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dans plusieurs cotteries. Les petits méchans subalternes se signalent ordinairement sur les étrangers que le hasard leur adresse, comme on sacrifioit autrefois dans quelques contrées ceux que leur mauvais fort y faisoient aborder. Les méchans du haut étage s’en tiennent à leurs compatriotes, & les sacrifient impitoyablement au moindre trait heureux qui se présente à leur esprit & qui peut porter coup. C’est ainsi qu’en un seul jour ils flétrissent la réputation de plusieurs personnes, qui n’ont d’autre tort que d’en être connues. La vertu tremble à leur aspect, & la médisance leur prête ses couleurs les plus odieuses ; mais qu’ils sachent qu’à l’instant qu’ils amusent, leur méchanceté les fait détester des honnêtes gens. Tout le monde devroit encore s’accorder à les tourner en ridicule. Je ne crois pas qu’en général les François soient nés avec ce caractere de méchanceté qu’on leur reproche ; naturellement touchés de la vertu, ils la respecteroient si l’exemple & la coutume n’étoient les tyrans de tous leurs usages. (D. J.)

MÉCHANICIEN, s. m. (Médec.) on appelle de ce nom ceux d’entre les médecins modernes qui, après la découverte de la circulation du sang, & l’établissement de la philosophie de Descartes, ayant sécoué le joug de l’autorité, ont adopté la méthode des geometres dans les recherches qu’ils ont faites sur tout ce qui a rapport à l’œconomie animale, en tant qu’ils l’ont regardée comme une production de mouvemens de différente espece, soumis à toutes les lois de la méchanique, selon lesquelles se font toutes les opérations des corps dans la nature.

Dans cette idée, le corps animal, par conséquent le corps humain, est considéré comme une véritable machine ; c’est-à-dire, comme un corps composé, dont les parties sont d’une telle sorte de matiere, de figure & de structure, que par leur connexion, elles sont susceptibles de produire des effets déterminés pour une fin préétablie.

Les Méchaniciens ont vu dans cette machine animée, des soutiens ou appuis, dans les piés qui servent à porter tout le corps ; des colonnes ou piliers, dans les jambes qui peuvent le soutenir dans une situation perpendiculaire ; des voûtes, dans l’assemblage des os de la tête ; de la poitrine, des poutres, dans la position des côtes ; des coins, dans la figure des dents ; des leviers, dans l’usage des os longs ; des puissances appliquées à ces leviers, dans le jeu des muscles ; des poulies de renvoi, dans la destination des anneaux cartilagineux des grands angles des yeux ; des forces de pressoir, dans l’action de l’estomac sur les alimens ; le méchanisme des soufflets, dans celui de la respiration ; l’action d’un piston, dans celle du cœur ; l’effet des cribles, des filtres, dans la surface des vaisseaux, qui distribuent les fluides à-travers les orifices des vaisseaux plus petits & de genre différent, dont elles sont percées ; des reservoirs, dans la vessie urinaire, dans la vésicule du fiel ; enfin des canaux de différens calibres, dans les différens conduits qui contiennent des fluides, qui ont un cours ; ce qui particulierement a fait regarder le corps animal, comme une véritable machine hydraulique, dont les effets sont produits, renouvellés, conservés par des forces semblables à celles du coin, du ressort, de l’équilibre, de la pompe, &c.

De ces considérations introduites dans la théorie de la Médécine, il s’ensuivit qu’elle parut avoir pris une face entierement nouvelle, un langage absolument différent de celui qui avoit été tenu jusqu’alors. Quelques idées chimiques se joignirent d’abord à ces nouveaux principes. Pour trouver une puissance motrice dans la machine construite, on eut recours à la matiere subtile, à des fermens pour pro-

duire des expansions, des ébullitions, des effervescences

dans les fluides, qui pussent être des causes d’impulsion, de mouvement progressif, propres à retenir, selon les lois méchaniques, hydrauliques, la circulation, le cours de la masse des humeurs distribuées dans leurs différens canaux.

Mais l’hypothese de Descartes & de ses sectateurs sur le principe du mouvement circulatoire, ayant été combattue & détruite par Lower, cet auteur y en substitua une autre, qui fut adopté par Baglivi, & qui a eu beaucoup de partisans ; dans laquelle il établissoit une réciprocation d’action systaltique & diastaltique entre les fibres élastiques de la substance du cœur, & celles des membranes du cerveau : mais comme dans une machine susceptible de résistances, de frottemens entre les parties qui la composent, l’équilibre & le repos succéderoient nécessairement bientôt à un pareil principe de mouvement, & que d’ailleurs l’expérience anatomique a appris que le cœur peut continuer à avoir du mouvement indépendamment du cerveau, cette opinion de Lower a resté sans fondement : on a cru pouvoir y suppléer par l’influence du fluide nerveux attiré dans les fibres du cœur par l’action stimulante, irritante du seul volume du sang, en tant qu’il dilate, qu’il force les parois de cet organe musculeux.

Mais dans ce système, qui est celui de Vieussens, & qui a été long-tems celui de l’école de Montpellier, la cause premiere de cette influence du fluide nerveux, quelque modification qu’on lui suppose, restant inconnue, & toutes les explications physiques & méchaniques que l’on en a données, paroissant insuffisantes, les Sthaaliens & tous les médecins autocratiques ont prétendu qu’elle devoit être attribûée à une puissance intelligente, selon eux, la nature qui n’est pas différente de l’ame même, sans avoir égard à ce que le cœur séparé du corps est encore susceptible de mouvemens contractiles, répétés ; mais comme ce prétendu principe moteur ne s’accorde point avec les faits, les observations, on en est venu à faire convenir Sthaal même, que la recherche des causes du mouvement automatique dans le corps humain, est une recherche stérile, en même tems que l’on a avoué que les ressorts du méchanisme ne peuvent en fournir le principe, qu’il semble que l’on ne peut trouver qu’en le cherchant dans une cause physique, telle que l’irritabilité, cette qualité mobile de la matiere animée, sur laquelle on a des observations incontestables, & dont les principaux organes de la circulation paroissent particulierement doués, de maniere qu’il paroît propre à concilier tous les phénomenes ; mais une qualité de cette nature supposeroit toujours une premiere cause qui nous est inconnue. Voyez Irritabilité.

Cependant, dit Boerhaave (comment. in propr. instit. § 40.) si les différentes parties du corps animal ont réellement du rapport avec les instrumens méchaniques, tels que ceux qui ont été mentionnés ci-devant, elles ne peuvent être mises en action, que selon les mêmes lois de mouvement, qui conviennent à ces instrumens ; car toutes les forces des organes consistent dans leurs mouvemens, & ces mouvemens, par quelque cause qu’ils soient produits, ne peuvent se faire que selon les lois générales de la méchanique, quoique ces causes soient inconnues ; parce que ce n’est pas des causes dont il s’agit à cet égard, mais d’effets qui ne peuvent qu’être soumis à ces lois.

Combien ne se fait-il pas de mouvemens dans la nature qui sont très-grands, très-multipliés, mais dont nous ignorons les causes ? cependant ces mouvemens se font selon les lois communes à tout ce qui est matiere. Quoiqu’on ne connoisse pas la cause du