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les hydropisies légeres, les diarrhées invétérées, & d’autres maladies incurables pour ses contemporains qui ne connoissoient point le premier de ces remedes, & qui regardoient l’autre comme un réfrigérant du quatriéme degré.

D’ailleurs, il avoit voyagé par toute l’Europe, en Russie, dans le levant, avoit assisté à des siéges & à des combats, & avoit suivi des armées en qualité de médecin : il professa pendant deux ans la médecine à Bâle, & composa plusieurs ouvrages qu’on vanta d’autant plus qu’ils étoient intelligibles. Il est vrai que les écrits qui portent son nom, sont en si grand nombre & d’un caractere si différent entr’eux, qu’on ne peut s’empêcher d’en attribuer la plus grande partie à ses disciples. Mais on regarde généralement comme originaux, le traité des minéraux, celui de la peste, celui de longâ vitâ & l’Archidoxa medicinæ. Le dernier de ces livres contient quelques découvertes, dont les Chimistes qui lui succéderent immédiatement se firent honneur. Le lithontriptique & l’alcahest de Van-Helmant en sont visiblement tirés. On met encore au nombre des écrits de Paracelse, les livres de arte rerum naturalium.

Je me garderai bien de faire l’analyse des ouvrages de cet homme extraordinaire. Ceux qui auront la patience de les parcourir, s’appercevront bientôt qu’il avoit l’imagination déréglée, & la tête remplie d’idées chimériques. Il donna dans les réveries de l’astrologie, de la géomancie, de la chiromancie, & de la cabale, tous arts dont l’ignorance des tems où il vivoit, entretenoit la vogue. Il n’a rien obmis de tout ce qui pouvoit le faire passer pour un magicien, un sorcier ; mais il a joue de malheur, on ne l’a pris que pour un fourbe. Il se vantoit d’un remede universel, & malgré la promesse qu’il avoit faite de prolonger sa vie à une durée égale à celle de Mathusalem, par le moyen de son élixir, il mourut au cabaret, dans la quarante-huitieme année de son âge, au bout d’une maladie de quelques jours.

Cependant entre les absurdités dont ses ouvrages sont remplis, on trouve quelques bonnes choses, & qui ont servi aux progrès de la Médecine. On ne peut disconvenir qu’il n’ait attaqué avec succès les qualités premieres, le chaud ; le sec, le froid, & l’humide ; c’est lui qui a commencé à détromper les Médecins, & à leur ouvrir les yeux sur le faux d’un système qu’on suivoit depuis le tems de Galien. Il osa le premier traiter la philosophie d’Aristote, de fondement de bois ; & l’on peut dire qu’en découvrant le peu de solidité de cette base, il donna lieu à ses successeurs d’en poser une plus solide.

Son opinion touchant les semences qu’il suppose avoir toutes existé dès le commencement, est adopté aujourd’hui par de très-habiles gens, qui n’ont que le mérite de l’avoir exposée d’une maniere plus vraisemblable. Ce qu’il a avancé sur les principes chimiques, le sel, le souffre, & le mercure, a ses usages dans la physique & dans la Médecine. On ne peut encore disconvenir qu’il n’eût une grande connoissance de la matiere médicale, & qu’il n’eût travaillé sur les végétaux & les minéraux. Il avoit fait un grand nombre d’expériences ; mais il eut la vanité ridicule de cacher les découvertes auxquelles elles l’avoient conduit, & de se vanter de secrets qu’il ne posseda jamais.

La censure que le chancelier Bacon a portée de ce personnage singulier & de ses sectateurs, est très juste. Si les Paracelsistes, dit-il, s’accorderent à l’exemple de leur maître, dans les promesses qu’ils firent au monde, c’est qu’ils étoient unis ensemble par un même esprit de vertige qui les dominoit. Cependant en errant en aveugle, à-travers les dédales de l’expérience, ils tomberent quelquefois sur des dé-

couvertes utiles ; ils cherchoient en tâtonnant (car

la raison n’avoit aucune part dans leurs opérations), & le hasard leur mit sous la main des choses précieuses. Ils ne s’en tinrent pas là : tous couverts de la cendre & de la fumée de leurs laboratoires, ils se mirent à former des théories. Ils tenterent d’élever sur leurs fourneaux un systême de philosophie ; ils s’imaginerent que quelques expériences de distillations leur suffisoient pour cet édifice immense ; ils crurent que des séparations & des mélanges, la plûpart du tems impossibles, étoient les seuls matériaux dont ils avoient besoin ; plus imbécilles que des enfans qui s’amusent à construire des châteaux de cartes.

Le fameux Van-Helmont parut 90 ans après Paracelse, & marcha sur ses traces, mais en homme savant, qui d’ailleurs avoit employé sa vie à examiner par la chimie les fossiles & les végétaux. Ses opinions se répandirent promptement dans toute l’Europe. La Médecine ne connut d’autres remedes que ceux que la Chimie préparoit ; & les productions de cet art passerent pour les seuls moyens qu’on pût employer avec succès à conserver la vie & la santé. Ce qui acheva de mettre les préparations chimiques en réputation, furent les leçons que Sylvius de le Boë dicta peu de tems après à Leyde à un auditoire fort nombreux. Ce professeur prenant à tâche d’accréditer cet art, ne cessoit de vanter ses merveilles ; son éloquence, son exemple, & son autorité, firent toute l’impression qu’il en pouvoit attendre. Otho Tachénius, partisan enthousiaste du mérite de la Chimie, défendit sa gloire par trois traités aussi travaillés que profonds, & la Chimie n’eut plus d’adversaires.

Tout le monde se tint pour convaincu que la nature opere en chimiste ; que la vie de l’homme est son ouvrage ; que les parties du corps sont ses instrumens ; en un mot qu’elle produit par des voies purement chimiques tout ce que la variété infinie des mouvemens fait éclore dans le corps humain. Les écoles des universités ne retentissoient que de ces propositions, & les écrits des Médecins en étoient remplis.

C’est, disoient-ils, par leur acidité que de certaines liqueurs corrodent les métaux ; c’est donc un acide qui dissout les alimens dans l’estomac. Les acides sont extraits par le feu, & si on les mêle avec les huiles des aromates qui sont extrèmement âcres, il se fait une violente effervescence ; l’acidité du chyle produira donc la chaleur naturelle, en se mêlant avec le baume du sang ; s’il arrive que le chyle & le sang soient l’un & l’autre fort âcres, alors il y aura fievre ardente.

On sait que le nitre, le sel marin, & particulierement le sel ammoniac, refroidissent l’eau ; c’est donc ajoutoit-on, à ces matieres qu’il faut attribuer le frisson de la fievre. Les exhalaisons du vin en ébullition, en se portant dans un vaisseau placé au-dessus d’elles, nous offrent, continuoient-ils, une image de la génération des esprits dans notre corps. Les acides mêlés avec les alkalis, produisent une fermentation d’une violence capable de briser les vaisseaux qui les contiennent ; c’est ainsi que le chyle occasionne par son mêlange avec le sang des effervescences dans les ventricules du cœur, & produit toutes les maladies aiguës & chroniques. Ce systême extravagant qui devint le fondement de plusieurs pratiques fatales au genre humain, regnoit encore dans les écoles françoises il n’y a pas long-tems ; on craignoit pour sa vie le duel des acides & des alkalis dans le corps, autant qu’un combat sur mer contre les Anglois.

Comme un beau soleil dissipe les brouillards qui sont tombés sur l’horison, de même au commence-