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une maille seulement, attendu que dans cette étoffe, qui est la même que le gros-de-tours, lorsque l’ouvrier foule la marche pour faire l’ouverture de la chaîne quand il veut passer son coup de navette, il faut qu’il fasse baisser les deux lisses de rabat qui se rapportent aux deux lisses qui ne levent pas, afin que son ouverture soit nette & qu’il ne se trouve pas de fil en l’air, c’est-à-dire qui pourroient suivre ceux qui doivent lever, soit par une tenue ou union du fil qui leve avec celui qui ne leve pas, ce que le rabat empêche dans les gros-de-tours à l’ordinaire ; & dans l’étoffe de cette espece, le passage du fil à col tors qui se trouve dans la maille de la lisse qui baisse quand les deux autres levent. Aussi dans l’étoffe de cette espece il n’y a ni carrete, ni calquerons, ni alerons : les lisses étant suspendues de deux en deux sur une poulie de chaque côté, de façon que pour faire l’ouverture de la chaîne ; on fait simplement baisser une lisse, laquelle en baissant fait lever celle qui la joint avec laquelle elle est suspendue, au moyen de la poulie sur laquelle la corde qui tient les deux lisses est passée, & par ce moyen il n’est besoin que de deux étrivieres, au lieu de quatre qui seroient nécessaires s’il y avoit un rabat, afin de faire baisser les deux lisses qui forment le gros-de-tours & faire lever les deux autres, de façon que deux marches suffisent pour faire lever & baisser alternativement la moitié de la chaîne.

La façon de pendre les lisses pour la fabrication de la moëre unie, n’est pas seulement pour éviter les étrivieres, les alerons, calquerons, &c. elle concourt encore à la perfection de cette étoffe, qui est des plus délicates, sur-tout celle qui est unie, en ce que, lorsque l’ouvrier foule la marche, les deux lisses qui baissent faisant lever les deux autres lisses qui leur correspondent, il arrive que la moitié de la chaîne qui baisse, baissant autant que celle qui leve, l’extension de la chaîne se trouve égale dessous comme dessus, & fait que le grain du gros-de-tours se trouve plus parfait que dans toutes les autres étoffes de fabrique dans lesquelles les lisses que l’ouvrier fait lever pour faire l’ouverture de la chaîne, étant les seules qui sont fatiguées par l’effort de l’extension de la chaîne, il n’est pas possible que la soie qui leve ne souffre beaucoup par rapport à cette même extension, puisqu’elle en supporte tout le poids, & qu’au contraire, celle qui ne leve pas ne lâche un peu ou ne soit moins tendue dans cet intervalle, ce qui occasionne nécessairement une imperfection qu’on ne sauroit éviter qu’en procurant à la soie qui compose la chaîne une égalité parfaite pendant le cours de la fabrication.

Quoique les fils soient passés à col tors dans les moëres de cette espece, & qu’ils soient arrêtés dans la maille, néanmoins l’on en fabrique qui sont brochées, ce qui paroît d’autant plus surprenant que la façon en est des plus simples.

Comme le poids des deux marches tient les lisses tendues, on en ajoute une troisieme, laquelle au moyen d’une corde qui prend les quatre lisserons d’en bas des quatre lisses, les souleve, lorsque l’on tire les lacs pour brocher les fleurs, de la hauteur convenable pour que la soie tirée puisse lever, & au moyen d’une invention aussi simple, les mailles n’étant plus tendues on broche les fleurs, qui ne sont liées que par la corde, dans cette étoffe comme dans une autre.

