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Quæ canerent agerent ve, peruncti fæcibus ora.

Ils s’aviserent dans la suite de se faire des especes de masques avec des feuilles d’arction, plante que les Grecs nommerent à cause de cela πρόσωπον ; ce qui étoit aussi quelquefois nommée personata chez les Latins, comme on le peut voir par ce passage de Pline : quidam arction personatam vocant, cujus folio nullum est latius ; c’est notre grande bardane.

Lorsque le poëme dramatique eut toutes ses parties, la nécessité où se trouverent les acteurs de représenter des personnages de différent genre, de différent âge, & de différent sexe, les obligea de chercher quelque moyen de changer tout-d’un-coup de forme & de figure ; & ce fut alors qu’ils imaginerent les masques dont nous parlons ; mais il n’est pas aisé de savoir qui en fut l’inventeur. Suidas & Athénée en font honneur au poëte Chœrile, contemporain de Thespis ; Horace au contraire, en rapporte l’invention à Eschile.

Post hunc personæ pallæque repertor honestæ,
Æschilus,…

Cependant Aristote qui en devoit être un peu mieux instruit, nous apprend au cinquieme chapitre de sa Poétique, qu’on ignoroit de son tems, à qui la gloire en étoit dûe.

Mais quoique l’on ignore par qui ce genre de masques fut inventé, on nous a néanmoins conservé le nom de ceux qui en ont mis les premiers au théatre quelque espece particuliere. Suidas, par exemple, nous apprend que ce fut le poëte Phrynicus, qui exposa le premier masque de femme au théatre, & Néophron de Sicyone, celui de cette espece de domestique que les anciens chargeoient de la conduite de leurs enfans, & d’où nous est venu le mot de pédagogue. D’un autre côté, Diomede assure que ce fut un Rosius Gallus, qui le premier porta un masque sur le théatre de Rome, pour cacher le défaut de ses yeux qui étoient bigles.

Athénée nous apprend aussi qu’Æschile fut le premier qui osa faire paroître sur la scene des gens ivres dans sa piece des Cabires ; & que ce fet un acteur de Mégare nommé Maison, Μαισον, qui inventa les masques comiques de valet & de cuisinier. Enfin, nous lisons dans Pausanias, que ce fut Æschile qui mit en usage les masques hideux & effrayans dans sa piece des Euménides ; mais qu’Euripide fut le premier qui s’avisa de les représenter avec des serpens sur leur tête.

La matiere de ces masques au reste ne fut pas toûjours la même ; car il est certain que les premiers n’étoient que d’écorce d’arbres.

Oraque corticibus sumunt horrenda cavatis.

Et nous voyons dans Pollux, qu’on en fit dans la suite de cuir, doublées de toile, ou d’étoffe ; mais, comme la forme de ces masques se corrompoit aisément, on vint, selon Hésychius, à les faire tous de bois ; c’étoient les Sculpteurs qui les exécutoient d’après l’idée des Poëtes, comme on le peut voir par la fable de Phedre que nous avons déja citée.

Pollux distingue trois sortes de masques de théatre ; des comiques, des tragiques, & des satyriques : il leur donne à tous dans la description qu’il en fait, la difformité dont leur genre est susceptible, c’est-à-dire des traits outrés & chargés à plaisir, un air hideux ou ridicule, & une grande bouche béante, toûjours prête, pour ainsi dire, à dévorer les spectateurs.

On peut ajouter à ces trois sortes de masques, ceux du genre orchestrique, ou des danseurs. Ces derniers, dont il nous reste des représentations sur une infinité de monumens antiques, n’ont aucun des dé-

fauts dont nous venons de parler. Rien n’est plus

agréable que les masques des danseurs, dit Lucien ; ils n’ont pas la bouche ouverte comme les autres ; mais leurs traits sont justes & réguliers ; leur forme est naturelle, & répond parfaitement au sujet. On leur donnoit quelquefois le nom de masques muets, ὀρχηστικὰ καὶ ἄφωνα προσωπεῖα.

Outre les masques de theatre, dont nous venons de parler, il y en a encore trois autres genres, que Pollux n’a point distingués, & qui néanmoins avoient donné lieu aux différentes dénominations de προσωπεῖον, μορμολύκειον, & γοργόνειον ; car, quoique ces termes ayent été dans la suite employés indifféremment, pour signifier toutes sortes de masques, il y a bien de l’apparence que les Grecs s’en étoient d’abord servis, pour en désigner des especes différentes ; & l’on en trouve en effet dans leurs pieces de trois sortes, dont la forme & le caractere répondent exactement au sens propre & particulier de chacun de ces termes.

Les premiers & les plus communs étoient ceux qui représentoient les personnes au naturel ; & c’étoit proprement le genre qu’on nommoit προσωπεῖον. Les deux autres étoient moins ordinaires ; & c’est pour cela que le mot de προσωπεῖον prit le dessus, & devint le terme générique. Les uns ne servoient qu’à représenter les ombres ; mais comme l’usage en étoit fréquent dans les tragédies, & que leur apparition ne laissoit pas d’avoir quelque chose d’effrayant, les Grecs les nommoient μορμολύκειον. Enfin, les derniers étoient faits exprès, pour inspirer la terreur, & ne représentoient que des figures affreuses, telles que les Gorgones & les Furies ; & c’est ce qui leur fit donner le nom de γοργόνειον.

Il est vraissemblable que ces termes ne perdirent leur premier sens, que lorsque les masques eurent entierement changé de forme, c’est-à-dire du tems de la nouvelle comédie : car jusques-là, la différence en avoit été fort sensible. Mais dans la suite tous les genres furent confondus ; les comiques & les tragiques ne différerent plus que par la grandeur, & par le plus ou le moins de difformité ; il n’y eut que les masques des danseurs qui conserverent leur premiere forme. En général, la forme des masques comiques portoit au ridicule, & celle des masques tragiques à inspirer la terreur. Le genre satyrique fondé sur l’imagination des Poëtes, représentoit par ses masques, les Satyres, les Faunes, les Cyclopes, & autres monstres de la fable. En un mot, chaque genre de poésie dramatique avoit des masques particuliers, à l’aide desquels l’acteur paroissoit aussi conforme qu’il le vouloit, au caractere qu’il devoit soutenir. De plus, les uns & les autres avoient plusieurs masques qu’ils changeoient selon que leur role le requéroit.

Mais comme c’est la partie de leurs ajustemens qui a le moins de rapport à la maniere de se mettre de nos acteurs modernes, & à laquelle par conséquent nous avons le plus de peine à nous prêter aujourd’hui, il est bon d’examiner en détail, quels avantages les anciens tiroient de leurs masques ; & si les inconvéniens étoient effectivement aussi grands qu’on se l’imagine du premier abord.

Les gens de théatre parmi les anciens, croyoient qu’une certaine physionomie étoit tellement essentielle au personnage d’un certain caractere, qu’ils pensoient, que pour donner une connoissance compiette du caractere de ce personnage, ils devoient donner le dessein du masque propre à le représenter. Ils plaçoient donc après la définition de chaque personnage, telle qu’on a coutume de la mettre à la tête des pieces de théatre, & sous le titre de Dramatis personæ, un dessein de ce masque ; cette instruction leur sembloit nécessaire. En effet, ces mas-