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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/481

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bornoit au couchant, depuis le cap Mindoisin, jusqu’aux extrémités de la nouvelle Galice. Le côté du sud occupoit cette vaste côte, qui court au long de la mer du Sud, depuis Acapulco jusqu’à Guatimala ; le côté du nord s’étendoit jusqu’à Panuco, en y comprennant cette province.

Tout cela étoit l’ouvrage de deux siecles. Le premier chef des Mexiquains, qui vivoient d’abord en république, fut un homme très-habile & très-brave ; & depuis ce tems-là, ils élurent, & déférerent l’autorité souveraine à celui qui passoit pour le plus vaillant.

Les richesses de l’empereur étoient si considérables, qu’elles suffisoient non-seulement à entretenir les délices de sa cour, mais des armées nombreuses pour couvrir les frontieres. Les mines d’or & d’argent, les salines, & autres droits, lui produisoient des revenus immenses. Un grand ordre dans les finances maintenoit la prospérité de cet empire. Il y avoit différens tribunaux pour rendre la justice, & même des juges des affaires de commerce. La police étoit sage & humaine, excepté dans la coutume barbare (& autrefois répandue chez tant de peuples) d’immoler des prisonniers de guerre à l’idole Vitztzilipuzli, qu’ils regardoient pour le souverain des dieux. L’éducation de la jeunesse formoit un des principaux objets du gouvernement. Il y avoit dans l’empire des écoles publiques établies pour l’un & l’autre sexe. Nous admirons encore les anciens Egyptiens, d’avoir connu que l’année est d’environ 365 jours ; les Mexiquains avoient poussé jusques-là leur astronomie.

Tel étoit l’état du Mexique lorsque Fernand Cortez, en 1519, simple lieutenant de Vélasquez, gouverneur de l’ile de Cuba, partit de cette île avec son agrément, suivi de 600 hommes, une vingtaine de chevaux, quelques pieces de campagne, & subjuga tout ce puissant pays.

D’abord Cortez est assez heureux pour trouver un espagnol, qui, ayant été neuf ans prisonnier à Yucatan, sait le chemin du Mexique, lui sert de guide & de truchement. Une américaine, qu’il nomme dona Marina, devient à-la-fois sa maîtresse & son conseil, & apprend bientôt assez d’espagnol, pour être aussi une interprete utile. Pour comble de bonheur, on trouve un volcan plein de souphre & de salpètre, qui sert à renouveller au besoin la poudre qu’on consommeroit dans les combats.

Cortez avance devant le golphe du Mexique, tantôt caressant les naturels du pays, & tantôt faisant la guerre. La puissante république de Tlascala se joint à lui, & lui donne six mille hommes de ses troupes, qui l’accompagnent dans son expédition. Il entre dans l’empire du Mexique, malgré les défenses du souverain, qu’on nommoit Montezuma : « Mais ces animaux guerriers sur qui les principaux Espagnols étoient montés, ce tonnerre artificiel qui se formoit dans leurs mains, ces châteaux de bois qui les avoient apportés sur l’Océan, ce fer dont ils étoient couverts, leurs marches comptées par des victoires ; tant de sujets d’admiration, joints à cette foiblesse qui porte le peuple à admirer ; tout cela fit que quand Cortez arriva dans la ville de Mexico, il fut reçu de Montézuma comme son maître, & par les habitans, comme leur dieu. On se mettoit à genoux dans les rues, quand un valet espagnol passoit. »

Cependant, peu-à-peu, la cour de Montezuma s’apprivoisant avec leurs hôtes, ne les regarda plus que comme des hommes. L’empereur ayant appris qu’une nouvelle troupe d’Espagnols étoit sur le chemin du Mexique, la fit attaquer en secret par un de ses généraux, qui par malheur fut battu. Alors Cortez, suivi d’une escorte espagnole, & accompagné

de sa dona Marina, se rend au palais du roi. Il emploie tout ensemble la persuasion & la menace, emmene à son quartier l’empereur prisonnier, & l’engage de se reconnoitre publiquement vassal de Charles-Quint.

