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qui osa publier une calomnie contre ce patriarche, tâchant de persuader au peuple qu’il avoit voulu la corrompre, & que ce prélat ayant assemblé son clergé, fut contraint de l’excommunier ; qu’ensuite cette femme étoit morte au bout de quarante jours, & que son corps ayant été retiré de terre long-tems après, pour voir l’effet de l’excommunication, il fut trouvé entier, & fut inhumé une seconde fois. Maxime s’informa du lieu de sa sépulture ; & après l’avoir trouvé, en fit avertir le sultan qui y envoya des officiers, en présence desquels on ouvrit le tombeau où le cadavre parut entier, mais noir & enflé comme un ballon. Ces officiers ayant fait leur rapport, Mahomet en fut extrèmement étonné, & députa des bachas qui vinrent trouver le patriarche, visiterent le corps, & le firent transporter dans une chapelle de l’église de Pammacharista, dont ils scellerent la porte avec le cachet du prince. Peu de jours après, les bachas, suivant l’ordre qu’ils en eurent du sultan, retirerent le cercueil de la chapelle, & le présenterent au patriarche pour lever l’excommunication, & connoître l’effet de cette cérémonie qui remettoit les corps dans l’état ordinaire des autres cadavres. Le patriarche ayant dit la liturgie, c’est-à-dire les prieres prescrites en cette occasion, commença à lire tout haut une bulle d’absolution pour les péchés de cette femme, & en attendit l’effet avec des larmes de zele & des aspirations à Dieu. Les Grecs disent qu’il se fit alors un miracle, dont une foule incroyable de gens furent témoins ; car à mesure que le patriarche récitoit la bulle, on entendoit un bruit sourd des nerfs & des os qui craqueroient en se relâchant & en quittant leur situation naturelle. Les bachas, pour donner lieu à la dissolution entiere du corps, remirent le cercueil dans la chapelle qu’ils fermerent & scellerent avec le sceau du sultan. Quelques jours après ils y firent leur derniere visite ; & ayant vû que le corps se réduisoit en poudre, ils en porterent les nouvelles à Mahomet, qui plein d’étonnement, ne put s’empêcher de dire que la religion chrétienne étoit admirable.

Il ne faut pas confondre les ntoupis dont nous venons de parler, avec les broucolacas ou faux ressuscités, qui font encore beaucoup de bruit parmi les Grecs. A leur dire, les broucolacas sont aussi des cadavres de personnes excommuniées ; mais au lieu que les ntoupis sont seulement incorruptibles jusqu’à ce qu’on ait levé la sentence d’excommunication, les broucolacas sont animés par le démon qui se sert de leurs organes, les fait parler, marcher, boire & manger. Les Grecs disent que, pour ôter ce pouvoir au démon, il faut prendre le cœur du broucolacas, le mettre en pieces, & l’enterrer une seconde fois. Guillet, Hist. du regne de Mahomet II.

N U

NU, (Gramm.) qui n’est couvert d’aucun vêtement. L’homme naît nu. Les Poëtes peignent l’Amour nu. Les Peintres montrent les Graces nues. Il se dit des choses : une épée nue ; un morceau d’Architecture trop nu ; le mérite va souvent nu. On en a fait un substantif en Peinture, & l’on dit le nu. Ce qui a rendu les anciens statuaires si savans & si corrects, c’est qu’ils avoient dans les gymnases le nu perpétuellement sous les yeux. Il faut que le nu s’apperçoive sous les drapperies. Les Chimistes font certaines opérations à feu nu ou ouvert. Les pilastres sont en saillie sur le nu du mur.

Nu, Nudité, (Crit. sacr.) ces termes, outre leur signification littérale, se prennent en plusieurs autres sens : par exemple, pour la partie du corps que l’on doit couvrir ; d’où viennent ces façons de par-

ler, ostendere nuditatem alicujus, traiter indignement

quelqu’un : & dans Habacuc, væ inebrianti amicum suum ut aspiciat nuditatem, ij. 15. malheur à celui qui enivre son ami pour voir sa nudité, c’est-à-dire pour le traiter avec mépris ? Jérémie, ij. 25. retirez-vous de votre idolâtrie. Etre nu, nudum esse, signifie être dans l’opprobre : eras nuda & contusione plena, Ezéch. xvj. 7.

