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rient, ou, pour mieux dire, avec la cause efficiente du mariage. 3°. Que ceux qui soutiennent que la tradition mutuelle des corps est la matiere du mariage, confondent l’effet de ce sacrement avec sa matiere. 4°. Dire que le sacrement de mariage peut se faire sans que le prêtre y contribue en rien, c’est confondre le contrat civil du mariage avec le mariage considéré comme sacrement.

Le sentiment le plus suivi est que le sacrement de mariage a pour matiere le contrat civil que les deux parties font ensemble, & pour forme les prieres & la bénédiction sacerdotale. La raison en est que tous les missels, rituels, eucologes, que le P. Martenne a donnés au public, nous apprennent que les prêtres ont toûjours béni les noces, cette bénédiction a toûjours été regardée comme le sceau qui confirme les promesses respectives des parties. C’est ce qui a fait dire à Tertullien, lib. II. ad uxor. que les mariages des fideles sont confirmés par l’autorité de l’Eglise. Saint Ambroise parle dans une de ses lettres de la bénédiction nuptiale donnée par le prêtre, & de l’imposition du voile sur l’époux & sur l’épouse ; & le quatrieme concile de Carthage veut que les nouveaux mariés gardent la continence la premiere nuit de leurs nôces par respect pour la bénédiction sacerdotale.

De-là il s’ensuit que les prêtres sont les ministres du sacrement de mariage, qu’ils n’en sont pas simplement les témoins nécessaires & principaux, & qu’on ne peut dire avec fondement que les personnes qui se marient s’administrent elles-mêmes le sacrement, par le mutuel consentement qu’elles se donnent en présence du curé & des témoins. Tertullien dit que les mariages cachés, c’est-à-dire, qui ne sont pas faits en présence de l’Eglise, sont soupçonnés de fornication & de débauche, lib. de pudic. c. vj. par conséquent, des les premiers tems de l’Eglise, il n’y avoit de conjonctions légitimes d’hommes & de femmes qu’autant que les ministres de l’Eglise les avoient eux-mêmes bénies & consacrées. Dans tous les autres sacremens les ministres sont distingués de ceux qui les reçoivent. Sur quel fondement prétend-on que le mariage seul soit exempt de cette regle ? Le concile de Trente a exigé la présence du propre curé des parties, & l’ordonnance de Blois a adopté sa disposition.

La fin du mariage est la procréation légitime des enfans qui deviendront membres de l’Eglise, & auxquels les peres & meres doivent donner une éducation chrétienne.

Mariage, s. m. (Droit naturel.) la premiere, la plus simple de toutes les sociétés, & celle qui est la pépiniere du genre humain. Une femme, des enfans, sont autant d’otages qu’un homme donne à la fortune, autant de nouvelles relations & de tendres liens, qui commencent à gemer dans son ame.

Par-tout où il se trouve une place où deux personnes peuvent vivre commodément, il se fait un mariage, dit l’auteur de l’esprit des lois. La nature y conduit toûjours, lorsqu’elle n’est point arrêtée par la difficulté de la subsistance. Le charme que les deux sexes inspirent par leur différence, forme leur union ; & la priere naturelle qu’ils se font toûjours l’un à l’autre en confirme les nœuds :

O Vénus, ô mere de l’amour,
Tout reconnoît tes lois !

Les filles que l’on conduit par le mariage à la liberté, qui ont un esprit qui n’ose penser, un cœur qui n’ose sentir, des yeux qui n’osent voir, des oreilles qui n’osent entendre, condamnées sans relâche à des préceptes & à des bagatelles, se portent nécessairement au mariage : l’empire aimable que donne la beauté sur tout ce qui respire, y engage-

ra bien-tôt les garçons. Telle est la force de l’institution

de la nature, que le beau sexe se livre invinciblement à faire les fonctions dont dépend la propagation du genre humain, à ne pas se rebuter par les incommodités de la grossesse, par les embarras de l’éducation de plusieurs enfans, & à partager le bien & le mal de la société conjugale.

La fin du mariage est la naissance d’une famille, ainsi que le bonheur commun des conjoints, ou même le dernier séparément selon Wollaston. Quoi qu’il en soit, celui qui joint la raison à la passion, qui regarde l’objet de son amour comme exposé à toutes les calamités humaines, ne cherche qu’à s’accommoder à son état & aux situations où il se trouve. Il devient le pere, l’ami, le tuteur de ceux qui ne sont pas encore au monde. Occupé dans son cabinet à débrouiller une affaire épineuse pour le bien de sa famille, il croit que son attention redouble lorsqu’il entend ses enfans, pour l’amour desquels il n’épargne aucun travail, courir, sauter & se divertir dans la chambre voisine. En effet, dans les pays où les bonnes mœurs ont plus de force que n’ont ailleurs les bonnes lois, on ne connoît point d’état plus heureux que celui du mariage. « Il a pour sa part, dit Montagne, l’utilité, la justice, l’honneur & la constance. C’est une douce société de vie, pleine de fiance & d’un nombre infini de bons, de solides offices, & obligations mutuelles : à le bien façonner, il n’est point de plus belle piece dans la société. Aucune femme qui en savoure le goût, ne voudroit tenir lieu de simple maîtresse a son mari ».

Mais les mœurs qui dans un état commencent à se corrompre, contribuent principalement à dégoûter les citoyens du mariage, qui n’a que des peines pour ceux qui n’ont plus de sens pour les plaisirs de l’innocence. Ecoutez ceci, dit Bacon. Quand on ne connoîtra plus de nations barbares, & que la politesse & les arts auront énervé l’espece, on verra dans les pays de luxe les hommes peu curieux de se marier, par la crainte de ne pouvoir pas entretenir une famille ; tant il en coûtera pour vivre chez les nations policées ! voilà ce qui se voit parmi nous ; voilà ce que l’on vit à Rome, lors de la décadence de la république.

On sait quelles furent les lois d’Auguste, pour porter ses sujets au mariage. Elles trouverent mille obstacles ; & trente-quatre ans après qu’il les eut données, les chevaliers romains lui en demanderent la révocation. Il fit mettre d’un côté ceux qui étoient mariés, & de l’autre ceux qui ne l’étoient pas : ces derniers parurent en plus grand nombre, ce qui étonna les citoyens & les confondit. Auguste avec la gravité des anciens censeurs, leur tint ce discours.

« Pendant que les maladies & les guerres nous enlevent tant de citoyens, que deviendra la ville si on ne contracte plus de mariages ? la cité ne consiste point dans les maisons, les portiques, les places publiques : ce sont les hommes qui font la cité. Vous ne verrez point comme dans les fables sortir des hommes de dessous la terre pour prendre soin de vos affaires. Ce n’est point pour vivre seuls que vous restez dans le célibat : chacun de vous a des compagnes de sa table & de son lit, & vous ne cherchez que la paix dans vos déréglemens. Citerez-vous l’exemple des vierges vestales ? Donc, si vous ne gardiez pas les lois de la pudicité, il faudroit vous punir comme elles. Vous êtes également mauvais citoyens, soit que tout le monde imite votre exemple, soit que personne ne le suive. Mon unique objet est la perpétuité de la république. J’ai augmenté les peines de ceux qui n’ont point obéi ; & à l’égard des récompenses, elles sont telles que je ne sache pas