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viction & la persuasion sont deux choses différentes. Il n’y a que la derniere qui convienne à l’athée. Il se persuade ce qui n’est point : maits rien n’empêche qu’il ne le croye aussi fermement en vertu de ses sophismes, que le théiste croit l’existence de Dieu en vertu des démonstrations qu’il en a. Il ne faut pour cela que convertir en objections les preuves de l’existence de Dieu, & les objections en preuves. Il n’est pas indifférent de commencer par un bout plûtôt que par l’autre, la discussion de ce qu’on regarde comme un problème : car si vous commencez par l’affirmative, vous la rendrez plus facilement victorieuse ; au lieu que si vous commencez par la négative, vous rendrez toûjours douteux le succès de l’affirmative. Les mêmes raisonnemens font plus ou moins d’impression selon qu’ils sont proposés ou comme des preuves, ou comme des objections. Si donc un Philosophe débutoit d’abord par la these, il n’y a point de Dieu, & qu’il rangeât en forme de preuves ce que les orthodoxes ne font venir sur les rangs que comme de simples difficultés, il s’exposeroit à l’égarement ; il se trouveroit satisfait de ses preuves, & n’en voudroit point démordre, quoiqu’il ne sût comment se débarrasser des objections ; car, diroit-il, si j’affirmois le contraire, je me verrois obligé de me sauver dans l’asyle de l’incompréhensibilité. Il choisit donc malheureusement les incompréhensibilités, qui ne devoient venir qu’après.

Jettez les yeux sur les principales controverses des Catholiques & des Protestans, vous verrez que ce qui passe dans l’esprit des uns pour une preuve démonstrative de fausseté, ne passe dans l’esprit des autres que pour un sophisme, ou tout au plus pour une objection spécieuse, qui fait voir qu’il y a quelques nuages même autour des vérités révelées. Les uns & les autres portent le même jugement des objections des Sociniens : mais ceux-ci les ayant toûjours considérées comme leurs preuves, les prennent pour des raisons convaincantes : d’où ils concluent que les objections de leurs adversaires peuvent bien être difficiles à résoudre, mais qu’elles ne sont pas solides En général, dès qu’on ne regarde une chose que comme l’endroit difficile d’une these qu’on a adoptée, on en fait très-peu de cas : on étouffe tous les doutes qui pourroient s’élever, & on ne se permet pas d’y faire attention ; ou si on les examine, c’est en ne les considérant que comme de simples difficultés ; & c’est par-là qu’on leur ôte la force de faire impression sur l’esprit. Il n’est donc point surprenant qu’il y ait eu, & qu’il y ait encore des athées de théorie, c’est-à-dire, des athées qui par la voie du raisonnement soient parvenus à se persuader qu’il n’y a point de Dieu. Ce qui le prouve encore, c’est qu’il s’est trouvé des athées que le cœur n’avoit pas séduits, & qui n’avoient aucun intérêt à s’affranchir d’un joug qui les incommodoit. Qu’un professeur d’athéisme, par exemple, étale fastueusement toutes les preuves par lesquelles il prétend appuyer son système impie, elles saisiront ceux qui auront l’imprudence de l’écouter, & les disposeront à ne point se rebuter des objections qui suivent. Les premieres impressions seront comme une digue qu’ils opposeront aux objections ; & pour peu qu’ils ayent de penchant au libertinage, ne craignez pas qu’ils se laissent entraîner à la force de ces objections.

