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des gens qui sont nés pour commander. Voyez Naissance. (D. J.)

Noblesse, (Jurisprud.) est un titre d’honneur qui distingue du commun des hommes ceux qui en sont décorés, & les fait jouir de plusieurs privileges.

Ciceron dit que la noblesse n’est autre chose qu’une vertu connue, parce qu’en effet le premier établissement de la noblesse tire son origine de l’estime & de la considération que l’on doit à la vertu.

C’est principalement à la sagesse & à la vaillance que l’on a d’abord attaché la noblesse ; mais quoique le mérite & la vertu soient toujours également estimables, & qu’il fût à desirer qu’il n’y eût point d’autre voie pour acquérir la noblesse ; qu’elle soit en effet encore quelquefois accordée pour récompense à ceux dont on veut honorer les belles qualités, il s’en faut beaucoup que tous ceux en qui ces mêmes dons brillent, soient gratifiés de la même distinction.

La noblesse des sentimens ne suffit pas pour attribuer la noblesse proprement dite, qui est un état civil que l’on ne peut acquérir que par quelqu’une des voies admises par la loi.

Il en est de même de certaines fonctions honorables, qui dans certains pays donnent la qualité de noble sans communiquer les autres titres de vrais nobles, ni tous les privileges attachés à la noblesse proprement dite.

La nature a fait tous les hommes égaux ; elle n’a établi d’autre distinction parmi eux que celle qui résulte des liens du sang, telle que la puissance des pere & mere sur leurs enfans.

Mais les hommes jaloux chacun de s’élever au-dessus de leurs semblables, ont été ingénieux à établir diverses distinctions entr’eux, dont la noblesse est une des principales.

Il n’y a guere de nation policée qui n’ait eu quelque idée de la noblesse.

Il est parlé des nobles dans le Deutéronome : on entendoit par-là ceux qui étoient connus & distingués du commun, & qui furent établis princes & tribuns pour gouverner le peuple. Il y avoit dans l’ancienne loi une sorte de noblesse attachée aux aînés mâles, & à ceux qui étoient destinés au service de Dieu.

Thésée, chef des Athéniens, qui donna chez les Grecs la premiere idée de la noblesse, distingua les nobles des artisans, choisissant les premiers pour connoître des affaires de la religion, & ordonnant qu’ils pourroient seuls être élus magistrats.

Solon le législateur en usa de même, au rapport de Denis d’Halicarnasse.

On l’a trouvée établie dans les pays les plus éloignés, au Pérou, au Mexique, & jusque dans les Indes orientales.

Un gentilhomme japonnois ne s’allieroit pas pour tout l’or du monde à une femme roturiere.

Les naires de la côte de Malabare, qui sont les nobles du pays, où l’on compte jusqu’à dix-huit sortes de conditions d’hommes, ne se laissent seulement pas toucher ni approcher de leurs inférieurs ; ils ont même le droit de les tuer s’ils les trouvent dans leur chemin allant par les champs : ce que ces misérables évitent de tout leur possible, par des cris perpétuels dont ils remplissent la campagne.

Quoique les Turcs ne connoissent pas la noblesse telle qu’elle a lieu parmi nous, il y a chez eux une espece de noblesse attachée à ceux de la lignée de Mahomet, que l’on nomme chérifs ; ils sont en telle vénération, qu’eux seuls ont droit de porter le turban verd, & qu’ils ne peuvent point être reprochés en justice.

Il y a en Russie beaucoup de princes & de gentils-

hommes. Anciennement, & jusqu’au commencement

de ce siecle, la noblesse de cet état n’étoit pas appréciée par son ancienneté, mais par le nombre des gens de mérite que chaque famille avoit donné à l’état. Le czar Theodore porta un terrible coup à toute la noblesse ; il la convoqua un jour avec ordre d’apporter à la cour ses chartres & ses privileges ; il s’en empara & les jetta au feu, & déclara qu’à l’avenir les titres de noblesse de ses sujets seroient fondés uniquement sur leur mérite, & non pas sur leur naissance. Pierre le grand ordonna pareillement que, sans aucun égard aux familles, on observeroit le rang selon la charge & les mérites de chaque particulier ; cependant par rapport à la noblesse de naissance on divise les princes en trois classes, selon que leur origine est plus ou moins illustre. La noblesse est de même divisée en quatre classes, savoir celle qui a toujours été regardée comme égale aux princes ; celle qui a des alliances avec les czars ; celle qui s’est élevée par son mérite sous les regnes d’Alexis & de Pierre I. enfin les familles étrangeres qui sous les mêmes regnes sont parvenues aux premieres charges.

Les Romains, dont nous avons emprunté plusieurs usages, avoient aussi une espece de noblesse, & même héréditaire. Elle fut introduite par Romulus, lequel divisa ses sujets en deux classes, l’une des sénateurs, qu’il appella peres, & l’autre classe, composée du reste du peuple, qu’on appella les plébéiens, qui étoient comme sont aujourd’hui parmi nous les roturiers.

Par succession de tems, les descendans de ces premiers sénateurs, qu’on appelloit patriciens, prétendirent qu’eux seuls étoient habiles à être nommés sénateurs, & conséquemment à remplir toutes les dignités & charges qui étoient affectées aux sénateurs, telles que celles des sacrifices, les magistratures, enfin l’administration presqu’entiere de l’état. La distinction entre les patriciens & les plébéïens étoit si grande, qu’ils ne prenoient point d’alliance ensemble ; & quand tout le peuple étoit convoqué, les patriciens étoient appellés chacun par leur nom & par celui de l’auteur de leur race, au lieu que les plébéïens n’étoient appellés que par curies, centuries ou tribus.

Les patriciens jouirent de ces prérogatives tant que les rois se maintinrent à Rome ; mais après l’expulsion de ceux-ci, les plébéïens, qui étoient en plus grand nombre que les patriciens, acquirent tant d’autorité, qu’ils obtinrent d’abord d’être admis dans le sénat, ensuite aux magistratures, puis au consulat, & enfin jusqu’à la dictature & aux fonctions des sacrifices : de sorte qu’il ne resta d’autre avantage aux patriciens sur les plébéïens qui étoient élevés à ces honneurs, sinon la gloire d’être descendus des premieres & plus anciennes familles nobles de Rome. On peut comparer à ce changement celui qui est arrivé en France sous la troisieme race, lorsque l’on a ennobli des roturiers, & qu’on les a admis à posséder des fiefs & certains offices qui dans l’origine étoient affectés aux nobles.

Outre la noblesse de dignité, il y avoit chez les Romains une autre espece de noblesse attachée à la naissance, que l’on appelloit ingénuité. On n’entendoit autre chose par ce terme que ce que nous appellons une bonne race, une bonne famille.

Il y avoit trois degrés d’ingénuité ; le premier de ceux qu’on apppelloit ingénus simplement ; c’étoient ceux qui étoient nés de parens libres, & qui eux-mêmes avoient toujours joui de la liberté.

Le second degré d’ingénus étoit de ceux appellés gentiles, c’est-à-dire qui avoient gentem & familiam, qui étoient d’une ancienne famille.

Le troisieme degré d’ingénuité étoit composé des