âge, & au milieu des plus justes espérances de s’assujettir le monde entier.
Cependant Xénocrate qui avoit succédé à Speusippe, enseignoit dans l’académie la doctrine de Platon. Aristote qui avoit été son disciple pendant qu’il vivoit, en devint le rival après sa mort. Cet esprit d’émulation le porta à prendre une route différente vers la renommée, en s’emparant d’un district que personne encore n’avoit occupé. Quoiqu’il n’ait point prétendu au caractere de législateur, il écrivit cependant des livres de lois & de politique, par pure opposition à son maître. Il observa à la vérité l’ancienne méthode de la double doctrine, qui étoit si fort en vogue dans l’académie, mais avec moins de réserve & de discrétion que ceux qui l’avoient précédé. Les Pythagoriciens & les Platoniciens faisoient de cette méthode même, un secret de leurs écoles : mais il semble qu’Aristote ait eu envie de la faire connoître à tout le monde, en indiquant publiquement la distinction que l’on doit faire de ces deux genres de doctrines. Aussi s’explique-t-il sans détour & de la maniere la plus dogmatique contre les peines & les récompenses d’une autre vie. La mort, dit-il, dans son traité de la Morale, est de toutes les choses la plus terrible ; c’est la fin de notre existence ; & après elle l’homme n’a ni bien à espérer, ni mal à craindre.
Dans sa vieillesse, Aristote fut attaqué par un prêtre de Cerès qui l’accusa d’impiété & le traduisit devant les juges. Comme cette accusation pouvoit avoir des suites fâcheuses, le philosophe jugea à propos de se retirer secrettement à Chalcis. Envain ses amis voulurent-ils l’arrêter : Empêchons, leur criat-il en partant, empêchons qu’on ne fasse une seconde injure à la Philosophie. La premiere sans doute étoit le supplice de Socrate, qui pourroit être regardé comme un martyr de l’unité de Dieu dans la loi de nature, s’il n’avoit pas eu la foiblesse, pour complaire à ses concitoyens, d’ordonner en mourant qu’on sacrifiât un coq à Esculape. On raconte diversement la mort d’Aristote : les uns disent que desesperé de ne pouvoir deviner la cause du flux & reflux qui se fait sentir dans l’Euripe, il s’y précipita à la fin en disant ces mots : puisqu’Aristote n’a jamais pû comprendre l’Euripe, que l’Euripe le comprenne donc lui-même. D’autres rapportent qu’après avoir quelque tems soûtenu son infortune, & lutté pour ainsi dire contre la calomnie, il s’empoisonna pour finir comme Socrate avoit fini. D’autres enfin veulent qu’il soit mort de sa mort naturelle, exténué par les trop grandes veilles, & consumé par un travail trop opiniâtre : tel est le sentiment d’Apollodore, de Denys d’Halicarnasse, de Censorin, de Laërce : ce dernier, pour prouver son infatigable activité dans le travail, rapporte que lorsqu’il se mettoit en devoir de reposer, il tenoit dans la main une sphere d’airain appuyée sur les bords d’un bassin, afin que le bruit qu’elle feroit en tombant dans le bassin pût le réveiller. Il rendit l’ame en invoquant la cause universelle, l’Être suprème à qui il alloit se rejoindre. Les Stagiriens devoient trop à Aristote, pour ne pas rendre à sa mémoire de grands honneurs. Ils transporterent son corps à Stagire, & sur son tombeau ils éleverent un autel & une espece de temple, qu’ils appellerent de son nom, afin qu’il fut un monument éternel de la liberté & des autres priviléges qu’Aristote leur avoit obtenus, soit de Philippe, soit d’Alexandre. Si l’on en croit Origene, Lib. I. contra Cels. Aristote avoit donné lieu aux reproches d’impiété qui lui firent abandonner Athenes pour s’exiler à Chalcis. Dans les conversations particulieres il ne se ménageoit pas assez : il osoit soûtenir que les offrandes & les sacrifices sont tout-à-fait inutiles ; que les dieux font peu d’attention à la pompe extérieure qui brille dans leurs temples. C’étoit une suite de l’opinion où
il étoit, que la providence ne s’étend point jusqu’aux choses sublunaires. Le principe sur lequel il s’appuyoit pour soûtenir un système si favorable à l’impiété, revient à ceci : Dieu ne voit & ne connoît que ce qu’il a toûjours vû & connu : les choses contingentes ne sont donc pas de son ressort : la terre est le pays des changemens, de la génération, & de la corruption ; Dieu n’y a donc aucun pouvoir : il se borne au pays de l’immortalité, à ce qui est de sa nature incoruptible. Aristote, pour assûrer la liberté de l’homme, croyoit ne pouvoir mieux faire que de nier la providence : en falloit-il davantage pour armer contre lui les prêtres intéressés du Paganisme ? Ils pardonnoient rarement, & sur-tout à ceux qui vouloient diminuer de leurs droits & de leurs prérogatives.
