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que les prépositions sont des mots qui désignent des rapports généraux avec abstraction de tout terme antécédent & conséquent. De-là la nécessité de donner à la préposition un complément qui en fixe le sens, qui par lui-même est vague & indéfini ; c’est le terme conséquent du rapport, envisagé vaguement dans la préposition. De-là encore le besoin de joindre la préposition avec son complément à un adjectif, ou à un verbe, ou à un nom appellatif, dont le sens général se trouve modifié & restraint par l’idée accessoire de ce rapport ; l’adjectif, le verbe, ou le nom appellatif, en est le terme antécédent, l’utilité de la Métaphysique, courageux sans témérité, aimer avec fureur ; chacune de ces phrases exprime un rapport complet ; on y voit l’antécédent, l’utilité, courageux, aimer ; le conséquent, la métaphysique, témérité, fureur ; & l’exposant, de, sans, avec.

2°. Par rapport aux adverbes, c’est une observation importante, que l’on trouve dans une langue plusieurs adverbes qui n’ont dans une autre langue aucun équivalent sous la même forme, mais qui s’y rendent par une préposition avec un complément qui énonce la même idée qui constitue la signification individuelle de l’adverbe ; eminus, de loin ; cominùs, de près ; utrinque, des deux côtés, &c. on peut même regarder souvent comme synonymes dans une même langue les deux expressions, par l’adverbe & par la préposition avec son complement ; prudenter, prudemment, ou cum prudentiâ, avec prudence. Cette remarque, qui se présente d’elle-même dans bien des cas, a excité l’attention des meilleurs grammairiens, & l’auteur de la Gramm. gen. part. II. ch. xij. dit que la plûpart des adverbes ne sont que pour signifier en un seul mot, ce qu’on ne pourroit marquer que par une préposition & un nom ; sur quoi, M. Duclos remarque que la plûpart ne dit pas assez, que tout mot qui peut être rendu par une préposition & un nom est un adverbe, & que tout adverbe peut s’y rappeller ; M. du Marsais avoit établi le même principe, article Adverbe.

Les adverbes ne différent donc des prépositions, qu’en ce que celles-ci expriment des rapports avec abstraction de tout terme antécédent & conséquent, au lieu que les adverbes renferment dans leur signification le terme conséquent du rapport. Les adverbes sont donc des mots qui expriment des rapports généraux, déterminés par la désignation du terme conséquent.

De-là la distinction des adverbes, en adverbes de tems, de lieu, d’ordre, de quantité, de cause, de maniere, selon que l’idée individuelle du terme conséquent qui y est enfermé a rapport au tems, au lieu, à l’ordre, à la quantité, à la cause, à la maniere.

De-là vient encore, contre le sentiment de Sanctius & de Scioppius, que quelques adverbes peuvent avoir ce qu’on appelle communément un régime, lorsque l’idée du terme conséquent peut se rendre par un nom appellatif ou par un adjectif, dont la signification, trop générale dans l’occurrence ou essentiellement relative, exige l’addition d’un nom qui la détermine ou qui la complette ; ainsi dans ubi terrarum, tunc temporis, on peut dire que terrarum & temporis sont les complémens déterminatifs des adverbes ubi & tunc, puisqu’ils déterminent en effet les noms généraux renfermés dans la signification de ces adverbes ; ubi terrarum, c’est-à-dire, en prenant l’équivalent de l’adverbe, in quo loco terrarum ; tunc temporis, c’est-à-dire, in hoc puncto ou spatio temporis ; & l’on voit qu’il n’y a point là de rédondance ou de pléonasme, comme le dit Scioppius dans sa Gramm. philosoph. (de syntaxi adverbii.) Il prétend encore que dans naturæ convenienter vivere, le datif naturæ est régi par le verbe vivere, de la même maniere que quand Plaute a dit (Poen.), vivere sibi & oemicis : mais il est clair que les deux exemples sont

bien différens ; & si l’on rend l’adverbe convenienter par son équivalent ad modum convenientem, tout le monde verra bien que le datif naturæ est le complément relatif de l’adjectif convenientem.

Ne nous contentons pas d’observer la différence des prépositions & des adverbes ; voyons encore ce qu’il y a de commun entre ces deux especes : l’une & l’autre énonce un rapport général, c’est l’idée générique fondamentale des deux ; l’une & l’autre fait abstraction du terme antécédent, parce que le même rapport pouvant se trouver dans différens êtres, on peut l’appliquer sans changement à tous les sujets qui se présenteront dans l’occasion. Cette abstraction du terme antécédent ne suppose donc point que dans aucun discours le rapport sera envisage de la sorte ; si cela avoit lieu, ce seroit alors un être abstrait qui seroit désigné par un nom abstractif : l’abstraction dont il s’agit ici, n’est qu’un moyen d’appliquer le rapport à tel terme antécédent qui se trouvera nécessaire aux vûes de l’énonciation.

Ceci nous conduit donc à un principe essentiel ; c’est que tout adverbe, ainsi que toute phrase qui renferme une préposition avec son complément, sont des expressions qui se rapportent essentiellement à un mot antécédent dans l’ordre analytique, & qu’elles ajoutent à la signification de ce mot, une idée de relation qui en fait envisager le sens tout autrement qu’il ne se présente dans le mot seul : aimer tendrement ou avec tendresse, c’est autre chose qu’aimer tout simplement. Si l’on envisage donc la préposition & l’adverbe sous ce point de vûe commun, on peut dire que ce sont des mots supplétifs, puisqu’ils servent également à suppléer les idées accessoires qui ne se trouvent point comprises dans la signification des mots auxquels on les rapporte, & qu’ils ne peuvent servir qu’à cette fin.

A l’occasion de cette application nécessaire de l’adverbe à un mot antécédent ; j’observerai que l’etymologie du nom adverbe, telle que la donne Sanctius (Minerv. III. 13.), n’est bonne qu’autant que le nom latin verbum sera pris dans son sens propre pour signifier mot, & non pas verbe, parce que l’adverbe supplée aussi souvent à la signification des adjectifs, & même à celle d’autres adverbes, qu’à celle des verbes : adverbium, dit ce grammairien, videtur dici quasi ad verbum, quia verbis velut adjectivum adhæret. La grammaire générale, part. II. ch. xij. & tous ceux qui l’ont adoptée, ont souscrit à la même erreur.

3°. Plusieurs conjonctions semblent au premier aspect ne servir qu’à lier un mot avec un autre : mais si l’on y prend garde de près, on verra qu’en effet elles servent à lier les propositions partielles qui constituent un même discours. Cela est sensible à l’égard de celles qui amenent des propositions incidentes, comme præceptum Apollinis monet ut se quisque noscat : (Tuscul. I. 22.) Ce principe n’est pas moins évident à l’égard des autres, quand toutes les parties des deux propositions liées sont différentes entr’elles ; par exemple, Moise prioie et Josué combattoit. Il ne peut donc y avoir de doute que dans le cas où divers attributs sont énoncés du même sujet, ou le même attribut de différens sujets ; par exemple, Ciceron étoit orateur et philosophe, lupus & agnus venerant. Mais il est aisé de ramener à la loi commune les conjonctions de ces exemples : le premier se réduit aux deux propositions liées, Ciceron étoit orateur et Ciceron étoit philosophe, lesquelle ont un même sujet ; le second veut dire pareillement, lupus veneras et agnus venerat, les deux mots attributifs venerat étant compris dans le pluriel venerant.

Qu’il me soit permis d’établir ici quelques principes, dont je ne ferois que m’appuyer s’ils avoient été établis à l’article Conjonction.