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les maladies ; elle le gêne & la nuit & le jour ».

Il parcourut la Macédoine, la Thrace & la Thessalie : c’est en voyageant dans ces contrées qu’il recueillit la plus grande partie des observations précieuses qui sont contenues dans ses épidémiques. Il vit toute la Grece, guérissant en chemin faisant non seulement les particuliers, mais les villes & les provinces. Les Illyriens le solliciterent par des Ambassadeurs de se transporter dans leur pays, & de les délivrer d’une peste cruelle qui le ravageoit. Hippocrate étoit fort porté à secourir ces peuples ; mais s’étant informé des vents qui dominoient dans l’Illyrie, de la chaleur de la saison, & de tout ce qui avoit précédé la contagion, il conclut que le mal étoit sans remede. Il fit plus : prévoyant que les mêmes vents ne tarderoient pas à faire passer la peste de l’Illyrie dans la Thessalie, & de la Thessalie en Grece, il envoya sur le champ ses deux fils, Thessalus & Draco, son gendre Polybe, & plusieurs de ses éleves en différens endroits, avec les instructions nécessaires. Il alla lui-même au secours des Thessaliens ; il passa dans la Doride, dans la Phocide & à Delphes, où il fit des sacrifices au dieu qu’on y adoroit ; il traversa la Béotie, & parut enfin dans Athènes, recevant par-tout les honneurs dûs à Apollon. En un mot, il fit en Grece, pour me servir des termes de Callimaque, l’office de cette panacée divine, dont les gouttes précieuses chassent les maladies de tous les lieux où elles tombent.

Dans une autre occasion plus pressante encore, il délivra la ville d’Athènes, selon quelques historiens, de cette grande peste qui causa dans l’Attique des ravages inouis, que Thucydide, qui en fut le témoin oculaire, a si bien décrits, & que Lucrece a chantés dans la suite. On dit qu’il n’employa pour remedes généraux que de grands feux qu’il fit allumer dans toutes les rues, & dans lesquels il fit jetter toutes sortes d’ingrédiens aromatiques, afin de purifier l’air ; méthode pratiquée long-tems avant lui par les Egyptiens.

Telle fut sa réputation, que la plûpart des princes tenterent de l’attirer à leur cour. Il fut appellé auprès de Perdiccas, roi de Macédoine, qu’on croyoit attaqué de consomption ; mais après l’avoir bien examiné, il découvrit que son mal étoit causé par une passion violente dont il brûloit pour Hila, qui étoit la maîtresse de son pere.

On prétend, dans des pieces ajoutées aux œuvres d’Hippocrate, & dont je ne garantis point l’authenticité ; on prétend, dis-je, dans ces pieces, qu’Artaxerxès lui offrit des sommes immenses & des villes entieres pour l’engager à passer en Asie, & à dissiper une peste qui désoloit & ses provinces & ses armées ; il ordonna qu’on lui comptât d’avance cent talens (quarante-cinq mille livres sterling) ; mais Hippocrate regardant ces richesses comme les présens d’un ennemi & l’opprobre éternel de sa maison s’il les acceptoit, les rejetta, & répondit au gouverneur de l’Hellespont qui les lui offroit de la part d’Artaxerxès : « Dites à votre maître que je suis assez riche ; que l’honneur ne me permet pas de recevoir ses dons, d’aller en Asie, & de secourir les ennemis de la Grece »

Quelqu’un lui représentant dans cette occasion qu’il faisoit mal de refuser une fortune aussi considérable que celle qui s’offroit, & qu’Artaxerxès étoit un fort bon maître, il répondit : Je ne veux point d’un maître, quelque bon qu’il soit.

