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chement, qui demandent du délai. Cependant si quelques accidens survenoient dépendans de la privation du mariage, il faudroit sans crainte des évenemens l’accorder aussi-tôt : rarement on est incommodé de ce que la nature demande avec empressement. Un medecin sage & prudent peut dans pareils cas trouver des expédiens, & les combiner de façon qu’il n’en résulte que de l’avantage.

II. Le méchanisme de l’excrétion de la semence, c’est-à-dire l’état de constriction, de resserrement, de saisissement général qui la précede, l’accompagne & la détermine, mérite quelques réflexions particulieres : il est certain que toute la machine concourt à cette évacuation, tout le corps est agité de mouvemens convulsifs ; & c’est avec raison que Démocrite a appellé le mariage dans le sens que nous le prenons, une épilepsie passagere ; il n’est pas douteux que cette concussion universelle ne soit très propre à ranimer la circulation engourdie, à rétablir une transpiration dérangée, à dissiper certaines affections nerveuses ; elle porte principalement sur les nerfs & sur le cerveau. Les medecins observateurs rapportent plusieurs exemples de goutte, d’épilepsie, de passion hysterique, de maux d’estomac habituels, de veilles opiniâtres dissipées par le mariage ; & nous lisons dans Pline qu’un medecin avoit éprouvé l’efficacité de ce secours dans le traitement & la guérison des fievres quartes ; cependant il faut observer que la lassitude & la foiblesse suivent cet exercice, que le sommeil doux & tranquille qui succede, en est souvent l’effet, qu’on a vû quelquefois l’épilepsie passagere de Démocrite continuer & devenir très-réelle. Un homme, au rapport de M. Didier, avoit un violent paroxisme d’épilepsie toutes les fois qu’il remplissoit le devoir conjugal. Cette vive émotion est très funeste à ceux qui ont eu des blessures, qui ont souffert des hémorragies considérables : elle peut faire rouvrir les vaisseaux par lesquels l’hémorragie s’est faite, donner aux plaies un mauvais caractere, occasionner quelquefois des métastases dangereuses, &c. Fabrice de Hilden raconte qu’un homme à qui on avoit coupé la main gauche, voulut lorsque la blessure fut presque guérie, prendre avec sa femme les plaisirs autorisés par le mariage : celle-ci instruite par le chirurgien, refuse de se prêter aux instances de son mari, qui dans les efforts qu’il fit pour la vaincre, ne laissa pas d’éjaculer : à l’instant la fievre se déclare ; il survient des délires, des convulsions, & le malade mourut au quatrieme jour. Obs. chirurgicales, centurie v. xxv.

III. Si les plaisirs du mariage ont quelqu’inconvénient, c’est d’exciter par cet attrait puissant à en faire un usage immodéré, & à tomber dans les accidens qui suivent une trop grande excrétion de semence : ainsi ces plaisirs sont une des premieres causes des maladies qu’excite l’excès dans le mariage ; mais ils en sont en même tems l’antidote, & l’on peut assurer que plus les plaisirs sont grands, moins l’abus en est nuisible. Nous avons déja remarqué après Sanctorius, dans un autre article, voyez Manustupration, que cette joie pure, cette douce consolation de l’esprit qu’entraînent les plaisirs attachés au mariage, rétablissent la transpiration du cœur, servent infiniment à diminuer la foiblesse, la langueur qui sans cela suivroient l’excrétion de la semence, & contribuent beaucoup à la prompte réparation des pertes qu’on vient de faire ; il n’est pas douteux que les bons effets produits par le mariage ne dépendent principalement des plaisirs qu’on y goûte, & du contentement inexprimable d’avoir satisfait une passion, un appétit qui faisoit naître des desirs violens. Est-il possible de concevoir un état plus favorable à l’homme que celui du plaisir ? La sérénité est peinte sur son front, la joie brille dans

