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cédé d’un prénom : la peur trouble la raison ; la peur que j’ai de mal faire ; la crainte de vous importuner ; l’envie de bien faire ; l’animal est plus parfait que l’être insensible : joüer du violon, du luth, de la harpe ; on regarde alors le violon, le luth, la harpe, &c. comme tel instrument particulier, & on n’a point d’individu à qualifier adjectivement.

Ainsi on dira dans le sens qualificatif adjectif, un rayon d’espérance, un rayon de gloire, un sentiment d’amour ; au lieu que si l’on personifie la gloire, l’amour, &c. on dira avec un prépositif,

Un héros que la gloire éleve
N’est qu’à demi récompensé ;
Et c’est peu, si l’amour n’acheve
Ce que la gloire a commencé. Quinault.

Et de même on dira j’ai acheté une tabatiere d’or, & j’ai fait faire une tabatiere d’un or ou de l’or qui m’est venu d’Espagne : dans le premier exemple, d’or est qualificatif indéfini, ou plûtôt c’est un qualificatif pris adjectivement ; au lieu que dans le second, de l’or ou d’un or, il s’agit d’un tel or, c’est un qualificatif individuel, c’est un individu de l’espece de l’or.

On dit d’un prince ou d’un ministre qu’il a l’esprit de gouvernement ; de gouvernement est un qualificatif pris adjectivement ; on veut dire, que ce ministre gouverneroit bien, dans quelque pays que ce puisse être où il seroit employé : au lieu que si l’on disoit de ce ministre qu’il a l’esprit du gouvernement, du gouvernement seroit un qualificatif individuel de l’esprit de ce ministre ; on le regarderoit comme propre singulierement à la conduite des affaires du pays particulier où on le met en œuvre.

Il faut donc bien distinguer le qualificatif spécifique adjectif, du qualificatif individuel : une tabatiere d’or, voilà un qualificatif adjectif ; une tabatiere de l’or que, &c. ou d’un or que, c’est un qualificatif individuel ; c’est un individu de l’espece de l’or. Mon esprit est occupé de deux substantifs ; 1. de la tabatiere, 2. de l’or particulier dont elle a été faite.

Observez qu’il y a aussi des individus collectifs, ou plûtot des noms collectifs, dont on parle comme si c’étoit autant d’individus particuliers : c’est ainsi que l’on dit, le peuple, l’armée, la nation, le parlement, &c.

On considere ces mots-là comme noms d’un tout, d’un ensemble, l’esprit les regarde par imitation comme autant de noms d’individus réels qui ont plusieurs parties ; & c’est par cette raison que lorsque quelqu’un de ces mots est le sujet d’une proposition, les Logiciens disent que la proposition est singuliere.

On voit donc que le annonce toûjours un objet considéré individuellement par celui qui parle, soit au singulier, la maison de mon voisin ; soit au pluriel, les maisons d’une telle ville sont baties de brique.

Ce ajoute à l’idée de le, en ce qu’il montre, pour ainsi dire, l’objet à l’imagination, & suppose que cet objet est déjà connu, ou qu’on en a parlé auparavant. C’est ainsi que Cicéron a dit : quid est enim hoc ipsum diu ? (Orat. pro Marcello.) qu’est-ce en effet que ce long-tems ?

Dans le style didactique, ceux qui ecrivent en Latin, lorsqu’ils veulent faire remarquer un mot, entant qu’il est un tel mot, se servent, les uns de l’article Grec τὸ, les autres de ly : τὸ adhuc est adverbium compositum (Perisonius, in sanct. Min. p. 576.) ; ce mot adhuc est un adverbe composé.

Et l’auteur d’une logique, après avoir dit que l’homme seul est raisonnable, homo tantùm rationalis, ajoûte que ly tantùm reliqua entia excludit ; ce mot tantùm exclut tous les autres êtres. (Philos. ration. auct. P. Franc. Caro è som.) Venet. 1665.

