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quand ils veulent, ou ils les retiennent toujours à leur service. Ce qu’il y a de louable dans cette vie libertine, c’est que les enfans que les Turcs ont de toutes leurs femmes, héritent également des biens de leur pere ; avec cette différence seulement, qu’il faut que les enfans des femmes esclaves soient déclarés libres par testament ; si le pere ne leur fait pas cette grace, ils suivent la condition de leur mere, & sont à la discrétion de l’aîné de la famille. (D. J.)

Mariage. (Médec. Diete.) Nous ne prenons ici le mariage que dans le point particulier de son exécution physique, de sa consommation, où les deux sexes confondus dans des embrassemens mutuels, goûtent des plaisirs vifs & permis qui sont augmentés & terminés par l’éjaculation réciproque de la semence, cimentés & rendus précieux par la formation d’un enfant.

Ainsi nous n’envisagerons le mariage que sous le point de vûe où il est synonyme à coït ; & nous avons à dessein renvoyé à cet article présent tout ce que nous avions à dire sur cette matiere ; parce que le mariage regardé comme convention civile, politique, religieuse, est suivant les mœurs, les préjugés, les usages, les lois, la religion reçue, le seul état où le coït soit permis, la seule façon d’autoriser & de légitimer cette action naturelle. Ainsi toutes les remarques que nous aurons occasion de faire ici sur le mariage, ne regarderoient chez des peuples qui auroient d’autres mœurs, d’autres coutumes, une autre religion, &c. que l’usage du coït ou l’acte vénérien. En conséquence nous comprenons le mariage dans la classe des choses non naturelles, comme une des parties de la diete ou de la gymnastique. On peut considérer dans le mariage ou le coït légitime, 1° l’excrétion de la semence, 2° le méchanisme de cette excrétion, 3° les plaisirs qui y sont attachés, 4° enfin, les suites particulieres qu’elle a dans les femmes, savoir, la grossesse & l’accouchement : c’est de l’examen comparé de ces différentes considérations qu’on doit déduire les avantages ou les inconvéniens du mariage.

1°. Toute secrétion semble, dans l’ordre de la nature, exiger & indiquer l’excrétion de l’humeur séparée ; ainsi l’excrétion de la semence devient, suivant ces mêmes lois, un besoin, & sa retention un état contre nature, souvent cause de maladie, lorsque cette humeur a été extraite, préparée, travaillée par les testicules devenus actifs, & qu’elle a été perfectionnée par son séjour & son accumulation dans les vésicules séminales. Alors les parties-organes de cette excrétion en marquent la nécessité par un accroissement plus prompt, par une demangeaison continuelle, par un feu secret, une ardeur qui les embrase, par des érections fréquentes involontaires. De-là naissent ces desirs violens, mais indéterminés, cet appetit naturel qu’on voudroit satisfaire ; mais quelquefois on n’en connoît pas les moyens, souvent on n’ose pas les employer. Toutes ces sensations inaccoutumées attirent, occupent, absorbent l’esprit, en alterent les fonctions ; plongent le corps dans un état de langueur insupportable, jusqu’à ce qu’instruit par la nature, on ait recours au remede spécifique en se mariant, ou que la pléthore de semence portée à un point excessif, n’en détermine l’excrétion ; mais il arrive quelquefois que, par un séjour trop long elle s’altere, se corrompt, & occasionne des accidens très fâcheux. Les hommes plus libres, moins retenus, peut-être moins sensibles, sont moins incommodés que les femmes ; il est rare que leur esprit en soit dérangé. Le plus souvent on n’observe dans ceux qui gardent sévérement la continence,

que des priapismes, des demangeaisons affreuses, des tumeurs dans les testicules, &c. accidens légers que l’évacuation de la semence fait cesser à l’instant.

Les filles dans qui les aiguillons sont plus précoces & plus pressans, les passions plus vives, la retenue plus nécessaire, sont bien plus incommodées de la trop longue rétention de la semence ; & ce qui me paroît encore contribuer à augmenter le nombre & la gravité des symptomes qu’attire la privation du mariage, c’est que non-seulement elles desirent l’évacuation de leur semence ; mais en outre la matrice appete avec avidité la semence de l’homme ; & quand ces deux objets ne sont pas remplis, elles tombent dans ce délire chlorétique, également funeste à la santé & à la beauté, biens que le sexe regarde comme les plus précieux ; elles deviennent foibles, languissantes, mélancoliques, &c. D’autres fois au contraire, les impressions que la semence trop abondante & trop active fait sur les organes & ensuite sur l’esprit, sont si fortes, qu’elles l’emportent sur la raison. L’appetit vénérien parvenu à ce degré de violence, demande d’être satisfait ; il les jette dans ce délire furieux connu sous le nom de fureur utérine. Dèslors emportées hors d’elles-mêmes, elles perdent de vûe toutes les lois de la pudeur, de la bienséance, cherchent par toutes sortes de moyens à assouvir la violence de leur passion ; elles ne rougissent point d’attaquer les hommes, de les attirer par les postures les plus indécentes & les invitations les plus lascives. Tous les praticiens conviennent que les différens symptomes de vapeurs ou d’affections hystériques qui attaquent les filles ou les veuves, sont une suite de la privation du mariage. On peut observer en effet que les femmes, sur-tout bien mariées, en sont ordinairement exemptes ; & que ces maladies sont très-communes dans ces vastes maisons qui renferment un grand nombre de filles qui se sont obligées par devoir & par état de garder leur virginité. Le mariage est dans tous ces cas utile, ou même nécessaire pour prévenir tous ces accidens : il peut même, quand ils sont déjà formés, les dissiper ; & c’est souvent le seul secours dont l’efficacité soit assûrée. Tous les martiaux, les fondans, les soporatifs sont ordonnés sans succès à une fille chlorétique. Les Médecins sont souvent obligés de faire marier ces malades, & le succès du remede constate la bonté du conseil. Il en est de même de ces filles qui sont dans les accès d’une fureur utérine ; c’est en vain qu’on les baigne, qu’on les gorge de tisanes nîtrées, d’émulsions, leur délire ne peut s’appaiser que par l’excrétion de l’humeur dont l’abondance & l’activité l’ont déterminée. Il est mille occasions où le coït légitimé par le mariage n’est pas possible ; & la religion ne permet pas alors d’imiter l’heureuse témérité de Rolfink, qui ne voyant d’autre ressource pour guérir une fille dangereusement malade, que de procurer l’excrétion de la semence : au défaut d’un mari, il se servit dans ce dessein, d’un moyen artificiel, & la guérit entierement.

Ce moyen ne sera peut-être pas goûté par des censeurs rigides, qui croient qu’il ne faut jamais faire un mal dans l’espérance d’un bien. Je laisse aux théologiens à décider, si dans pareils cas, une pollution qui ne seroit nullement déterminée par le libertinage, mais par le besoin pressant, est un crime, ou s’il n’est pas des circonstances, où de deux maux, il faut éviter le pire. Il paroît assez naturel que dans certains cas extrèmes, on fait céder toute autre considération à celle de rendre la santé.

Il paroît par-là que le mariage, simplement considéré comme favorisant & déterminant l’excrétion de la semence, est très-avantageux à l’un & à l’autre sexe. C’est dans cet état seul où la santé peut être la