ses yeux, son visage frais & coloré annonce une satisfaction intérieure ; tout le corps est agile & dispos, les mouvemens s’exécutent avec prestesse ; l’exercice de toutes les fonctions est facile ; la transpiration est augmentée ; les mouvemens du cœur sont libres & uniformes Cette situation du corps n’est-elle pas le plus haut dégré de la santé ? n’a-ton pas eu raison de regarder dans tous les tems ces plaisirs comme le remede le plus assuré contre la mélancolie ? Y a-t-il en effet rien de plus propre à dissiper la tristesse & la misantropie qui en sont les caracteres ; c’est dans cette idée qu’on avoit donné à la courtisanne Neëa le surnom d’Anticyre, île célebre par sa fertilité en hellébore, parce qu’elle avoit un secret plus assuré que ce remede fameux, dont l’efficacité avoit été constatée par la guérison radicale de plusieurs mélancoliques.

Les personnes du sexe, plus sensibles aux impressions du plaisir, en ressentent aussi davantage les bons effets. On voit des chlorétiques languissantes, malades, pâles, défigurées, dès qu’elles sont mariées, sortir rapidement de cet état de langueur, acquérir de la santé, des couleurs, de l’embonpoint, prendre un visage fleuri, animé ; il y en a même qui naturellement laides, sont devenues après le mariage extrèmement jolies. L’hymen fit cette heureuse métamorphose dans la femme d’Ariston, qui suivant ce qu’en raconte Pausanias, surpassoit étant vierge, toutes les filles de Sparte en laideur, & qui dès qu’elle fut femme, devint si belle, qu’elle auroit pû disputer à Hélene le prix de la beauté. Georges Psaalmanaazar assure que cette métamorphose est assez ordinaire aux filles de son pays de l’île Formose ; les femmes qui ont goûté ces plaisirs en supportent bien plus impatiemment la privation que celles qui ne les connoissent pas par expérience. Saint Jerome & saint Thomas ont avancé gratuitement que les filles se faisant une idée trop avantageuse des plaisirs du mariage, les souhaitoient plus ardemment que les veuves. La fausseté de cette assertion est démontrée par une observation fréquente, qui fait voir que les accidens, les symptômes d’hystéricité sont plus multipliés, plus fréquens & plus graves chez les veuves que chez les filles ; on pourroit aussi fixer, s’il en étoit besoin, un argument de quelque poids, de la façon dont les unes & les autres se conduisent.

IV. Enfin la grossesse & l’accouchement sont les dernieres choses qu’il y ait à considérer dans le mariage ; ce sont des suites qui n’ont lieu que chez les femmes ; quoique la grossesse soit d’abord annoncée & souvent accompagnée pendant plusieurs mois de beaucoup d’incommodités, il est rare qu’elle soit nuisible ; le cas le plus à craindre est celui des maladies aiguës qui peuvent se rencontrer dans ce tems ; Hippocrate a décidé mortelles les maladies aiguës qui surviennent aux femmes enceintes, & il est certain qu’elles sont très-dangereuses ; mais du reste tous les accidens qui dépendent de l’état même de grossesse, tels que les vomissemens, les dégoûts, les fantaisies, les veilles, &c. se dissipent après quelques mois, ou d’eux-mêmes ou avec une saignée ; & quand ils persisteroient jusqu’à l’accouchement, ils n’ont ordinairement aucune mauvaise suite ; on peut même avancer que la grossesse est plûtôt avantageuse : les femmes qui paroissent les plus foibles, languissantes, maladives, sont celles souvent qui s’en trouvent mieux ; ces langueurs, ces indispositions se dissipent. On voit assez fréquemment des femmes qui sont presque toujours malades, hors le tems de leur grossesse ; dès qu’elles sont enceintes, elles reprennent la santé, & rien ne peut l’altérer, ni la suspension de l’évacuation menstruelle, ni le poids incommode de l’enfant ; ce qui paroit vérifier,