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Ahmed-ben-Cassam-al-Andacousy, more de Grenade, qui vivoit sur la fin du xvj. siecle, cite un manuscrit arabe de saint Cœcilius, archevêque de Grenade, qui fut trouvé avec seize lames de plomb gravées en caracteres arabes, dans une grotte près de la même ville. Dom Pedro y Quinones, archevêque aussi de Grenade, en a rendu lui même témoignage. Ces lames de plomb, qu’on appelle de Grenade, ont été depuis portées à Rome, où, après un examen qui a duré plusieurs années, elles ont enfin été condamnées, comme très-apocryphes, sous le pontificat d’Alexandre VII. Elles ne renferment que quelques histoires fabuleuses touchant la vie de la sainte-Vierge, l’enfance & l’éducation de Jesus-Christ son fils. On y lit entr’autres choses que Jesus-Christ encore enfant & apprenant à l’école l’alphabet arabique, interrogeoit son maître sur la signification de chaque lettre ; & qu’après en avoir appris le sens & la signification grammaticale, il lui enseignoit le sens mystique de chacun de ces caracteres, & lui révéloit ainsi d’admirables profondeurs. Cette histoire est sûrement moins ridicule que les prodiges rapportés dans l’évangile de l’enfance, & toutes les autres fables qu’ont imaginé en divers tems l’inimitié des uns, l’ignorance ou la fraude pieuse des autres.

Le nom de Messie, accompagné de l’épithete de faux, se donne encore à ces imposteurs, qui dans divers tems ont cherché à ces imposteurs, qui dans & ont pu tromper un grand nombre de personnes qui avoient la foiblesse de les regarder comme le vrai Christ, le messie promis. Ainsi il y a eu de ces faux Messies avant même la venue du véritable oint de Dieu. Act. apost. cap v. V. 34. 35. 36. Le sage Gamaliel parle d’un nommé Theudas dont l’histoire se lit dans les antiquités judaïques de Josephe, liv. XX. chap. ij. Il se vantoit de passer le Jourdain à pié sec, il attira beaucoup de gens à sa suite par ses discours & ses prestiges ; mais les Romains étant tombés sur sa petite troupe la disperserent, couperent la tête au malheureux chef, & l’exposerent à Jérusalem aux outrages de la multitude.

Gamaliel parle aussi de Judas le galiléen, qui est sans doute le même dont Josephe fait mention dans le 12 chap. du II. liv. de la guerre des Juifs : il dit que ce fameux prophete avoit ramassé près de 30 mille hommes, mais l’hyperbole est le caractere de l’historien juif : dès les tems appostoliques, act. apost. chap. viij. v. 9. l’on voit Simon le magicien qui avoit su séduire les habitans de Samarie au point qu’ils le considéroient comme la vertu de Dieu.

Dans le siecle suivant, l’an 178-179 de l’ere chrétienne, sous l’empire d’Adrien, parut le faux Messie Barchochebas à la tête d’une grosse armée ; il parcourut la Judée, il y commit les plus grands désordres : ennemi déclaré des chrétiens, il fit périr tous ceux qui tomberent entre ses mains qui ne voulurent pas se faire circoncire de nouveau & rentrer dans le judaïsme.

Tinnius Rufus voulut d’abord réprimer les cruautés de Barchochebas, & arrêter les dangereux progrès de ce faux messie ; l’empereur Adrien voyant que cette révolte pouvoit avoir des suites, y envoya Julius Severus, qui, après plusieurs rencontres, les enferma dans la ville de Bither, qui soutint un siége opiniâtre, & fut enfin emportée. Barchochebas y fut pris & mis à mort, au rapport de saint Jérome & de la chronique d’Alexandrie. Le nombre des juifs qui furent tués ou vendus pendant & après la guerre de Barchochebas, est innombrable. Adrien crut ne pouvoir mieux prévenir les continuelles révoltes des Juifs, qu’en leur défendant par un édit d’aller à Jérusalem ; il établit même des gardes aux portes de cette ville pour en défendre l’entrée au reste du peuple d’Israël.