Quoique la vie d’Aristote ait toûjours été fort tumultueuse, soit au Lycée, soit à la cour de Philippe, le nombre de ses ouvrages est cependant prodigieux : on en peut voir les titres dans Diogene Laërce, & plus correctement encore dans Jérome Gémusaeus, medecin & professeur en philosophie à Bâle, qui a composé un écrit intitulé, de vita Aristotelis, & ejus operum censura ; encore ne sommes-nous pas sûrs de les avoir tous : il est même probable que nous en avons perdu plusieurs, puisque Ciceron cite dans ses entretiens des passages qui ne se trouvent point aujourd’hui dans les ouvrages qui nous restent de lui. On auroit tort d’en conclurre, comme quelques-uns l’ont fait, que dans cette foule de livres qui portent le nom d’Aristote, & qui passent communément pour être de lui, il n’y en a peut-être aucun dont la supposition ne paroisse vraissemblable. En effet, il seroit aisé de prouver, si l’on vouloit s’en donner la peine, l’authenticité des ouvrages d’Aristote, par l’autorité des auteurs profanes, en descendant de siecle en siecle depuis Cicéron jusqu’au nôtre ; contentons-nous de celle des auteurs ecclésiastiques. On ne niera pas sans doute que les ouvrages d’Aristote n’existassent du tems de Cicéron, puisque cet auteur parle de plusieurs de ces ouvrages, en nomme dans d’autres livres que ceux qu’il a écrits sur la nature des dieux, quelques-uns qui nous restent encore, ou du-moins que nous prétendons qui nous restent. Le Christianisme a commencé peu de tems après la mort de Cicéron. Suivons donc tous les Peres depuis Origene & Tertullien : consultons les auteurs ecclésiastiques les plus illustres dans tous les siecles, & voyons si les ouvrages d’Aristote leur ont été inconnus. Les écrits de ces deux premiers auteurs ecclésiastiques sont remplis de passages, de citations d’Aristote, soit pour les réfuter, soit pour les opposer à ceux de quelques autres philosophes. Ces passages se trouvent aujourd’hui, excepté quelques-uns, dans les ouvrages d’Aristote. N’est-il pas naturel d’en conclurre que ceux que nous n’y trouvons pas ont été pris dans quelques écrits qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous ? Pourquoi, si les ouvrages d’Aristote étoient supposés, y verroit-on les uns & point les autres ? Y auroit-on mis les premiers, pour empêcher qu’on ne connût la supposition ? Cette même raison y eût dû faire mettre les autres. Il est visible que c’est ce manque & ce défaut de certains passages, qui prouve que les ouvrages d’Aristote sont véritablement de lui. Si parmi le grand nombre de passages d’Aristote qu’ont rapporté les premiers Peres, quelques-uns ont été extraits de quelques ouvrages qui sont perdus, quelle impossibilité y a-t-il que ceux que Cicéron a placés dans ses entretiens sur la nature des dieux, aient été pris dans les mêmes ouvrages ? Il seroit impossible d’avoir la moindre preuve du contraire, puisque Cicéron n’a point cité les livres d’où il les tiroit. Saint Justin a écrit un ouvrage considérable sur la physique d’Aristote : on y retrouve exactement, non-seulement les principales opinions, mais même