Ce fut Pierre Lombard dans le onzieme siecle, &

S. Thomas dans le douzieme, qui introduisirent l’usage de ce ly : leurs disciples les ont imités. Ce ly n’est autre chose que l’article François li, qui étoit en usage dans ces tems-là. Ainsi fut li chatiaus de Galathas pris ; li baron, & li dux de Venise ; li Vénitiens par mer, & li François par terre Ville-Hardouin, l. III. p. 53. On sait que Pierre Lombard & S. Thomas ont fait leurs études, & se sont acquis une grande réputation dans l’université de Paris.

Ville-Hardouin & ses contemporains écrivoient li, & quelquefois lj, d’où on a fait ly, soit pour remplir la lettre, soit pour donner à ce mot un air scientifique, & l’élever au-dessus du langage vulgaire de ces tems-là.

Les Italiens ont conservé cet article au pluriel, & en ont fait aussi un adverbe qui signifie  ; en sorte que ly tantùm, c’est comme si l’on disoit ce mot là tantùm.

Notre ce & notre le ont le même office indicatif que τὸ & que ly, mais ce avec plus d’énergie que le.

5°. Mon, ma, mes ; ton, ta, tes ; son, sa, ses, &c. ne sont que de simples adjectifs tirés des pronoms personnels ; ils marquent que leur substantif a un rapport de propriété avec la premiere, la seconde, ou la troisieme personne : mais de plus comme ils sont eux-mêmes adjectifs prépositifs, & qu’ils indiquent leurs substantifs, ils n’ont pas besoin d’être accompagnés de l’article le ; que si l’on dit le mien, le tien, c’est que ces mots sont alors des pronoms substantifs. On dit proverbialement que le mien & le tien sont peres de la discorde.

6°. Les noms de nombre cardinal un, deux, &c. font aussi l’office de prénoms ou adjectifs prépositifs : dix soldats, cent écus.

Mais si l’adjectif numérique & son substantif font ensemble un tout, une sorte d’individu collectif, & que l’on veuille marquer que l’on considere ce tout sous quelque vûe de l’esprit, autre encore que celle de nombre, alors le nom de nombre est précédé de l’article ou prénom qui indiquent ce nouveau rapport. Le jour de la multiplication des pains, les Apôtres dirent à J. C. Nous n’avons que cinq pains & deux poissons (Luc, ch. ix. v. 13.) ; voilà cinq pains & deux poissons dans un sens numérique absolu : mais ensuite l’évangéliste ajoûte que Jesus-Christ prenant les cinq pains & les deux poissons, les bénit, &c. voilà les cinq pains & les deux poissons dans un sens relatif à ce qui précede ; ce sont les cinq pains & les deux poissons dont on avoit parlé d’abord. Cet exemple doit bien faire sentir que le, la, les ; ce, cet, cette, ces, ne sont que des adjectifs qui marquent le mouvement de l’esprit, qui se tourne vers l’objet particulier de son idée.

Les prépositifs désignent donc des individus déterminés dans l’esprit de celui qui parle : mais lorsque cette premiere détermination n’est pas aisée à appercevoir par celui qui lit ou qui écoute, ce sont les circonstances ou les mots qui suivent, qui ajoûtent ce que l’article ne sauroit faire entendre : par exemple, si je dis je viens de Versailles, j’y ai vû le Roi, les circonstances font connoître que je parle de notre auguste monarque : mais si je voulois faire entendre que j’y ai vû le roi de Pologne, je serois obligé d’ajoûter de Pologne à le roi : & de même si en lisant l’histoire de quelque monarchie ancienne ou étrangere, je voyois qu’en un tel tems le roi fit telle chose, je comprendrois bien que ce seroit le roi du royaume dont il s’agiroit.

Des noms propres. Les noms propres n’étant pas des noms d’especes, nos peres n’ont pas crû avoir besoin de recourir à l’article pour en faire des noms d’individus, puisque par eux-mêmes ils ne sont que cela.

Il en est de même des êtres inanimés auxquels on