Le sénat d’Abdere le pria de se transporter dans la solitude de Démocrite, & de travailler à la guérison de ce sage, que le peuple prenoit pour fou. On sait ce qu’en dit l’Histoire :

Hippocrate arriva dans le tems
Que celui qu’on disoit n’avoir raison ni sens,

Cherchoit dans l’homme ou dans la bête
Quel siége a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d’un ruisseau,
Les labyrinthes d’un cerveau
L’occupoient. Il avoit à ses piés maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s’avancer ;
Attaché selon sa coutume
......

Lorsque les Athéniens furent sur le point d’attaquer l’île de Cos, Hippocrate, plein d’amour pour sa patrie, se rendit en Thessalie, invoqua contre les armes de l’Attique, des peuples qu’il avoit délivrés de la peste, souleva les états circonvoisins, & en même tems envoya son fils Thessalus à Athènes pour écarter la tempête qui menaçoit son pays. Le pere & le fils réussirent : en peu de jours la Thessalie & le Péloponnese furent en armes, prêts à marcher au secours de Cos ; & les Athéniens, soit par crainte, soit par reconnoissance pour Hippocrate, abandonnerent leur projet.

Ce grand homme, qui semblable aux dieux méprisa les richesses, aima la vérité & fit du bien à tout le monde, ne desira qu’une longue vie en parfaite santé, du succès dans son art, & une réputation durable chez la postérité. Ses souhaits ont été accomplis dans toute leur étendue : on lui a rendu même pendant sa vie des honneurs qu’aucun grec n’avoit reçus avant lui Les Argiens lui éleverent une statue d’or ; les Athéniens lui décernerent des couronnes, le maintinrent lui & ses descendans dans le pritanée, & l’initierent à leurs grands mysteres ; marque de distinction dont Hercule seul avoit été honoré : enfin il a laissé une réputation immortelle. Platon & Aristote le vénérerent comme leur maître, & ne dédaignerent pas de le commenter. Il a été regardé de tout tems comme l’interprete le plus fidele de la nature ; & il conservera, selon les apparences, dans les siecles à venir, une gloire & une réputation que plus de deux mille deux cens ans ont laissées sans atteinte.

Il mourut dans la Thessilie la seconde année, disent quelques auteurs, de la cvij. olympiade, 349 ans avant la naissance de Jesus-Christ, & fut inhumé entre Larisse & Gortone. Ce petit nombre de particularités de la vie d’Hipppocrate sont suffisantes pour se former une idée de son caractere.

Je n’ajouterai que de courts détails sur quelques éditions de ses ouvrages.

La premiere édition grecque parut à Vénise chez Alde en 1526, in fol. La seconde à Bâle par Forbénius, en 1538, in-fol. La premiere édition latine faite sur l’arabe, vit le jour à Vénise en 1493, in-fol. Il en parut une autre traduction sur les manuscrits grecs du Vatican à Rome en 1549, in-fol. La version de Janus Cornarius vit le jour à Venise en 1545, in-8°. & a Bâle en 1553 in-fol. La version latine d’Anutius Fœsius, parut à Francfort en 1596, in-8°.

On compte entre les éditions grecques & latines, 1°. celle de Jérôme Mercurialis, à Venise 1588, infol. 2°. celle d’Anutius Fœsius, à Francfort typis Wechelianis 1595, in-fol. 1621, 1645, & la même à Geneve 1657, in-fol. 3°. de Van-der-linden, avec la version de Cornarius, à Leyde en 1665, 2 vol. in-8°. 4°. De René Charlier, avec les ouvrages de Galien, à Paris 1679, 13 vol. in-fol.

On a imprimé 22 traités d’Hippocrate avec la version de Cornarius, des tables & des notes, à Bâle en 1579, in-fol. & cette édition est maintenant fort rare.

On a tout sujet de croire, suivant plusieurs témoignages des auteurs orientaux, qu’il s’étoit fait en arabe des traductions d’Hippocrate dès les premiers tems d’Almanzor & d’Almamon : mais la version qui a effacé toutes les autres a été celle de Honain, fils d’Isaac, qui fut en grande réputation