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ans, retrancher le superflu de la racine tortueuse, & les mettre en pépiniere. On pourra même replanter ces morceaux de racines qui auront au moins un pié de longueur & qui formeront promptement de nouveaux plants. On trouve encore dans les anciens anteurs d’agriculture une autre méthode de faire des boutures, qui peut avoir son mérite ; c’est de prendre une grosse branche de mûrier, de la scier en tronçons d’un pié de long, de les enfoncer tout entiers sur leur bout dans la terre, en sorte qu’ils n’en soient recouverts que d’environ trois doigts : le bas du tronçon fait racine, le dessus pousse plusieurs tiges ; cette pratique est très-convenable pour former des meres.

Pour faire venir le mûrier de graine, l’on choisit les plus grosses mûres noires, & de la plus parfaite maturité, celles sur-tout qui tombent d’elles-mêmes : on dépose les mûres sur un grenier pendant quelques jours pour qu’elles achevent de s’y mûrir : on a soin de les remuer chaque jour pour empêcher la fermentation & la pourriture. Quand on croit la maturité à sa perfection, on met les mûres dans un baquet d’eau ; on les frotte avec la main pour en séparer la graine en les écrasant & en délayant la pulpe : par ce moyen la bonne graine tombe au fond du baquet, dont on rejette tout ce qui surnage : on verse doucement l’eau en inclinant le baquet, on repasse la graine dans plusieurs eaux pour commencer de la nettoyer : on la fait sécher à l’ombre, ensuite on en ôte toute la malpropreté, & on la met dans un lieu sec pour ne la semer qu’au printems. Il est vrai qu’on pourroit le faire aussitôt après la récolte, & pour le plutôt, dans ce climat, au commencement d’Août ; mais on s’exposeroit au double inconvenient de voir périr les jeunes plants ou par les chaleurs de la canicule, ou par les gelées de l’hiver subséquent ; à moins que l’on n’eût pris les plus grandes précautions pour les garantir de ces deux extrèmes : encore n’en résulteroit-il aucune accélération dans l’accroissement. J’ai souvent éprouvé que les plants venus de graine semée au printems, surpassoient en hauteur & en beauté ceux qui avoient été semés l’été précédent. Le mois d’Avril du dix au vingt, est le tems le plus convenable pour cette opération : si on vouloit le faire plutôt, il faudroit semer sur couche : on les avance beaucoup par ce moyen, & les jeunes plants sont en état d’être mis en pépiniere au bout d’un an ; mais ils exigent de cette façon beaucoup de soins & des arrosemens continuels. Cette méthode ne peut convenir que pour une petite quantité de graine : il faut préférer la pleine terre pour un semis un peu considérable. Il faut choisir à une bonne exposition une terre de potager qui soit meuble, légere, fraîche, en bonne culture & mêlée de fumier bien consommé, ou de terreau de couche. On la disposera en planches de quatre piés de largeur, sur chacune desquelles on formera en longueur quatre ou cinq rayons d’un bon pouce de profondeur, on y semera la graine aussi épais que pour la laitue : il faut une once de graine de mûrier pour semer une planche de trente piés de long, qui pourra produire quatre à cinq mille plants. Si la graine que l’on veut semer paroît desséchée, on fera bien de la laisser tremper pendant vingt-quatre heures, afin d’en avancer la germination. Pour recouvrir la graine, il faut se servir de terreau de couche bien consommé & passé dans un crible fin ; on répandra ce terreau avec la main sur les rayons, en sorte que la graine ne soit recouverte au plus que d’un demi-pouce d’épaisseur : on observe sur-tout qu’il faut faire ce dernier ouvrage avec grande attention ; car c’est le point essentiel de l’opération, & d’où dépendra principalement tout le succès : enfin, on laissera les planches en cet état sans les niveller en aucune façon. Il ne sera pas inutile, quoiqu’on puisse s’en dispenser,

