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quantité de sang dans les arteres épigastriques, parce que les convulsions retrécissent la cavité des vaisseaux dans la matrice, le vagin, &c. cet effet arrivera surtout dans les filles qui auront les regles supprimées ; & le sang étant retardé dans l’utérus, ira toujours remplir les arteres épigastriques, jusqu’à ce que les mouvemens qui agissent sur la matrice ayant cessé, le sang trouve un passage plus libre. Il faut sur-tout ajouter à cette cause l’action des nerfs sympathiques, qui sont ici les principaux agens.

Le même effet peut arriver si les femmes manient souvent leurs tettons. 1°. Les houpes nerveuses qui se trouvent au mamelon étant chatouillées, tiraillent le tissu spongieux & les vaisseaux sanguins ; ce tiraillement joint à l’action du sang de ce tissu, exprime le lait des vaisseaux sanguins & le fait couler. De plus, le chatouillement des mamelles produit des sensations voluptueuses, met en jeu les parties de la génération, lesquelles à leur tour réagissent sur les mamelles. On a vu des hommes qui en se maniant les mammelles se sont fait venir du lait par la même raison.

Il ne sera pas difficile d’expliquer pourquoi les vuidanges diminuent par l’écoulement du lait, & vice versa, & pourquoi elles augmentent par la suppression du lait ; le sang qui se décharge par une ouverture doit se décharger moins par une autre.

De tout ce que nous venons de dire, il s’ensuit encore que le soir durant la grossesse, la douleur, la tension, la dureté de la mamelle doivent augmenter. 1°. Les mouvemens que les femmes se donnent pendant le jour, font que le sang se porte en plus grande quantité vers les mamelles ; 2°. la chaleur diminue le soir, la pesanteur de l’air augmente, les pores se trouvent moins ouverts, la surface du corps se trouve plus comprimée : tout cela peut faire que le sang regorge vers les mamelles ; on ne doit pas être surpris si alors il en découle une liqueur séreuse, surtout dans les pays septentrionaux.

Voilà la réponse aux principaux phénomenes qui regardent les mamelles : la nature n’a pas exempté cette partie de ses jeux. Ordinairement les femmes n’ont que deux mamelles ; cependant Blasius, Walocus & Borrichius en ont remarqué trois. Thomas Bartholin parle d’une femme qui en avoit quatre. Jean Faber Lyneœus a fait la même remarque d’une femme de Rome, & toutes quatre étoient pleines de lait. Lamy, sur les observations duquel on peut compter, assure qu’il a vu quatre mamelles à une femme accouchée a l’hôtel-dieu, qui toutes rendoient du lait. Il y en avoit deux à la place ordinaire d’une grosseur médiocre, & deux autres immédiatement au-dessous beaucoup plus petites.

On lit dans un recueil de faits mémorables, composé par un moine de Corbie, & dont il est parlé dans la république des lettres Septembre 1686, qu’une paysanne qui vivoit en 1164 avoit quatre mamelles, deux devant & deux derriere, vis-à-vis les unes des autres, également pleines de lait ; & cette femme, ajoute-t-il, avoit eu déjà trois fois des jumeaux qui l’avoient tetté de part & d’autre : mais un fait unique si singulier rapporté par un amateur du merveilleux & dans un siecle de barbarie, ne mérite aucune croyance.

Pour ce qui regarde la grosseur & la grandeur des mamelles, elle est monstrueuse dans quelques personnes & dans quelque pays. Au cap de Bonne-Espérance & en Groenland, il y a des femmes qui les ont si grandes, qu’elles donnent à tetter à leurs enfans par-dessus l’épaule. Les mamelles des femmes de la terre des Papous & de la nouvelle Guinée sont semblablement si longues, qu’elles leur tombent sur le nombril, à ce que dit le Maire dans sa description de ces deux contrées. Cada Mosto, qui le premier

nous a certifié que les pays voisins de la ligne étoient couverts d’habitans, rapporte que les femmes des deserts de Zara font consister la beauté dans la longueur de leurs mamelles. Dans cette idée, à peine ont-elles douze ans qu’elles se serrent les mamelles avec des cordons, pour les faire descendre le plus bas qu’il est possible.

Outre les jeux que la nature exerce sur les mamelles, elle les a encore exposées à des maux terribles dont il ne s’agit pas de parler ici, c’est la triste besogne de la Medecine & de la Chirurgie.

Finissons cette physiologie des mamelles par quelques observations particulieres qui s’y rapportent directement.

Premiere observation. Pour bien voir exactement la structure des mamelles, outre le choix de la mamelle bien conditionnée, médiocrement ferme, d’un volume assez considérable dans une nourrice ou femme morte en couche, ou peu de tems après l’accouchement, il faut diviser le corps de la mamelle en deux parties par une section verticale qui doit se continuer sur le mamelon, pour le partager aussi suivant sa longueur, comme l’enseigne Morgagny, l’auteur à qui l’on doit le plus de recherches sur cette matiere.

Seconde observation. Le tems où les mamelles se gonflent est l’âge où les filles commencent à devenir nubiles, à 12 ans, 14 ans, 16 ans, suivant les pays, & plûtôt ou plûtard dans les unes que dans les autres ; ce gonflement s’exprime en latin par ces termes, mammæ sororiantur, & par d’autres qu’Ovide & Catulle connoissoient mieux que moi. Le tems où les mamelles diminuent varie semblablement, sans qu’il y ait d’âge fixe qui décide de leur diminution.

Troisieme observation. Le lait dans une femme n’est point une preuve certaine de grossesse ; elle peut être vierge & nourrice tout-à-la-fois : nous en avons dit les raisons. Ainsi Bodin a pu assurer sans mensonge qu’il y avoit dans la ville de Ham en Picardie un petit enfant qui s’amusant après la mort de sa mere à sucer le tetton de sa grand’mere, lui fit venir du lait & s’en nourrit. On trouve dans Bonnet d’autres exemples semblables, attestés par la célebre Louise Bourgeois, accoucheuse de l’hôtel-dieu. Enfin on peut lire à ce sujet la dissertation de Francus, intitulée, satyra medica lac virginis.

On cite aussi plusieurs exemples d’hommes dont les mamelles ont fourni du lait ; & l’on peut voir sur ce fait le sepulchretum. On peut consulter en particulier Florentini (Francisci Mariae), de genuino puerorum lacte, & de mamillarum in viro lactifero structurâ, disquisitio, Lucæ 1653. Mais comme personne ne doute aujourd’hui de cette vérité, il est inutile de s’y arrêter davantage.

Quatrieme observation. Nous avons dit ci-dessus que le lait pouvoit sortir par plusieurs endroits du corps humain, comme par la cuisse : voici un fait très-curieux qui servira de preuve, sur le témoignage de M. Bourdon, connu par ses tables anatomiques in-folio, disposées dans un goût fort commode. Il assure avoir vu une fille de 20 ans rendant une aussi grande quantité de lait par de petites pustules qui lui venoient à la partie supérieure de la cuisse gauche sur le pubis, qu’une nourrice en pourroit rendre de ses mamelles. Ce lait laissoit une crême, du fromage & du serum, comme celui de vache, dont il ne différoit que par un peu d’acrimonie qui piquoit la langue. La cuisse d’où ce lait découloit étoit tuméfiée d’un œdème qui diminuoit à proportion de la quantité de lait qui en sortoit ; cette quantité étoit considérable, & affoiblissoit beaucoup cette fille. Quand ce lait parut, elle cessa d’être réglée, & d’ailleurs se portoit bien à l’affoiblissement près dont on