Les moëres doubles unies sont montées comme les moëres simples, avec cette différence qu’elles ont plus de lisses afin que les fils soient plus dégagés ; par exemple, une moëre de 40 portées doubles, montée sur quatre lisses, fournit 10 portées doubles sur chacune, ce qui fait 800 fils, conséquemment 800 mailles. Or comme dans une moëre double qui

n’auroit que quatre lisses, chacune de ces lisses contiendroit 1600 mailles, lesquelles dans la largeur de onze vingt-quatriemes, qui est celle des étoffes de la fabrique, cette quantité de mailles par son volume gêneroit les fils d’une façon qu’il seroit très difficile de les faire lever & baisser avec facilité, & avec autant d’aisance que l’exige cette étoffe, pour que les fils n’étant ni gênés ni contrariés elle soit parfaite, ce qui fait qu’au-lieu de quatre lisses on en met ordinairement huit, pour que ces mêmes fils soient plus dégagés (c’est le terme), & que l’étoffe acquiere toute la perfection dont elle est susceptible.

Les moëres satinées sont montées différemment, il faut que les chaînes soient ourdies à fils simples, elles sont ordinairement de 100 portées, les plus belles sont de 120 portées, ce qui fait 9600 fils. On les nomme satinées parce qu’elles ont des fleurs qui forment un satin parfait de la couleur de la chaîne & qu’elles se font à la tire ; ces étoffes & les fleurs ont l’endroit dessus, il ne pourroit pas se faire dessous. On les monte à 12 lisses, on ne pourroit pas en mettre moins, savoir 8 lisses de satin où les fils sont passés simples, & 4 lisses pour le gros-de-tours où ils sont passés doubles. Il faut que les 2 fils des 2 premieres lisses de satin soient passés dans la maille de la premiere lisse du gros-de-tours, les 2 de la troisieme & quatrieme lisse dans la maille de la seconde, ceux de la cinquieme & de la sixieme dans celle de la troisieme, & enfin ceux de la septieme & de la huitieme dans celle de la quatrieme.

Les huit lisses de satin forment un rabat, de façon que les fils qui y sont passés sont dessous la maille, pour que la lisse puisse les faire baisser. Les quatre lisses pour les gros-de-tours ont les fils passés dessus la maille pour qu’elles puissent les faire lever. Il faut huit marches pour fabriquer cette étoffe ; chaque marche fait lever deux lisses de gros-de-tours à l’ordinaire, & baisser une lisse de rabat. L’armure des quatre lisses de gros-de-tours est à l’ordinaire, une prise & une laissée alternativement, celle du rabat est une prise & deux laissées pour le premier coup, comme dans les satins ordinaires, c’est-à-dire au premier coup de navette la premiere, au second coup la quatrieme, au troisieme coup la septieme, au quatrieme coup la seconde, au cinquieme coup la cinquieme, au sixieme coup la huitieme, au septieme coup la troisieme, au huitieme coup la sixieme : on entend par la premiere lisse celle qui est du côté du corps, ainsi des autres.

Lorsqu’on veut travailler l’étoffe, on fait tirer le lac qui doit faire le façonné en satin, pour-lois on fait lever la 2e & la 4e lisse du gros-de-tours & baisser la premiere lisse du rabat pour le premier coup ; & comme il faut passer deux coups de navette sur chaque lac tiré, au second coup on fait lever la premiere & la troisieme lisse de gros-de-tours & baisser la quatrieme lisse du rabat, suivant l’armure qui a été décrite ci-devant, ce qui fait que la partie qui n’est pas tirée fait visiblement un gros-de-tours, puisque les deux lisses qui levent font lever la moitié de la chaîne, & que dans celle qui est tirée le rabat n’en faisant baisser que la huitieme partie, les sept restantes ne sauroient manquer de former un satin parfait dans la figure ou dans tout ce qui est tiré.

Une observation très-importante à faire, est que quoiqu’on puisse faire un beau satin par une prise & une laissée, même par les lisses suivies, néanmoins la moëre ne pourroit pas se faire satinée si l’armure n’étoit pas d’une lisse prise & de deux laissées, comme il a été expliqué ci-devant, en voici la raison. On a dit que les huit lisses sous la maille desquelles sont passés les fils simples de la chaîne se