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ou à l’endroit où elles se déchargent dans la mer, & l’y laissent, soit parce que le lit est plus large & moins profond à cet endroit, soit parce que la mer résiste à leur mouvement. C’est une observation que l’on fait principalement dans les pays où les rivieres débordent tous les ans.

5°. Si les vents soufflent fréquemment de la mer vers les côtes, & que la côte elle-même soit de rocailles ou d’une terre dure sans sable, elle amasse la vase & les sédimens, ce qui la rend plus haute.

6°. Si la marée y monte vîte & sans beaucoup d’effort, & qu’elle descende lentement, elle apporte beaucoup de matieres étrangeres sur le rivage, & n’en remporte point.

7°. Si la côte a une longue pente oblique dans la mer, la violence des vagues se trouve ralentie & diminuée par degrés, au moyen de quoi la mer y dépose sa vase & sa bourbe.

Il y a plusieurs endroits ou cantons de terrein que l’on sait certainement avoir été couverts autrefois par l’Océan. L’endroit où est actuellement l’Egypte étoit une mer autrefois, comme le démontre l’expérience & le témoignage des anciens : car le Nil venant des régions éloignées de l’Ethiopie, quand il est débordé, couvre toute l’Egypte pour un tems ; & ensuite diminuant insensiblement, il dépose de la vase & une matiere terrestre, que le cours violent du fleuve avoit entraînées avec lui ; au moyen de quoi l’Egypte devient plus élevée d’année en année. Mais avant que le Nil eût apporté cette quantité si prodigieuse de matiere, la mer, qui maintenant est repoussée par la hauteur que l’Egypte a acquise, couvroit alors tout son terrein.

Le Gange & l’Inde, deux fameuses rivieres de l’Inde, font le même effet que le Nil par leurs inondations, aussi bien que le Rio de la Plata au Brésil. Il est probable que la Chine s’est formée de la même maniere, ou du moins qu’elle s’est considérablement étendue, parce que le fleuve rapide appelle Hoambo, qui coule de la Tartarie dans la Chine, & qui est sujet à des débordemens fréquens, quoique non annuels, contient tant de sable & de gravier, que ces matieres font presque le tiers de ses eaux.

Ces exemples démontrent la quatrieme cause ; savoir que les rivieres font que la mer abandonne la côte ; mais il y a plusieurs pays où la mer elle-même est cause de cet abandon, parce qu’elle apporte & dépose sur le rivage assez de matiere & de sédiment pour augmenter la hauteur de la côte, de maniere qu’elle n’est plus en état de la couvrir de ses eaux. C’est ainsi que la Hollande, la Zélande & la Gueldres ont été formées, car la mer couvroit autrefois ces pays, comme il est démontré, tant par les anciens monumens conservés dans l’Histoire, que par la qualité même de leur terrein. On trouve dans les montagnes de Gueldres, près de Nimegue, des coquillages de mer ; & en creusant la terre en Hollande, on a trouvé à une grande profondeur des arbrisseaux de mer & des matieres marécageuses. Outre cela, la mer même y est plus haute que les terres, qui en seroient submergées si on ne la retenoit par des digues & des écluses. D’un autre côté, il y a des gens qui croient avec assez de vraissemblance que la Hollande & la Zélande ont été formées des sédimens déposés par le Rhin & la Meuse. De même la Prusse & les pays voisins s’aggrandissent de jour en jour, parce que la mer se retire.

VIII. Il n’est pas difficile de comprendre par quelle raison l’Océan couvre la terre dans des lieux où il n’y avoit point d’eau auparavant.

Cela peut arriver de plusieurs manieres : 1°. quand il se fait passage dans les terres en formant des baies & des détroits, comme la Méditerranée, la baie de Bengale, le golfe d’Arabie, &c. Ainsi se sont formés

les détroits d’entre la Sicile & l’Italie, entre Ceylan & l’Inde, entre la Grece & le Négrepont ; les détroits de Magellan, de Manille & du Sund. Quelques-uns même prétendent que l’Océan atlantique a été ainsi formé, & qu’il a séparé l’Amérique d’avec l’Europe, afin de pouvoir par ce moyen expliquer plus aisément comment ses habitans descendent d’Adam. Il est certain qu’un prêtre égyptien dit à Solon l’athénien, qu’environ 600 ans avant Jesus-Christ (comme on le voit dans le Timée de Platon) il y avoit vis-à-vis du détroit de Gibraltar une île plus grande que l’Afrique & l’Asie, qu’on appelloit Atlantis, & que par un grand tremblement de terre & une inondation, la plus grande partie fut submergée en un jour & une nuit : ce qui nous fait voir qu’il y avoit parmi les savans d’Egypte une tradition que l’Amérique avoit été séparée du vieux monde plusieurs siecles auparavant.

2°. Quand les eaux de la mer sont poussées par de gros vents sur les côtes, & qu’elles minent les rivages & les bancs formés par la nature ou par l’industrie des hommes, il y a plusieurs exemples d’inondations considérables, comme autrefois en Thessalie, & plus récemment dans la Frise & le pays de Holstein.

3°. Quand par les mêmes causes l’Océan se répand dans les terres, & y forme des îles en plusieurs endroits, comme dans les Indes orientales.

4°. Quand la mer mine ses bords & entre dans les terres, par exemple, la mer Baltique s’est étendue dans la Poméranie, & a détruit Vineta port de mer très-célebre. La mer a miné la côte de Norwege, & séparée du continent quelques îles. L’Océan germanique est entré dans la Hollande auprès du village de Catti, & a submergé un grand espace de terrein. Les ruines de l’ancien château Breton qui étoit un lieu de garnison des Romains, sont fort avancées dans la mer, & ensevelis sous les eaux. Dans la partie méridionale de Ceylan, auprès de l’Inde, la mer a mangé 20 milles de terrein, & forme une petite île ; on pourroit citer encore beaucoup d’autres exemples.

On conçoit aisément, par ce détail historique, que l’Océan occupe maintenant des lieux qui faisoient autrefois partie du continent, & qui pourront retourner à leur premier état, si le monde dure encore des milliers d’années.

IX. Enfin, on demande pourquoi, il y a peu d’îles dans le milieu de l’Océan, & qu’on ne trouve jamais de petites îles ramassées, qu’auprès des grandes îles ou du continent.

L’expérience confirme la vérité de ce fait, & personne n’en doute. On trouve à peine une petite île dans le milieu de l’Océan pacifique ; & il y en a très peu dans le grand Océan, entre l’Afrique & le Bresil, si ce n’est Sainte-Hélene & l’île de l’Ascension ; mais c’est sur les côtes de l’Océan & du grand continent que se trouvent toutes les iles, excepté celles que je viens de nommer, & sur-tout les bouquets d’îles. Celles de la mer Egée sont auprès de l’Europe & de l’Asie & le continent méridional : il n’y a que les Açores qui semblent être au milieu de l’Océan, entre l’Amérique & le vieux Monde, quoiqu’elles soient plus proches du dernier.

La cause de ce phénomene paroît venir de ce que la mer les a séparées du continent, en se faisant passage dans les terres, & qu’elle n’a pas pû les couvrir, à cause de leur hauteur ; peut-être aussi que quelques-unes ont été formées de la maniere suivante. La mer ayant miné quelque étendue de terrein, & ne pouvant pas en emporter les petites parties, les a déposées insensiblement auprès de la terre, ce qui a formé à la fin des iles : mais on voit peu d’iles dans le milieu de l’Océan. 1°. Parce que la mer n’a