de prendre la précaution de garnir les planches d’un peu de paille longue, fort éparse pour ne laisser pénétrer l’air & le soleil qu’à demi, & pour empêcher que la terre ne soit battue par les arrosemens ; mais il faudra les faire légerement & modérément, de deux ou trois jours l’un, à proportion que la sécheresse se fera sentir. La graine levera communément au bout de trois semaines. L’on continuera les arrosemens, toujours avec discrétion, selon le besoin, & l’on ôtera soigneusement les mauvaises herbes par de fréquens binages, avec d’autant moins d’inconveniens, que les rayons du semis seront plus espacés. Ce ne sera guere qu’au bout de trois ans que la plûpart des jeunes plants seront assez forts pour être mis en pépiniere ; & il faudra cinq ou six autres années pour les mettre en état d’être transplantés à demeure.

La greffe n’est pas un moyen de grande ressource pour la multiplication du mûrier noir, parce qu’elle réussit difficilement, & qu’il n’en résulte aucune accélération d’accroissement. Le mûrier noir peut se greffer sur le mûrier blanc de toutes les façons usitées pour la greffe, si ce n’est que celle en fente réussit très-rarement. De toutes les méthodes, celles en écusson & en flûte sont les meilleures. La greffe en flûte se fait avec le plus de succès au commencement du mois de Juin ; mais comme cette pratique est minutieuse, & qu’on ne peut l’appliquer qu’à des petits sujets, on préfere la greffe en écusson, qui est plus facile, plus expéditive & plus assurée. Cette greffe se fait dans les mêmes saisons que pour les arbres fruitiers ; c’est-à-dire dans la premiere seve, ce qui s’appelle écussonner à la pousse ; & durant la seconde seve, ce qui se nomme l’écusson à œil dormant. Si l’on greffe dans le premier tems, les écussons ne poussant que foiblement, sont sujets à périr pendant l’hiver : il sera donc plus prudent de ne greffer qu’à œil dormant à la fin de Juillet, ou dans le mois d’Août. Quoique ces écussons réussissent communément, & qu’on les voie pousser vigoureusement au printems suivant, il y a encore les plus grands risques à courir. Le peu de convenance qu’il y a entre le sujet & la greffe tourne à inconvenient. La seve surabondante du mûrier blanc ne trouvant pas la même souplesse dans les fibres, ni peut-être la même texture dans le bois du mûrier noir, s’embarrasse, se gonfle, s’extravase, & fait périr la greffe ; c’est ce que j’ai vu souvent arriver.

Le mois d’Octobre est le tems le plus propre à la transplantation de cet arbre, lorsqu’il est d’une grosseur suffisante pour être placé à demeure. Mais s’il est question de mettre de jeunes plants en pépiniere, il ne faudra les y planter qu’au mois d’Avril. Il ne faut à cet arbre qu’une taille toute ordinaire. On aura seulement attention, lorsqu’on le transplante, de n’accourcir ses racines que le moins qu’il sera possible, parce que n’ayant presque point de chevelu, il leur faut plus de volume pour fournir les sucs nécessaires au soutien de l’arbre. Il faut beaucoup de culture au mûrier noir dans sa jeunesse seulement ; mais j’ai remarqué qu’après qu’il est transplanté à demeure, qu’il est repris, bien établi & vigoureux, il faut cesser de le cultiver, & qu’il profite davantage, lorsqu’il est sous un terrein & sous une allée sablée surtout.

La feuille de mûrier noir est la moins propre à la nourriture des vers-à-soie, & on ne doit absolument s’en servir que quand on ne peut faire autrement, parce qu’elle ne produit qu’une soie grossiere, sorte, pesante & de bas prix ; mais on peut la faire servir à la nourriture du bétail : elle lui profite & l’engraisse promptement. Jamais les feuilles du mûrier ne sont endommagées par les insectes, & on en peut faire un bon dépilatoire en les faisant tremper dans l’uri-