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dans une glaise un peu humide, mais au grand retard de son accroissement. On peut dire que cet arbre vient assez généralement par-tout, si ce n’est que plus la terre est riche, plus il lui faut de culture. Aussi se refuse-t-il dans les prairies, dans un sol habituellement humide, & dans les terres en sainfoin, en luzerne, &c. J’ai vû même des noyers vigoureux & dans leur force dépérir en trois années, après qu’on eût mis du sainfoin dans le terrein où ils étoient : ce qui ayant déterminé le propriétaire à détruire cette herbe, ils reprirent vigueur dans pareil espace de tems.

Il n’est qu’un seul moyen de multiplier le noyer : c’est d’en semer les noix. Sur quoi je dois observer que si on se propose d’élever des noyers uniquement pour tirer parti de leur bois, il faut semer les noix en place ; c’est la seule façon d’avoir de beaux arbres, & d’en accélerer l’accroissement : car en les transplantant, on détruit le pivot, ce qui empêche l’arbre de s’élever. Si l’on veut au contraire élever des noyers pour en avoir du fruit, il faut les transplanter plusieurs fois : on a par ce moyen de plus belles noix, plus promptement, & en plus grande quantité. On peut semer les noix en automne, ou au printems. Leur maturité s’annonce lorsqu’elles commencent à tomber de l’arbre : il faut alors les faire abattre, & préférer celles qui ont la coquille blanche & tendre. Si l’on veut les semer en automne, il faudra, après en avoir ôté le brou, les laisser suer & rendre dans le grenier l’humidité superflue jusqu’à la fin d’Octobre ou au commencement de Novembre. Mais si l’on prend le parti d’attendre le printems, il sera à-propos de les conserver avec leur brou dans du sable jusqu’à la fin de Février, ou jusqu’à ce que la saison permette de travailler à la terre. Si on différoit un mois de plus, le germe des noix étant trop formé, seroit sujet ou à être rompu, ou à se dessécher. Si d’un autre côté on ne les mettoit pas dans le sable pendant l’hiver, il en manqueroit au-moins la moitié : il faut dans ce dernier cas les faire tremper pendant deux ou trois jours, & rejetter celles qui surnagent. Pour semer des noix, il faut peu de recherche sur la qualité du terrein, il suffira qu’il soit en culture. On les plante de deux ou trois pouces de profondeur avec un piquet à 8 ou 10 pouces de distance en rangées éloignées de 2 piés les unes des autres. Au bout de 2 ans, ou de trois au plus, il faut transplanter les jeunes plantes, afin de supprimer leur pivot, leur faire jetter des racines latérales & faciliter la reprise lorsqu’il sera question de les transplanter à demeure ; car on a souvent vû des noyers de six ou sept ans qu’on n’avoit pas déplacés, qui n’avoient absolument que le pivot, de façon qu’aucuns de ceux-là ne reprenoient. Il faut donc les transplanter à deux ou trois ans, sans rien retrancher du sommet, dans un autre endroit de la pepiniere à un pié & demi de distance en rangées éloignées de deux piés & demi ou trois piés. Au bout de trois ou quatre ans, lorsqu’ils auront sept à huit piés de hauteur, ils seront en état d’être transplantés à demeure. L’automne est toujours le tems le plus convenable pour cette opération ; on doit, en les arrachant, bien ménager leur racine, les accourcir fort peu, ne retrancher que les branches latérales, & sur-tout conserver le sommet de l’arbre. Il faudra les soigner pendant trois années, après quoi ils iront bien d’eux-mêmes. Mais il est très-certain que la transplantation leur cause beaucoup de retard : car une noix semée & cultivée surpassera au bout de quelques années un noyer de dix ans que l’on aura transplanté dans le même tems. Cet arbre commence à donner quelque fruit au bout de sept ans de semence, & il est à sa perfection lorsqu’il est âgé d’environ 60 ans.

