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Ne vous enivrez point des éloges flatteurs
Que vous donne un amas de vains admirateurs.

Boil. Art poét. ch. iv.

Le peuple qui jamais n’a connu la prudence,
S’enivroit follement de sa vaine espérance.

Henriade, ch. vij.

» Donner un frein à ses passions, c’est-à-dire n’en pas suivre tous les mouvemens, les modérer, les retenir comme on retient un cheval avec le frein, qui est un morceau de fer qu’on met dans la bouche d’un cheval.

» Mézerai, parlant de l’hérésie, dit qu’il étoit nécessaire d’arracher cette zizanie, (Abrégé de l’hist. de Fr. François II.) c’est-à-dire, cette semence de division ; zizanie est là dans un sens métaphorique : c’est un mot grec, ζιζάνιον, lolium, qui veut dire ivraie, mauvaise herbe qui croît parmi les blés & qui leur est nuisible. Zizanie n’est point en usage au propre, mais il se dit par métaphore pour discorde, mesintelligence, division, semer la zizanie dans une famille.

» Materia (matiere) se dit dans le sens propre de la substance étendue, considérée comme principe de tous les corps ; ensuite on a appellé matiere par imitation & par métaphore ce qui est le sujet, l’argument, le thème d’un discours, d’un poëme ou de quelque autre ouvrage d’esprit. Le prologue du I. liv. de Phedre commence ainsi :

Æsopus autor, quam materiam reperit,
Hanc ego polivi versibus senariis ;

» j’ai poli la matiere, c’est à-dire, j’ai donné l’agrément de la poésie aux fables qu’Esope a inventées avant moi.

» Cette maison est bien riante, c’est à-dire, elle inspire la gaieté comme les personnes qui rient. La fleur de la jeunesse, le feu de l’amour, l’aveuglement de l’esprit, le fil d’un discours, le fil des affaires.

» C’est par métaphore que les différentes classes ou considérations auxquelles se réduit tout ce qu’on peut dire d’un sujet, sont appellées lieux communs en rhétorique & en logique, loci communes. Le genre, l’espece, la cause, les effets, &c. sont des lieux communs, c’est à-dire que ce sont comme autant de cellules où tout le monde peut aller prendre, pour ainsi dire, la matiere d’un discours & des argumens sur toutes sortes de sujets. L’attention que l’on fait sur ces différentes classes, réveille des pensées que l’on n’auroit peut être pas sans ce secours. Quoique ces lieux communs ne soient pas d’un grand usage dans la pratique, il n’est pourtant pas inutile de les connoître ; on en peut faire usage pour réduire un discours à certains chefs ; mais ce qu’on peut dire pour & contre sur ce point n’est pas de mon sujet. On appelle aussi en Théologie par métaphore, loci theologici, les différentes sources où les Théologiens puisent leurs argumens. Telles sont l’Ecriture sainte, la tradition contenue dans les écrits des saints peres, des conciles, &c.

» En termes de Chimie, regne se dit par métaphore, de chacune des trois classes sous lesquelles les Chimistes rangent les êtres naturels. 1° Sous le regne animal, ils comprennent les animaux. 2° Sous le regne végétal, les végétaux, c’est-à-dire ce qui croît, ce qui produit, comme les arbres & les plantes. 3° Sous le regne minéral, ils comprennent tout ce qui vient dans les mines.

» On dit aussi par métaphore que la Géographie & la Chronologie sont les deux yeux de l’Histoire. On personnifie l’Histoire, & on dit que la Géographie & la Chronologie sont, à l’égard de l’Histoire,

ce que les yeux sont à l’égard d’une personne vivante ; par l’une elle voit, pour ainsi dire, les lieux, & par l’autre les tems ; c’est-à dire qu’un historien doit s’appliquer à faire connoître les lieux & les temps dans lesquels se sont passés les faits dont il décrit l’histoire.

» Les mots primitifs d’où les autres sont dérivés ou dont ils sont composés, sont appellés racines par métaphore : il y a des dictionnaires où les mots sont rangés par racines. On dit aussi par métaphore, parlant des vices ou des vertus, jetter de profondes racines, pour dire s’affermir.

» Calus, dureté, durillon, en latin callum, se prend souvent dans un sens métaphorique ; labor quasi callum quoddam obducit dolori, dit Cicéron, Tusc. II. n. 15. seu 36 ; le travail fait comme une espece de calus à la douleur, c’est à-dire que le travail nous rend moins sensibles à la douleur ; & au troisieme livre des Tusculanes, n. 22. sect. 53, il s’exprime de cette sorte : Magis me moverant Corinthi subito ad pectæ parietinæ, quam ipsos Corinthios, quorum animis diuturna cogitatio callum vetustatis obduxarat ; je fus plus touché de voir tout-d’un-coup les murailles ruinées de Corinthe, que ne l’étoient les Corinthiens mêmes, auxquels l’habitude de voir tous les jours depuis long tems leurs murailles abattues, avoit apporté le calus de l’ancienneté, c’est-à dire que les Corinthiens, accoutumés à voir leurs murailles ruinées, n’étoient plus touchés de ce malheur. C’est ainsi que callere, qui dans le sens propre veut dire avoir des durillons, être endurci, signifie ensuite par extension & par métaphore, savoir bien, connoître parfaitement, ensorte qu’il se soit fait comme un calus dans l’esprit par rapport à quelque connoissance. Quo pacto id fieri soleat calleo, (Ter. Heaut. act. III. se. ij. v. 37.) la maniere dont cela se fait, a fait un calus dans mon esprit ; j’ai médité sur cela, je sais à merveille comment cela se fait ; je suis maitre passé, dit madame Dacier. Ihius sensum calleo, (id. Adelph. act. IV. sc. j. v. 17.) j’ai étudié son humeur, je suis accoutume à ses manieres, je sais le prendre comme il faut.

» Vûe se dit au propre de la faculté de voir, & par extension de la maniere de regarder les objets : ensuite on donne par métaphore le nom de vûe aux pensées, aux projets, aux desseins, avoir de grandes vûes, perdre de vûe une entreprise, n’y plus penser.

» Goût se dit au propre du sens par lequel nous recevons les impressions des saveurs. La langue est l’organe du goût. Avoir le goût dépravé, c’est à-dire trouver bon ce que communément les autres trouvent mauvais, & trouver mauvais ce que les autres trouvent bon. Ensuite on se sert du terme de goût par métaphore, pour marquer le sentiment intérieur dont l’esprit est affecté à l’occasion de quelque ouvrage de la nature ou de l’art. L’ouvrage plaît ou déplaît, on l’approuve ou on le desapprouve, c’est le cerveau qui est l’organe de ce goût-là. Le goût de Paris s’est trouvé conforme au goût d’Athènes, dit Racine dans sa préface d’Iphigénie, c’est à-dire, comme il le dit lui-même, que les spectateurs ont été émus à Paris des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce. Il en est du goût pris dans le sens figuré, comme du goût pris dans le sens propre.

» Les viandes plaisent ou déplaisent au goût sans qu’on soit obligé de dire pourquoi : un ouvrage d’esprit, une pensée, une expression plaît ou déplaît, sans que nous soyons obligés de pénétrer la raison du sentiment dont nous sommes affectés.

» Pour se bien connoître en mets & avoir un goût sûr, il faut deux choses ; 1° un organe délicat ;