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Mora’wska-zemir, riviere de la Turquie européenne, qui prend sa source aux confins de la Bohème, passe dans la Moravie, & se jette dans le Danube. (D. J.)

MORAVES ou FRERES UNIS, Moraves, Moravites ou Freres unis, secte particuliere & reste de Hussites, répandus en bon nombre sur les frontieres de Pologne, de Bohème & de Moravie ; d’où, selon toute apparence, ils ont pris le nom de Moraves : on les appelle encore Hernheutes, du nom de leur principale résidence en Lusace, contrée d’Allemagne.

Ils subsistent de nos jours en plusieurs maisons ou communautés, qui n’ont d’autre liaison entr’elles, que la conformité de vie & d’institut. Ces maisons sont proprement des agrégations de séculiers, gens mariés & autres, mais qui tous ne sont retenus que par le lien d’une société douce & toujours libre ; agrégation où tous les sujets en société de biens & de talens, exercent différens arts & professions au profit général de la communauté ; de façon néanmoins que chacun y trouve aussi quelque intérêt qui lui est propre. Leurs enfans sont élevés en commun aux dépens de la maison, & on les y occupe de bonne heure, d’une maniere édifiante & fructueuse ; ensorte que les parens n’en sont point embarrassés.

Les Moraves font profession du christianisme, ils ont même beaucoup de conformité avec les premiers chrétiens, dont ils nous retracent le désintéressement & les mœurs. Cependant ils n’admettent guere que les principes de la théologie naturelle, un grand respect pour la Divinité, une exacte justice jointe à beaucoup d’humanité pour tous les hommes ; & plus outrés à quelques égards que les protestans mêmes, ils ont élagué dans la religion tout ce qui leur a paru sentir l’institution humaine. Du reste, ils sont plus que personne dans le principe de la tolérance ; les gens sages & modérés de quelque communion qu’ils soient, sont bien reçus parmi eux, & chacun trouve dans leur société toute la facilité possible pour les pratiques extérieures de sa religion. Un des principaux articles de leur morale, c’est qu’ils regardent la mort comme un bien, & qu’ils tâchent d’inculquer cette doctrine à leurs enfans, aussi ne les voit-on point s’atrister à la mort de leurs proches. Le comte de Zintkendorf patriarche ou chef des freres unis, étant décédé au mois de Mai 1760, fut inhumé à Erngut en Lusace avec assez de pompe, mais sans aucun appareil lugubre ; au contraire, avec des chants mélodieux & une religieuse allégresse. Le comte de Zintkendorf étoit un seigneur allemand des plus distingués & qui ne trouvant dans le monde rien de plus grand ni de plus digne de son estime, que l’institut des Moraves, s’étoit fait membre & protecteur zélé de cette société, avant lui opprimée & presque éteinte, mais société qu’il a soutenue de sa fortune & de son crédit, & qui en conséquence reparoît aujourd’hui avec un nouvel éclat.

Jamais l’égalité ne fut plus entiere que chez les Moraves ; si les biens y sont communs entre les freres, l’estime & les égards ne le sont pas moins, je veux dire que tel qui remplit une profession plus distinguée, suivant l’opinion, n’y est pas réellement plus considéré qu’un autre qui exerce un métier vulgaire. Leur vie douce & innocente leur attire des prosélites, & les fait généralement estimer de tous les gens qui jugent des choses sans préoccupation. On sait que plusieurs familles Moravites ayant passé les mers pour habiter un canton de la Géorgie américaine sous la protection des Anglois ; les sauvages en guerre contre ceux-ci, ont parfaitement distingué ces nouveaux habitans sages & pacifiques. Ces prétendus barbares, malgré leur extrème supériorité

n’ont voulu faire aucun butin sur les fieres unis, dont ils respectent le caractere paisible & désintéressé. Les Moraves ont une maison à Utrecht ; ils en ont aussi en Angleterre & en Suisse.

Nous sommes si peu attentifs aux avantages des communautés, si dominés d’ailleurs par l’intérêt particulier, si peu disposés à nous secourir les uns les autres & à vivre en bonne intelligence, que nous regardons comme chimérique tout ce qu’on nous dit d’une société assez raisonnable pour mettre ses biens & ses travaux en commun. Cependant l’histoire ancienne & moderne nous fournit plusieurs faits semblables. Les Lacédémoniens, si célébres parmi les Grecs, formerent au sens propre une république, puisque ce qu’on appelle propriété y étoit presque entierement inconnu. On en peut dire autant des Esséniens chez les Juifs, des Gymnosophistes dans les Indes ; enfin, de grandes peuplades au paraguay réalisent de nos jours tout ce qu’il y a de plus étonnant & de plus louable dans la conduite des Moraves. Nous avons même parmi nous quelque chose d’approchant dans l’établissement des freres cordonniers & tailleurs, qui se mirent en communauté vers le milieu du dix-septieme siecle. Leur institut consiste à vivre dans la continence, dans le travail & dans la piété, le tout sans faire aucune sorte de vœux.

Mais nous avons sur-tout en Auvergne d’anciennes familles de laboureurs, qui vivent de tems immémorial dans une parfaite société, & qu’on peut regarder à bon droit comme les Moraves de la France ; on nous annonce encore une société semblable à quelques lieues d’Orléans, laquelle commence à s’établir depuis vingt à trente ans. A l’égard des communautés d’Auvergne beaucoup plus anciennes & plus connues, on nomme en tête les Quitard-Pinou comme ceux qui du tems de plus loin & qui prouvent cinq cens ans d’association, on nomme encore les Arnaud, les Pradel, les Bonnemoy, le Tournel & les Anglade, anciens & sages roturiers, dont l’origine se perd dans l’obscurité des tems, & dont les biens & les habitations sont situés dans la baronnie de Thiers en Auvergne, ou ils s’occupent uniquement à cultiver leurs propres domaines.

Chacune de ces familles forme différentes branches qui habitent une maison commune, & dont les enfans se marient ensemble, de façon pourtant que chacun des consorts n’établit guere qu’un fils dans la communauté pour entretenir la branche que ce fils doit représenter un jour après la mort de son pere ; branches au reste dont ils ont fixé le nombre par une loi de famille qu’ils se sont imposée, en conséquence de laquelle ils marient au-dehors les enfans surnuméraires des deux sexes. De quelque valeur que soit la portion du pere dans les biens communs, ces enfans s’en croient exclus de droit, moyennant une somme fixée différemment dans chaque communauté, & qui est chez les Pinou de 500 liv. pour les garçons, & de 200 liv. pour les filles.

Au reste, cet usage tout consacré qu’il est par son ancienneté & par l’exactitude avec laquelle il s’observe, ne paroit guere digne de ces respectables associés. Pourquoi priver des enfans de leur patrimoine, & les chasser malgré eux du sein de leur famille ? N’ont-ils pas un droit naturel aux biens de la maison, & sur-tout à l’inestimable avantage d’y vivre dans une société douce & paisible, à l’abri des miseres & des sollicitudes qui empoisonnent les jours des autres hommes ? D’ailleurs l’association dont il s’agit étant essentiellement utile, ne convient-il pas pour l’honneur & pour le bien de l’humanité, de lui donner le plus d’étendue qu’il est possible ? Supposez donc que les terres actuelles de la communauté ne suffisent pas pour occuper tous ses enfans, il seroit aisé avec le prix de leur légitime, de faire