Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On donne aussi le nom de militaire à tout le corps en général des officiers. Ainsi l’on dit d’un ouvrage, qu’il sera utile à l’instruction du militaire, pour exprimer l’utilité que les officiers peuvent en tirer. On dit de même la science militaire, pour la science de la guerre ou celle qui convient à tous les officiers pour agir par regles & principes.

Militaire, discipline des Romains, (Art. milit.) La discipline militaire consistoit principalement dans les services, les exercices, & les lois. Les services étoient différens devoirs dont il falloit s’acquitter, comme des gardes & des sentinelles pendant la nuit. Des qu’on étoit campé, les tribuns nommoient deux soldats principes, ou hastati, pour avoir soin de faire tenir propre la rue appellée principia, & ils en tiroient trois autres de chacune des compagnies, pour faire dresser les tentes, fournir de l’eau, du bois, des vivres, & autres choses de cette nature.

Il paroît que les tribuns avoient deux corps-de-garde de quatre hommes chacun, soit pour honorer leur dignité, soit pour leur commodité particuliere. Le questeur & les lieutenans généraux avoient aussi les leurs. Pendant que les chevaliers étoient de garde, les triariens les servoient, & avoient soin de leurs chevaux. Saluste nous apprend que tous les jours une compagnie d’infanterie, & une de cavalerie, faisoient la garde près de la tente du général ; c’étoit la même chose pour les alliés. Il y avoit à chaque porte une cohorte & une compagnie de cavalerie qui faisoit la garde ; on la relevoit vers midi selon la regle établie par Paul Emile.

Le second service militaire étoit donc de faire la garde durant la nuit. Il y avoit, comme parmi nous, la sentinelle, la ronde, & le mot du guet, tessera. Sur dix compagnies, on choissoit tour-à-tour un soldat, appellé pour cet effet tesserarius, qui vers le coucher du soleil, se rendoit chez le tribun, qui étoit de jour, & recevoit de lui une petite tablette de bois, où par l’ordre du général étoient écrits un ou plusieurs mots ; par exemple, à la bataille de Philippe, César & Antoine donnerent le nom d’Appollon pour mot du guet. On écrivoit encore sur ces mêmes tablettes quelques ordres pour l’armée. Celui qui avoit reçu le mot du guet, après avoir rejoint sa compagnie, le donnoit, en présence de témoins, au capitaine de la compagnie suivante. Celui-ci le donnoit à l’autre, & toujours de même, ensorte qu’avant le coucher du soleil toutes ces tablettes étoient apportées au tribun, lequel par une inscription particuliere qui marquoit tous les corps de l’armée, comme les piquiers, les princes, &c. pouvoient connoître celui qui n’avoit point rapporté sa tablette : sa faute ne pouvoit être niée, parce qu’on entendoit sur cela des témoins.

Toutes les-sentinelles étoient de quatre soldats, comme les corps-de-gardes, usage qui paroît avoir été toujours observé. Ceux qui la nuit faisoient la sentinelle auprès du général & des tribuns, étoient en aussi grand nombre que ceux de la garde du jour. On posoit même une sentinelle à chaque compagnie. Il y en avoit trois chez le questeur, & deux chez les lieutenans généraux. Les vélites gardoient les dehors du camp. A chaque porte du camp on plaçoit une décurie, & l’on y joignoit quelques autres soldats. Ils faisoient la garde pendant la nuit, quand l’ennemi étoit campé près de l’armée. On divisoit la nuit en quatre parties qu’on appelloit veilles, & cette division se faisoit par le moyen des clepsydres : c’étoient des horloges d’eau qui leur servoient à regler le tems. Il y avoit toujours un soldat qui veilloit pendant que les autres se reposoient à côté de lui, & ils veilloient tour-à-tour. On leur donnoit à tous une tablette différente, par laquelle on connoissoit à quelle veille

tel soldat avoit fait la sentinelle, & de quelle compagnie il étoit.

