour établir que le renard & le chien ne seroient pas de la même espece, puisque nous avons supposé que pour constituer une espece, il falloit une production continue, perpétuelle, invariable, semblable en un mot à celle des autres animaux. Dans les plantes, on n’a pas le même avantage ; car quoiqu’on ait prétendu y reconnoître des sexes, & qu’on ait établi des divisions de genres par les parties de la fécondation, comme cela n’est ni aussi certain, ni aussi apparent que dans les animaux, & que d’ailleurs la production des plantes se fait de plusieurs autres façons où les sexes n’ont aucune part, & où les parties de la fécondation ne sont pas nécessaires ; on n’a pû employer avec succès cette idée, & ce n’est que sur une analogie mal-entendue, qu’on a prétendu que cette méthode sexuelle devoit nous faire distinguer toutes les especes différentes de plantes.

Le nombre des especes d’animaux est donc plus grand que celui des especes de plantes : mais il n’en est pas de même du nombre d’individus dans chaque espece : comme dans les plantes le nombre d’individus est beaucoup plus grand dans le petit que dans le grand, l’espece des mouches est peut-être cent millions de fois plus nombreuse que celle de l’élephant ; de même, il y a en général beaucoup plus d’herbes que d’arbres, plus de chiendent que de chênes. Mais si l’on compare la quantité d’individus des animaux & des plantes, espece à espece, on verra que chaque espece de plante est plus abondante que chaque espece d’animal. Par exemple, les quadrupedes ne produisent qu’un petit nombre de petits, & dans des intervalles assez considérables. Les arbres au contraire produisent tous les ans une grande quantité d’arbres de leur espece.

M. de Buffon s’objecte lui-même que sa compa-