Quelques gens prétendent qu’on peut greffer les noyers les uns sur les autres ; ils conviennent en même tems qu’on ne peut se servir pour cela que de la greffe en sifflet, & il paroît sur le propre allégué que le succès en est assez incertain. Voyez ce que conseille M. Cabanis, qui a fait quelques expériences à ce sujet au Journal de Verdun, Mars, Juillet & Septembre 1739.

Le noyer, loin d’être sujet aux attaques des insectes, a au contraire la vertu de les chasser. On a prétendu que son ombre étoit nuisible aux hommes & aux végétaux : quant aux premiers, on attribue à l’ombre le mal de tête que l’odeur forte des feuilles peut causer aux gens foibles & délicats : à l’égard des végétaux, le noyer leur nuit moins par son ombre que par le dégouttement de ses feuilles. Elles empreignent toute l’eau qui les touche d’un suc huileux mêlé d’amertume, qui est fort contraire à la végétation. Le noyer d’ailleurs par la force de ses rameaux & la vigueur de son accroissement ne souffre pas d’autres arbres dans un voisinage immédiat. Il s’étend si considérablement en tout sens qu’on ne peut guere mettre ces arbres plus proche de 30 ou 40 piés les uns des autres. Lorsqu’on les met dans des terres labourables, leurs racines ne font aucun obstacle à la charrue. On prétend que les cendres sont le seul engrais qui convienne au noyer. Si l’on fait une incision à cet arbre au printems, il en sort une liqueur abondante qui peut servir de boisson.

On tire du noyer quantité de service ; tout le monde sait que les noix sont bonnes à manger, & qu’elles valent mieux en cerneaux que lorsqu’elles sont dessechées. Il est vrai que dans ce dernier état elles sont dures, huileuses, mal-saines, & de difficile digestion : on en tire une huile qui sert à quantité d’usages. Plus les noix sont vieilles, plus elles rendent d’huile ; mais c’est aux dépens de la qualité qui est meilleure, lorsque l’on tire l’huile aussitôt que les noix sont bien seches. Les Teinturiers se servent de la racine, de l’écorce, de la feuille & du brou des noix pour teintre les étoffes en fauve, en caffé & en couleur de noisette. Ils emploient à cette fin la racine avant que l’arbre soit en seve, l’écorce lorsque la seve entre en mouvement, les feuilles lorsque les noix sont à demi-formées, & le brou dans le tems des cerneaux. On confit les noix, on en fait un ratafia de santé, on les grille au sucre. Enfin la poudre des chatons, la décoction des feuilles & l’huile sont de quelqu’usage en médecine.

Le bois du noyer est brun, veiné, solide, liant, assez plein & facile à travailler. Le bois des arbres qui sont venus sur des côteaux & dans des terres médiocres est plus veiné & plus chargé de la couleur brune que ceux qui ont pris leur croissance dans le pays plat & dans les bonnes terres, & les jeunes arbres sont bien moins veinés & colorés que les vieux. Il faut qu’ils aient un pié & demi, & jusqu’à deux piés de diametre pour être perfectionnés à cet égard. Les arbres plus jeunes ont plus d’aubier, & cet aubier est trop sujet à la vermoulure ; au-lieu que le cœur de l’arbre, loin d’avoir ce défaut, est de très-longue durée, mais on peut prévenir la vermoulure, & rendre l’aubier d’aussi bon service que le cœur, en faisant tremper le bois dans de l’huile de noix bouillante. Ce bois lorsqu’il est dans sa perfection est le plus beau des bois de l’Europe. Il étoit fort prisé, & on en faisoit les plus beaux meubles avant la découverte de l’Amérique, d’où on a tiré des bois infiniment plus précieux. Ce bois n’est sujet ni à se gerser, ni à se tourmenter ; c’est le plus convenable de tous les bois de l’Europe pour faire des meubles, & c’est aussi le plus cher lorsqu’il est bien veiné ; aussi est-il très-recherché, ainsi que les racines, par les Menuisiers, les Ebé-