Montézuma, & les principaux de la nation, donnent pour tribut attaché à leur hommage, six cent mille marcs d’or pur, avec une incroyable quantité de pierreries, d’ouvrages d’or, & tout ce que l’industrie de plusieurs siecles avoit fabriqué de plus rare dans cette contrée. Cortez en mit à part le cinquieme pour son maître, prit un cinquieme pour lui, & distribua le reste à ses soldats.

Ce n’est pas là le plus grand prodige ; il est bien plus singulier que les conquérans de ce nouveau monde, se déchirant eux-mêmes, les conquêtes n’en souffrirent pas. Jamais le vrai ne fut moins vraissemblable. Velasquez offensé de la gloire de Cortez, envoye un corps de mille Espagnols avec deux pieces de canon pour le prendre prisonnier, & suivre le cours de ses victoires. Cortez laisse cent hommes pour garder l’empereur dans sa capitale, & marche, suivi du reste de ses gens, contre ses compatriotes. Il défait les premiers qui l’attaquent, & gagne les autres, qui, sous ses étendards, retournent avec lui dans la ville de Mexico.

Il trouve à son arrivée cent mille Américains en armes contre les cent hommes qu’il avoit commis à la garde de Montézuma, lesquels cent hommes, sous prétexte d’une conspiration, avoient pris le tems d’une fête pour égorger deux mille des principaux seigneurs, plongés dans l’ivresse de leurs liqueurs fortes, & les avoient dépouillés de tous les ornemens d’or & de pierreries dont ils s’étoient parés. Montézuma mourut dans cette conjoncture ; mais les Mexicains animés du desir de la vengeance, élurent en sa place Quahutimoc, que nous appellons Gatimozin, dont la destinée fut encore plus funeste que celle de son prédécesseur.

Le désespoir & la haine précipitoient les Mexicains contre ces mêmes hommes, qu’ils n’osoient auparavant regarder qu’à genoux ; Cortez se vit forcé de quitter la ville de Mexico, pour n’y être pas affamé. Les Indiens avoient rompu les chaussées, & les Espagnols firent des ponts avec les corps des ennemis qui les poursuivoient. Mais dans leur retraite sanglante, ils perdirent tous les trésors immenses qu’ils avoient ravis pour Charles-Quint, & pour eux. Cortez n’osant s’écarter de la capitale, fit construite des bâtimens, afin d’y rentrer par le lac. Ces brigantins renverserent les milliers de canots chargés de Mexicains qui couvroient le lac, & qui voulurent vainement s’opposer à leur passage.

Enfin, au milieu de ces combats, les Espagnols prirent Gatimozin, & par ce coup funeste aux Mexiquains, jetterent la consternation & l’abattement dans tout l’empire du Mexique. C’est ce Gatimozin si fameux par les paroles qu’il prononça, lorsqu’un receveur des trésors du roi d’Espagne le fit mettre sur des charbons ardens, pour savoir en quel endroit du lac il avoit jetté toutes ses richesses. Son grand-prêtre condamné au même supplice, poussoit les cris les plus douloureux, Gatimozin lui dit sans s’émouvoir : « Et moi suis-je sur un lit de roses ?»

Ainsi Cortez se vit, en 1521, maître de la ville de Mexique, avec laquelle le reste de l’empire tomba sous la domination espagnole, ainsi que la Castille d’or, le Darien, & toutes les contrées voisines.

L’empire du Mexique se nomme aujourd’hui la nouvelle Espagne. Ce fut Jean de Grijalva, natif de Cuellar en Espagne, qui découvrit le premier cette vaste région, en 1518, & l’appella nouvelle Espagne. Vélazquez, dont j’ai parle, lui en avoit donné la commission, en lui défendant d’y faire aucun éta-