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orientales, sur-tout aux endroits où il y a quantité d’ambre gris. Il croit que l’eau de la mer se charge de cette substance en baignant des couches de bitume qui s’étendent dans son bassin, & qui se continuent avec des veines de charbons de terre & de jais dans les montagnes des rivages voisins. Cette cause ne paroît pas être universelle, mais elle ne doit pas être négligée. Boyle nous apprend que le bitume liquide, connu en Angleterre sous le nom de poix des barbades, coule des rochers de ces îles dans la mer. Hales dit qu’on pourroit attribuer en partie à des sources de pétroles l’origine du bitume de la mer.

M. Deslandes prétend que ces minieres de bitume ne se trouvent point dans la mer, mais que l’onctuosité amere de l’eau de la mer vient d’une infinité de matieres pourries, bois, plantes, poissons morts, cadavres ; il remarque qu’un limon huileux enduit toûjours les bords de la mer, & les rend si glissans qu’on a de la peine à s’y soutenir. On voit d’autant mieux comment les cadavres des poissons concourent à la production du bitume des eaux de la mer, qu’on a remarqué que la graisse de poisson est plus propre que les autres graisses à la réduction des terres cuivreuses.

Il paroit que le bitume qui surnage les eaux de la mer est produit par un acide vitriolique, sulfureux, semblable à celui des charbons par l’acide marin plus développé à la surface de ces eaux, & qui se joint au pétrole & aux parties huileuses que fournissent les plantes marines & les poissons en se putréfiant.

On a essayé par un grand nombre de moyens de rendre l’eau de la mer potable. Pour y parvenir, il ne suffit pas de la dessaler, mais il faut encore lui ôter ce goût désagréable & bitumineux qu’elle conserve même après la distillation. Pline rapporte que les navigateurs se procuroient de l’eau douce en exprimant des peaux de moutons, qu’ils avoient étendues autour de leurs vaisseaux & qui avoient été humectées par les vapeurs de la mer ; ou, en descendant dans la mer des vases vuides & bien bouchés, ou des boules de cire creuses : mais le premier moyen étoit insuffisant, & on a observé que le second ne dessaloit pas entierement l’eau marine. La filtration de l’eau de mer à-travers le sable, ou la terre de jardin, n’a pas mieux réussi au comte Marsigli.

On peut rapporter à ces moyens tous ceux dont on a fait usage avant que de connoître l’art de distiller. M. Hales fait entendre que les essais faits avant lui en Angleterre pour rendre l’eau de mer potable, se réduisoient uniquement à la distillation. Je suis surpris qu’il n’ait point parlé du procédé qu’a publié Lister dans les Transactions philosophiques. Il y propose, pour éviter l’empyreume ordinaire à l’eau de mer distillée, de placer l’alembic sur un vase rempli d’eau, ou d’algue, ou d’autres plantes marines. M. Gautier, médecin de Nantes, avoit imaginé fort ingénieusement, pour perfectionner la distillation de l’eau de mer, un vaisseau distillatoire, dont la description se trouve dans le Recueil des machines approuvées par l’académie royale des Sciences, tom. III. nombre 189.

Nous n’avons rien de plus intéressant sur la maniere de rendre l’eau de mer potable, que les expériences de M. Hales ; ce grand physicien ayant distillé une quantité assez considérable d’eau de mer, il en fit diverses portions à mesure qu’elle sortoit de l’alembic. La premiere étoit belle, claire, & de très bon goût ; les dernieres étoient âcres & désagréables. M. Hales s’est assuré que l’eau de mer distillée renfermoit de l’esprit de sel, parce qu’on voit des nuages blancs & épais s’élever dans les différentes portions de cette eau, lorsqu’on y verse de la dissolution d’argent dans l’eau forte, parce qu’elle conserve & durcit la chair, & parce qu’elle se corrompt moins

vîte, & ne sent jamais aussi mauvais que l’eau commune. Cet esprit de sel, qu’on retire par une chaleur au-dessous du degré de l’eau bouillante, paroît à M. Hales n’être point l’esprit du sel marin parfait, mais sortir d’un sel beaucoup plus imparfait, âcre, impur & acide, dont l’eau de mer abonde.