Nu se prend aussi pour pauvrement habillé : cum videris nudum, operi eum. Isaïe, xlviij. 7. Saül demeure nu tout le jour au milieu des prophetes, cecidit nudus totâ die illâ & nocte, I. Reg. xix. 24. c’est-à-dire peu vêtu, avec la seule tunique qui servoit de chemise, sans robe longue & sans manteau : c’est ainsi que plusieurs critiques l’entendent de l’état d’Isaïe, ibat nudus, parce qu’il avoit quitté le sac qui étoit l’habit ordinaire des prophetes ; cependant quelques peres l’expliquent d’une nudité réelle, à l’exception des parties que la pudeur demande qui soient cachées : aspiciam captivitatem inimicorum meorum nudato capite, je jouirai de la captivité de mes ennemis qui seront emmenés nues têtes. Deut. xxxij. 42. On emmenoit les captifs dépouillés & nue tête ; de-là ces façons de parler nudare caput, se découvrir la tête, pour marquer le deuil ; nudare ignominiam alicujus, exposer quelqu’un à une grande infamie. Ezéch. xvj. 37. (D. J.)

Nu, adj. terme de Chimie, signifiant la même chose que pur, simple, dégagé de toute combinaison, de tout alliage. En parlant des métaux trouvés dans le sein de la terre : par exemple, on appelle nu celui qui s’y rencontre sous la forme & avec l’éclat métallique, & qui n’est par conséquent déguisé ou marqué par aucune substance étrangere qui le minéralise. Voyez Minérai ou Mine. On appelle encore vierge le métal qui est dans le premier état.

Une huile essentielle est nue ou libre dans les végétaux, & dans un état opposé par cette circonstance à celui d’une autre huile qu’on retire des mêmes végétaux par la violence du feu ; cette derniere y étoit dans un état de combinaison ou d’union chimique. (b)

Nu, le, (Peint. & Sculpt.) Le nu, ou le nu d’une figure, désigne les endroits du corps qui ne sont pas couverts. Les Peintres & les Sculpteurs ont quelquefois péché contre les regles de la modestie pour s’attirer de l’estime & de la gloire par leur grand art à représenter la beauté, & en quelque sorte la mollesse des carnations ; car il faut beaucoup d’étude & d’habileté pour réussir en ce genre ; & d’ailleurs on a remarqué qu’ils en tiroient un si grand avantage pour l’agrément de leur composition, qu’on ne songe plus à leur reprocher cette licence, ou plutôt la nécessité où ils sont de l’employer toutes les fois qu’elle n’est pas contraire aux bornes de la modestie. On dit que Mabuze, contemporain de Lucas de Leyde fit le premier connoître en Flandre l’art de produire le nu dans des tableaux d’histoire ; mais sa maniere étoit bien grossiere en comparaison de celle d’Annibal Carrache & du Cavedone. Ce dernier dessinoit parfaitement le nu, & les commencemens heureux qu’il eut dans son art, lui annonçoient une fortune brillante, mais il éprouva tant de malheurs, qu’accablé de vieillesse & de misere, il finit ses jours dans une écurie à Boulogne en 1660, âgé de 80 ans. (D. J.)

Nu, s. m. (Archit.) C’est une surface à laquelle on doit avoir égard pour déterminer les saillies. On dit le nu d’un mur, pour dire la surface d’un mur qui sert de champ aux saillies. Les feuillages des chapiteaux doivent répondre au nu de la couronne.

Nu, (Maréchal.) monter à nu, c’est à poil. Voyez Monter. Vendre un cheval tout nu, c’est le vendre sans selle ni bride, par le bout du licol.