Quoique l’expérience nous force à croire, que plusieurs Philosophes anciens & modernes ont vêcu & sont morts dans la profession d’athéisme ; il ne faut pourtant pas s’imaginer qu’ils soient en si grand nombre, que le supposent certaines personnes ou trop zélées pour la Religion, ou mal intentionnées contre elle. Le pere Mersenne vouloit qu’il n’y eût pas moins que 50 mille athées dans Paris ; il est visible que cela est outré à l’excès. On attache souvent cette note

injurieuse à des personnes qui ne la méritent point. On n’ignore pas qu’il y a certains esprits qui se piquent de raisonnement, & qui ont beaucoup de force dans la dispute. Ils abusent de leur talent, & se plaisent à s’en servir pour embarrasser un homme, qui leur paroit convaincu de l’existence de Dieu. Ils lui font des objections sur la religion ; ils attaquent ses réponses & ne veulent pas avoir le dernier : ils crient & s’échauffent, c’est leur coûtume. Leur adversaire sort mal satisfait, & les prend pour des athées ; quelques-uns des assistans prennent le même scandale, & portent le même jugement ; ce sont souvent des jugemens téméraires. Ceux qui aiment la dispute & qui s’y sentent très-forts, soûtiennent en mille rencontres le contraire de ce qu’ils croyent bien fermement. Il suffira quelquefois, pour rendre quelqu’un suspect d’athéisme, qu’il ait disputé avec chaleur sur l’insuffisance d’une preuve de l’existence de Dieu ; il court risque, quelque orthodoxe qu’il soit, de se voir bien-tôt décrié comme un athée ; car, dira-t-on, il ne s’échaufferoit pas tant s’il ne l’étoit : quel intérêt sans cela pourroit-il prendre dans cette dispute ? La belle demande ! n’y est-il pas intéressé pour l’honneur de son discernement ? Voudroit-on qu’il laissât croire qu’il prend une mauvaise preuve pour un argument démonstratif ?

Le parallele de l’athéisme & du paganisme se présente ici fort naturellement. On se partage beaucoup sur ce problème, si l’irreligion est pire que la superstition ; on convient que ce sont les deux extrémités vicieuses au milieu desquelles la vérité est située : mais il y a des personnes qui pensent avec Plutarque, que la superstition est un plus grand mal que l’athéisme : il y en a d’autres qui n’osent décider, & plusieurs enfin qui déclarent que l’athéisme est pire que la superstition. Juste Lipse prend ce dernier parti : mais en même tems il avoue que la superstition est plus ordinaire que l’irreligion, qu’elle s’insinue sous le masque de la piété, & que n’étant qu’une image de la religion, elle séduit de telle sorte l’esprit de l’homme qu’elle le rend son joüet. Personne n’ignore combien ce sujet a occupé Bayle, & comment il s’est tourné de tous côtés & a employé toutes les subtilités du raisonnement, pour soûtenir ce qu’il avoit une fois avancé. Il s’est appliqué à pénétrer jusques dans les replis les plus cachés de la nature humaine : aussi remarquable par la force & la clarté du raisonnement, que par l’enjoüement, la vivacité & la délicatesse de l’esprit, il ne s’est égaré que par l’envie demesurée des paradoxes. Quoique familiarisé avec la plus saine Philosophie, son esprit toûjours actif & extrèmement vigoureux n’a pû se renfermer dans la carriere ordinaire ; il en a franchi les bornes. Il s’est plu à jetter des doutes sur les choses qui sont les plus généralement reçûes, & à trouver des raisons de probabilité pour celles qui sont les plus généralement rejettées. Les paradoxes, entre les mains d’un auteur de ce caractere, produisent toûjours quelque chose d’utile & de curieux ; & on en a la preuve dans la question présente : car l’on trouve dans les pensées diverses de M. Bayle, un grand nombre d’excellentes observations sur la nature & le génie de l’ancien polythéisme Comme il ne s’est proposé d’autre méthode, que d’écrire selon que les choses se présenteroient à sa pensée, ses argumens se trouvent confusément épars dans son ouvrage. Il est nécessaire de les analyser & de les rapprocher. On les exposera dans un ordre où ils viendront à l’appui les uns des autres ; & loin de les affoiblir, on tâchera de leur prêter toute la force dont ils peuvent être susceptibles.

Dans ses pensées diverses, M. Bayle posa sa these de cette maniere générale, que l’athéisme n’est pas un plus grand mal que l’idolatrie. C’est l’argument d’un