M. Hales a trouvé d’abord que des alkalis fixes, très-forts, la chaux & divers absorbans, étant ajoutés à l’eau de mer distillée, sont très-propres à ôter les qualités nuisibles de cette eau dans une seconde distillation. On voit par-là que M. Appledy n’a rien imaginé de fort nouveau, lorsqu’il a proposé dernierement, comme les nouvelles publiques l’ont rapporté, de dessaler l’eau de la mer par le moyen de la pierre infernale. Les Anglois donnent ce nom à la pierre à cautere, ou à l’alkali fixe combiné avec la chaux. Il paroît certain, quoique M. Hales ne fasse que le conjecturer, que les alkalis fixes, très-forts, ou aiguisés par la chaux, peuvent fixer en partie le soufre désagréable de l’eau de mer, puisqu’on sait d’ailleurs que l’esprit de vin dissout plus de succin lorsque cet esprit est alkalisé, & qu’il en extrait d’autant plus qu’il a été préparé avec un alkali caustique.

Enfin, les embarras d’une seconde distillation ont fait chercher à M. Hales, & découvrir un moyen très-avantageux de rendre l’eau de mer potable & saine. C’est de la laisser premierement bien putréfier, & de la distiller lorsqu’elle sera revenue dans son état naturel : la distillation de cette eau produit les d’une eau qui ne donne aucun nuage blanc lorsqu’on y verse de la solution d’argent, qui n’a guère plus de goût aduste que la meilleure eau de source distillée, qui, de même que l’eau de pluie, se putréfie, & laisse corrompre la chair qu’on y met, &c. jusqu’à ce que les de la liqueur fussent distillées. M. Hales observa qu’aucun esprit de sel ne s’éleva de l’eau marine, mais aux il parut, un pouce au-dessus de la surface de l’eau, un cercle de sel blanchâtre, attaché aux parois intérieurs de la retorte, qui croissoit de plus en plus.

M. Hales explique fort bien la théorie de sa méthode. Pendant que la putréfaction met en mouvement les sels & les soufres de l’eau de mer, l’esprit de sel s’éleve fort aisément dans la distillation de cette eau encore putride ; mais après la putréfaction les parties les plus grossieres s’étant précipitées d’elles-mêmes, il faut beaucoup plus de chaleur pour élever l’esprit du sel imparfait de l’eau de mer qu’il n’en auroit fallu avant la putréfaction, & l’on peut par conséquent distiller une grande quantité de cette eau avant que l’esprit de sel commence à se lever & à s’y méler. Je pense que Boyle employoit la putréfaction dans cette digestion particuliere & fort longue, par laquelle il dit que le sel marin est amené au point que l’esprit de sel s’en éleve sans aucune addition à un feu de sable modéré, & même que cet esprit passe avant le phlegme. Boyle, de origine & productione volatilitatis, cap. iv.

Il nous reste à parler de la lumiere que produisent les eaux de la mer pendant la nuit lorsqu’elles sont agitées. On a observé que dans certains tems & dans certaines mers il se produit plus facilement des points lumineux & même sans le secours de l’agitation, & que ces points conservent leur lumiere beaucoup plus long-tems. M. Vianelli, qui a été suivi de M. l’abbé Nollet & de M. Griselini, a prétendu que ces points lumineux sont des vers luisans de mer, dont il a fait dessiner & graver la figure. Mais M. le Roi, célebre professeur en Médecine de l’université de Montpellier, a objecté contre ce système dans un mémoire fort curieux, qui est imprimé au troisieme volume des Mémoires approuvés par l’académie des Sciences, qu’on ne peut guère concevoir comment la proue d’un vaisseau feroit paroître constam-