Au rapport de quelques auteurs juifs, Coziba surnommé Barchochebas, fut mis à mort dans la ville de Byther par les gens de son propre parti, qui s’en défirent, parce, dirent-ils, qu’il n’avoit pas un caractere essentiel du Messie, qui est de connoître par le seul odorat si un homme étoit coupable. Les Juifs disent aussi que l’empereur ayant ordonné qu’on lui envoyât la tête de Barchochebas, eut aussi la curiosité de voir son corps ; mais que lorsqu’on voulut l’enlever, on trouva un énorme serpent autour de son col, ce qui effraya si fort ceux qui étoient venus pour prendre ce cadavre, qu’ils s’enfuirent ; & le fait rapporté à Adrien, il reconnut que Barchochebas ne pouvoit perdre la vie que par la main de Dieu seul. Des faits si puériles & si mal concertés, ne méritent pas qu’on s’arrête à les réfuter. Il paroit qu’Akiba s’étoit déclaré pour Barchochebas, & soutenoit hautement qu’il étoit le Messie. Aussi les disciples de ce fameux rabbin furent les premiers sectateurs de ce faux Christ ; c’est eux qui défendirent la ville de Byther, & furent par l’ordre du général romain, liés avec leurs livres & jettés dans le feu.

Les Juifs, toujours portés aux plus folles exagérations sur tout ce qui a rapport à leur histoire, disent qu’il périt plus de juifs dans la guerre de Byther qu’il n’en étoit sorti d’Egypte. Les crânes de 300 enfans trouvés sur une seule pierre, les ruisseaux de sang si gros qu’ils entraînoient dans la mer, éloignée de quatre milles, des pierres du poids de quatre livres ; les terres suffisamment engraissées par les cadavres pour plus de sept années, sont de ces traits qui caractérisent les historiens juifs, & font voir le peu de fonds qu’on doit faire sur leur narration. Ce qu’il y a de très-vrai, c’est que les Hébreux appellent Adrien un second Nabuchodonosor, & prient Dieu dans leurs jeûnes & dans les prieres d’imprécations (qui font aujourd’hui la majeure partie de leur culte) ; ils prient, dis-je, l’Eternel de se souvenir dans sa colere de ce prince cruel & tyran, qui a détruit 480 synagogues très-florissantes, tant ce peuple, que Tite avoit presque détruit 60 ans auparavant, trouvoit de ressources pour renaître de ses cendres, & redevenir plus nombreux & plus puissant qu’il ne l’avoit été avant ses revers.

On lit dans Socrate, historien ecclésiastique, Soc. hist. eccles. lib. II. cap. xxviij. que l’an 434 il parut dans l’ile de Candie un faux messie qui s’appelloit Moïse, se disant être l’ancien libérateur des Hébreux envoyé du ciel pour procurer à sa nation la plus glorieuse délivrance ; qu’à travers les flots de la mer il la reconduiroit triomphante dans la Palestine.

Les juifs candiots furent assez simples pour ajouter foi à ses promesses ; les plus zélés se jetterent dans la mer, espérant que la verge de Moïse leur ouvriroit dans la mer Méditerranée un passage miraculeux. Un grand nombre se noyerent ; on retira de la mer plusieurs de ces misérables fanatiques ; on chercha, mais inutilement, le séducteur, il avoit disparu, il fut impossible de le trouver ; & dans ce siecle d’ignorance les dupes se consolerent, dans l’idée qu’assurément un démon avoit pris la forme humaine pour séduire les Hébreux.

Un siecle après, savoir l’an 530, il y eut dans la Palestine un faux messie nommé Julien ; il s’annonçoit comme un grand conquérant qui à la tête de sa nation détruiroit par les armes tout le peuple chrétien. Séduits par ses promesses, les Juifs armés opprimerent cruellement les Chrétiens, dont plusieurs furent les malheureuses victimes de leur aveugle fureur. L’empereur Justinien envoya des troupes au secours des Chrétiens : on livra bataille au faux Christ ; il fut pris & condamné au dernier supplice,