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quel l’ennemi qui songe à se défendre, vous fait beaucoup souffrir par ses chicanes. Il détourne les matériaux, arrache les fascines, y met le feu, vous inquiete par ses sorties, & par le feu de son canon, de ses bombes & de sa mousqueterie, contre lequel vous êtes obligé de prendre de grandes précautions ; par ce qu’un grand feu de près est fort dangereux : c’est pourquoi il faut de nécessité l’éteindre par un plus grand, & bien disposé.

Après s’être instruit de la qualité des fortifications de la place que l’on doit attaquer, il en faut examiner les accès, & voir si quelque rideau, chemin creux ou inégalité du terrein, peut favoriser vos approches & vous épargner quelque bout de tranchée ; s’il n’y a point de commandement qui puisse vous servir ; si le terrein par où se doivent conduire les attaques est doux & aisé à renverser ; s’il est dur & mêlé de pierres, cailloux & roquailles, ou de roches pelées, dans lequel on ne puisse que peu ou point s’enfoncer.

Toutes ces différences sont considérables ; car si c’est un terrein aisé à manier, il sera facile d’y faire de bonnes tranchées en peu de tems, & on y court bien moins de risque. S’il est mêlé de pierres & de cailloux, il sera beaucoup plus difficile, & les éclats de canon y seront dangereux.

Si c’est un roc dur & pelé, dans lequel on ne puisse s’enfoncer, il faut compter d’y apporter toutes les terres & matériaux dont on aura besoin ; de faire les trois quarts de la tranchée de fascines & de gabions, même de ballots de bourre & de laine, ce qui produit un long & mauvais travail, qui n’est jamais à l’épreuve du canon, & rarement du mousquet, & dont on ne vient à bout qu’avec du tems, du péril & beaucoup de dépense ; c’est pourquoi il faut éviter tant que l’on peut, d’attaquer par de telles avenues.

Choix d’un front de place en terrein égal le plus favorable pour l’attaque. Il faut examiner & compter le nombre des pieces à prendre ; car celui qui en aura le moins ou de plus mauvaises, doit être considéré comme le plus foible, si la qualité des fossés ne s’y oppose point.

Il y a beaucoup de places situées sur des rivieres qui n’en occupent que l’un des côtés, ou si elles occupent l’autre, ce n’est que par des petits forts, ou des dehors peu considérables, avec lesquels on communique par un pont, ou par des bateaux au défaut de pont. Tel étoit autrefois Stenay, & tels sont encore Sedan, Mézieres, Charlemont, & Namur, sur la Meuse ; Mets & Thionville, sur la Moselle ; Huningue, Strasbourg & Philisbourg, sur le Rhin, & plusieurs autres.

Où cela se rencontre, il est plus avantageux d’attaquer le long des rivieres, au-dessus ou au-dessous, appuyant la droite ou la gauche sur un de leurs bords, & poussant une autre tranchée vis-à-vis, le long de l’autre bord, tendant à se rendre maître de ce dehors ; ou bien on peut occuper une situation propre à placer des batteries de revers, sur le côté opposé aux grandes attaques.

Comme les batteries de cette petite attaque peuvent aussi voir le pont servant de communication de la place à ce dehors, les grandes attaques de leur côté en pourroient faire autant ; moyennant quoi il seroit difficile que la place y pût communiquer long-tems ; d’où s’ensuivroit que pour peu que ce dehors fût pressé, l’ennemi l’abandonneroit, ou n’y feroit pas grande résistance, principalement s’il est petit, & peu contenant : mais ce ne seroit pas la même chose, si c’étoit une partie de la ville, ou quelque grand dehors, à peu près de la capacité de Wick, qui fait partie de la ville de Mastrick : tout cela mérite bien d’être démêlé, & qu’on y fasse de bonnes & sérieuses réflexions ; car il est certain qu’on en peut tirer de grands avantages.

Après cela il faut encore avoir égard aux rivieres & ruisseaux qui traversent la ville, & aux marais & prairies qui accompagnent leur cours ; car quand les terreins propres aux attaques aboutissent contre, ou les avoisinent de près, soit par la droite ou par la gauche, cela donne moyen, en prolongeant les places d’armes jusque sur les bords, de barrer les sorties de ce côté-là, & de mettre toute la cavalerie ensemble sur le côté des attaques qui n’est point favorisé de cet avantage ; ce qui est un avantage considérable, parce que la cavalerie se trouvant en état de se pouvoir porter tout ensemble à l’action, elle doit produire un plus grand effet que quand elle est séparée en deux parties l’une de l’autre.

Outre ce que l’on vient de dire, il est bon encore de commander journellement un piquet de cavalerie & de dragons, dans les quartiers plus voisins des attaques, pour les pousser de ce côté-là, s’il arrivoit quelque sortie extraordinaire qui bouleversât la tranchée.

Pour conclusion, on doit toûjours chercher le foible des places, & les attaquer par-là par préférence aux autres endroits, à moins que quelque considération extraordinaire n’oblige d’en user autrement. Quand on a bien reconnu la place, on doit faire un petit recueil de ces remarques avec un plan, & le proposer au général & à celui qui commande l’artillerie, avec qui on doit agir de concert, & convenir après cela du nombre des attaques qu’on peut faire : cela dépend de la force de l’armée & de l’abondance des munitions.

Je ne crois pas qu’il soit avantageux de faire de fausses attaques, parce que l’ennemi s’appercevant de la fausseté des le troisieme ou quatrieme tour de la tranchée, il n’en fait plus de cas, & les méprise ; ainsi c’est de la fatigue & de la dépense inutile.

L’on ne doit point faire non plus d’attaques séparées, à moins que la garnison ne soit très-foible, ou l’armée très-forte, parce qu’elles vous obligent à monter aussi fort à une seule qu’à toutes les deux, & que la séparation les rend plus foibles & plus difficiles à servir.

Mais les attaques les meilleures & les plus faciles, sont les attaques doubles qui sont liées, parce qu’elles peuvent s’entre-secourir : elles sont plus aisées à servir, se concertent mieux & plus facilement pour tout ce qu’elles entreprennent, & ne laissent pas de faire diversion des forces de la garnison.

Il n’y a donc que dans certains cas extraordinaires & nécessités, pour lesquels je pourrois être d’avis de n’en faire qu’une, qui sont quand les fronts attaqués sont si étroits qu’il n’y a pas assez d’espace pour pouvoir développer deux attaques.

Il faut encore faire entrer dans la reconnoissance des places, celle des couverts pour l’établissement du petit parc, d’un petit hôpital, & d’un champ de bataille pour l’assemblée des troupes qui doivent monter à la tranchée, & des endroits les plus propres à placer les gardes de cavalerie.

Le petit parc se place en quelque lieu couvert, à la queue des tranchées de chaque attaque : il doit être garni d’une certaine quantité de poudre, de balles, grenades, meches, pierres-à-fusil, serpes, haches, blindes, martelets, outils, &c. pour les cas survenans & pressans, afin qu’on n’ait pas la peine de les aller chercher au grand parc quand on en a besoin.

Près de lui se range le petit hôpital, c’est-à-dire, les Chirurgiens & Aumôniers, avec des tentes, paillasses, matelats, & des remedes pour les premiers appareils des blessures. Outre cela, chaque bataillon mene avec soi ses Aumôniers, Chirurgiens majors, les Fraters, qui ne doivent point quitter la queue de leurs troupes.

A l’égard du champ de bataille pour l’assemblée