Enfin il y avoit la ronde, qui se faisoit ordinairement par quatre cavaliers, que toutes les compagnies fournissoient chacune à leur tour. Ces cavaliers tiroient leurs veilles au sort. Un centurion faisoit donner le signal avec la trompette, & partageoit le tems également par le moyen d’une clepsydre. Au commencement de chaque veille, lorsqu’on renvoyoit ceux qui veilloient à la tente du général, tous les instrumens donnoient le signal. Celui à qui étoit échu la premiere veille, & qui recevoit la tablette des autres qui étoient en sentinelle, s’il trouvoit quelqu’un dormant, ou qui eût quitté son poste, il prenoit à témoin ceux qui étoient avec lui & s’en alloit. Au point du jour chacun de ceux qui faisoient la ronde reportoit les tablettes au tribun qui commandoit ce jour là, & quand il en manquoit quelqu’une, on cherchoit le coupable que l’on punissoit de mort si on le découvroit. Tous les centurions, les décurions, & les tribuns alloient environ à la même heure saluer leur général, qui donnoit ses ordres aux tribuns, qui les faisoient savoir aux centurions, & ceux ci aux soldats. Le même ordre s’observoit parmi les alliés.

Les exercices militaires faisoient une autre partie de la discipline ; aussi c’est du mot exercitium, exercice, que vient celui d’exercitus, armée, parce que plus des troupes sont exercées, plus elles sont aguerries. Les exercices regardoient les fardeaux qu’il falloit porter, les ouvrages qu’il falloit faire, & les armes qu’il falloit entretenir. Les fardeaux que les soldats étoient obligés de porter, étoient plus pesans qu’on ne se l’imagine, car ils devoient porter des vivres, des ustensiles, des pieux, & outre cela leurs armes. Ils portoient des vivres pour quinze jours & plus ; ces vivres consistoient seulement en blé, qu’ils écrasoient avec des pierres quand ils en avoient besoin ; mais dans la suite ils porterent du biscuit qui étoit fort léger ; leurs ustensiles étoient une scie, une corbeille, une bèche, une hache, une faulx, pour aller au fourrage : une chaîne, une marmite pour faire cuire ce qu’ils mangeoient. Pour des pieux, ils en portoient trois ou quatre, & quelquefois davantage. Du reste, leurs armes n’étoient pas un fardeau pour eux, ils les regardoient en quelque sorte comme leurs propres membres.

Les fardeaux dont ils étoient chargés ne les empêchoient pas de faire un chemin très-long. On lit que dans cinq heures ils faisoient vingt mille pas. On conduisoit aussi quelques bêtes de charge, mais elles étoient en petit nombre. Il y en avoit de publiques, qui portoient les tentes, les meules, & autres ustensiles. Il y en avoit aussi qui appartenoient aux personnes considérables. On ne se servoit presque point de chariots, parce qu’ils étoient trop embarrassans. Il n’y avoit que les personnes d’un rang distingué qui eussent des valets.

Lorsque les troupes décampoient, elles marchoient en ordre au son de la trompette. Quand le premier coup du signal étoit donné, tous abattoient leurs tentes & faisoient leurs paquets ; au second coup, ils les chargeoient sur des bêtes de somme ; & au troisieme, ou faisoit défiler les premiers rangs. Ceux-là étoient suivis des alliés de l’aîle droite avec leurs bagages : après eux défiloient la premiere & la deuxieme légion, & ensuite les alliés de l’aîle gauche, tous avec leurs bagages ; ensorte que la forme de la marche & celle du camp, étoient à-peu-près semblables. La marche de l’armée étoit une espece de camp ambulant : les cavaliers marchoient tantôt sur les aîles, & tantôt à l’arriere-garde. Lorsqu’il y avoit du danger, toute l’armée se serroit, & cela s’appelloit pilatum agmen ; alors on faisoit marcher