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orientale. Plusieurs lettrés les ont commentés, & par conséquent obscurcis ; car on les a divisés en dix conseils pour pouvoir acquérir la perfection de la vertu ; chaque conseil a été subdivisé en cinq go fiakkai, ou instructions particulieres, qui ont rendu la doctrine de Xekia extrèmement subtile.

9°. Tous les hommes, tant séculiers qu’ecclésiastiques, qui se seront rendus indignes du bonheur éternel, par l’iniquité de leur vie, seront envoyés après leur mort dans un lieu horrible appellé dsigokf, où ils souffriront des tourmens qui ne seront pas éternels, mais qui dureront un certain tems indéterminé : ces tourmens répondront à la grandeur des crimes, & seront plus grands à mesure qu’on aura trouvé plus d’occasions de pratiquer la vertu, & qu’on les aura négligées.

10°. Jemma O est le gouverneur & le juge de ces prisons affreuses ; il examinera toutes les actions des hommes, & les punira par des tourmens différens.

11°. Les ames des damnés peuvent recevoir quelque soulagement de la vertu de leurs parens & de leurs amis : & il n’y a rien qui puisse leur être plus utile que les prieres & les sacrifices pour les morts, faits par les prêtres & adressés au grand pere des misericordes, Amida.

12°. L’intercession d’Amida fait que l’inexorable juge des enfers tempere la rigueur de ses arrêts, & rend les supplices des damnés plus supportables, en sauvant pourtant sa justice, & qu’il les renvoye dans le monde le plûtôt qu’il est possible.

13°. Lorsque les ames auront ainsi été purifiées, elles seront renvoyées dans le monde pour animer encore des corps, non pas des corps humains, mais les corps des animaux immondes, dont la nature répondra aux vices qui avoient infecté les damnés pendant leur vie.

14°. Les ames passeront successivement des corps vils dans des corps plus nobles, jusqu’à ce qu’elles méritent d’animer encore un corps humain, dans lequel elles puissent mériter le bonheur éternel par une vie irréprochable. Si au contraire elles commettent encore des crimes, elles subiront les mêmes peines, la même transmigration qu’auparavant.

Voilà la doctrine que Xekia donna aux Indiens, & qu’il écrivit de sa main sur des feuilles d’arbre. Mais sa doctrine exotérique ou intérieure est bien différente. Les auteurs Indiens assurent que Xekia se voyant à son heure derniere, appella ses disciples, & leur découvrit les dogmes qu’il avoit tenu secrets pendant sa vie. Les voici tels qu’on les a tirés des livres de ses successeurs.

1°. Le vuide est le principe & la fin de toutes choses.

2°. C’est de là que tous les hommes ont tiré leur origine, & c’est là qu’ils retourneront après leur mort.

3°. Tout ce qui existe vient de ce principe, & y retourne après la mort : c’est ce principe qui constitue notre ame & tous les élémens ; par conséquent toutes les choses qui vivent, pensent & sentent, quelques différentes qu’elles soient par l’usage ou par la figure, ne different pas en elles-mêmes & ne sont point distinguées de leur principe.

4°. Ce principe est universel, admirable, pur, limpide, subtil, infini ; il ne peut ni naître, ni mourir, ni être dissous.

5°. Ce principe n’a ni vertu, ni entendement, ni puissance, ni autre attribut semblable.

6°. Son essence est de ne rien faire, de ne rien penser, de ne rien desirer.

7°. Celui qui souhaite de mener une vie innocente & heureuse, doit faire tous ses efforts pour se rendre semblable à son principe, c’est-à-dire, qu’il doit domp-

ter, ou plûtôt éteindre toutes ses passions, afin qu’il

ne soit troublé ou inquiété par aucune chose.

8°. Celui qui aura atteint ce point de perfection sera absorbé dans des contemplations sublimes, sans aucun usage de son entendement, & il joüira de ce repos divin qui fait le comble du bonheur.

9°. Quand on est parvenu à la connoissance de cette doctrine sublime, il faut laisser au peuple la doctrine esotérique, ou du moins ne s’y prêter qu’à l’extérieur.

Il est fort vraissemblable que ce système a donné naissance à une secte fameuse parmi les Japonois, laquelle enseigne qu’il n’y a qu’un principe de toutes choses ; que ce principe est clair, lumineux, incapable d’augmentation ni de diminution, sans figure, souverainement parfait, sage, mais destitué de raison ou d’intelligence, étant dans une parfaite inaction, & souverainement tranquille, comme un homme dont l’attention est fortement fixée sur une chose sans penser à aucune autre : ils disent encore que ce principe est dans tous les êtres particuliers, & leur communique son essence en telle maniere, qu’elles font la même chose avec lui, & qu’elles se résolvent en lui quand elles sont détruites.

Cette opinion est différente du Spinosisme, en ce qu’elle suppose que le monde a été autrefois dans un état fort différent de celui où il est à présent. Un sectateur de Confucius a réfuté les absurdités de cette secte, par la maxime ordinaire, que rien ne peut venir de rien ; en quoi il paroît avoir supposé qu’ils enseignoient que rien est le premier principe de toutes choses, & par conséquent que le monde a eu un commencement, sans matiere ni cause efficiente : mais il est plus vraissemblable que par le mot de vuide ils entendoient seulement ce qui n’a pas les propriétés sensibles de la matiere, & qu’ils prétendoient désigner par-là ce que les modernes expriment par le terme d’espace, qui est un être très-distinct du corps, & dont l’étendue indivisible, impalpable, pénétrable, immobile & infinie, est quelque chose de réel. Il est de la derniere évidence qu’un pareil être ne sauroit être le premier principe ; s’il étoit incapable d’agir, comme le prétendoit Xekia. Spinosa n’a pas porté l’absurdité si loin ; l’idée abstraite qu’il donne du premier principe, n’est, à proprement parler, que l’idée de l’espace, qu’il a revêtu de mouvement, afin d’y joindre ensuite les autres propriétés de la matiere.

La doctrine de Xekia n’a pas été inconnue aux Juifs modernes ; leurs cabalistes expliquent l’origine des choses, par des émanations d’une cause premiere, & par conséquent préexistente, quoique peut-être sous une autre forme. Ils parlent aussi du retour des choses dans le premier être, par leur restitution dans leur premier état, comme s’ils croyoient que leur En-soph ou premier être infini contenoit toutes choses, & qu’il y a toûjours eu la même quantité d’êtres, soit dans l’état incréé, soit dans celui de création. Quand l’être est dans son état incréé, Dieu est simplement toutes choses : mais quand l’être devient monde, il n’augmente pas pour cela en quantité ; mais Dieu se développe & se répand par des émanations. C’est pour cela qu’ils parlent souvent de grands & de petits vaisseaux, comme destinés à recevoir ces émanations de rayons qui sortent de Dieu, & de canaux par lesquels ces rayons sont transmis : en un mot, quand Dieu retire ces rayons, le monde exterieur périt, & toutes choses redeviennent Dieu.

L’exposé que nous venons de donner de la doctrine de Xekia pourra nous servir à découvrir sa véritable origine. D’abord il nous paroît très-probable que les Indes ne furent point sa patrie, non-seulement parce que sa doctrine parut nouvelle dans ce