Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/361

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certitude d’une vraie théorie de l’homme ; tout le monde convient de l’insuffisance d’un aveugle empirisme ; & quoiqu’on ne puisse pas se dissimuler combien les lois de l’économie animale mal interprétée, ont introduit d’erreurs dans la Médecine chimique, il reste encore un probleme, dont je ne hasarderai pas la décision ; savoir, si une pratique réglée sur une mauvaise théorie est plus incertaine & plus pernicieuse que celle qu’aucune théorie ne dirige. Quoi qu’il en soit, les écueils qui se rencontrent en foule dans l’un & l’autre cas, les fautes également dangereuses, inévitables des deux côtés, font seulement sentir l’influence nécessaire de la théorie sur la pratique, & le besoin pressant qu’on a d’avoir sur ce point des principes bien constatés, & des régles dont l’application soit simple & invariable. Mais plus le système dès fonctions humaines est intéressant, plus il est compliqué, & plus il est difficile de le saisir ; il semble que l’obscurité & l’incertitude soient l’apanage constant des connoissances les plus précieuses & les plus intéressantes : il se présente une raison fort naturelle de cet inconvénient dans le vif intérêt que nous prenons à de semblables questions, & qui nous porte à les examiner plus séverement, à les envisager de plusieurs côtés, plus les faces sous lesquelles on les apperçoit augmentent, & plus il est difficile d’en saisir exactement & d’en combiner comme il faut les différens rapports ; & l’on observe communément que les écueils se multiplient à mesure qu’on fait des progrès dans les sciences, chaque découverte fait éclore de nouvelles difficultés ; & ce n’est souvent qu’après des siecles entiers qu’on parvient à quelque chose de certain, lorsqu’il se trouve de ces hommes rares nés avec un génie vif & pénétrant, aux yeux perçans desquels la nature est comme forcée de se dévoiler, & qui savent démêler le vrai du sein de l’erreur.

La connoissance exacte, sans être minutieuse, de la structure & de la situation des principaux visceres, de la distribution des nerfs & des différens vaisseaux, le détail assez circonstancié, mais sur-tout la juste évaluation des phénomenes qui résultent de leur action & de leur mouvement ; & enfin l’observation refléchie des changemens que produit dans ces effets l’action des causes morbifiques, sont les fondemens solides sur lesquels on doit établir la science théorique de l’homme pour la conduire au plus haut point de certitude dont elle soit susceptible ; ce sont en même tems les différens points d’où doivent partir & auxquels doivent se rapporter les lois qu’on se propose d’établir. Ces notions préliminaires forment le fil nécessaire au médecin qui veut pénétrer dans le labyrinthe de l’œconomie animale, & c’est en le suivant qu’il peut éviter de se perdre dans les routes détournées, remarquables par les égaremens des plus grands hommes. Il ne lui est pas moins essentiel & avantageux de connoître la source des erreurs de ceux qui l’ont précédé dans la recherche de l’œconomie animale, c’est le moyen le plus assuré pour s’en garantir ; on ne peut que louer le zèle de ceux qui ont entrepris un ouvrage si pénible, applaudir à leurs efforts, & leur avoir obligation du bien réel qu’ils ont apporté, en marquant par leur naufrage les écueils qu’il faut éviter ; on parvient assez souvent à travers les erreurs, & après les avoir pour ainsi dire épuisées au sanctuaire de la vérité. Nous n’entrerons ici dans aucun détail anatomique, nous soupçonnons tous ces faits déja connus ; ils sont d’ailleurs exposés aux articles particuliers d’Anatomie.

Il nous suffira de remarquer en général, que le corps humain est une machine de l’espece de celles qu’on appelle statico-hydraulique, composée de solides & de fluides, dont les premiers élemens com-

muns aux plantes & aux animaux sont des atomes vivans, ou molecules organiques : représentons-nous

l’assemblage merveilleux de ces molécules, tels que les observations anatomiques nous les font voir dans le corps de l’homme adulte, lorsque les solides ont quitté l’état muqueux pour prendre successivement une consistance plus ferme & plus proportionnée à l’usage de chaque partie : représentons-nous tous les visceres bien disposés, les vaisseaux libres, ouverts, remplis d’une humeur appropriée, les nerfs distribués par tout le corps, & se communiquant de mille manieres ; enfin toutes les parties dans l’état le plus sain, mais sans vie ; cette machine ainsi formée ne differe de l’homme vivant que par le mouvement & le sentiment, phénomenes principaux de la vie vraissemblablement réductibles à un seul primitif ; on y observe même avant que la vie commence, ou peu de tems après qu’elle a cessé, une propriété singuliere, la source du mouvement & du sentiment attachée à la nature organique des principes qui composent le corps, ou plutôt dépendante d’une union telle de ces molécules que Glisson a le premier découverte, & appellée irritabilité, & qui n’est, dans le vrai, qu’un mode de sensibilité. Voyez Sensibilité.

Dès que le souffle vivifiant de la divinité a animé cette machine, mis en jeu la sensibilité des différens organes, répandu le mouvement & le sentiment dans toutes les parties, ces deux propriétés diversement modifiées dans chaque viscere, se réproduisent sous un grand nombre de formes différentes, & donnent autant de vies particulieres dont l’ensemble, le concours, l’appui mutuel forment la vie générale de tout le corps ; chaque partie annonce cet heureux changement par l’exercice de la fonction particuliere à laquelle elle est destinée ; le cœur, les arteres & les veines, par une action singuliere, constante, jusqu’ici mal déterminée, produisent ce qu’on appelle la circulation du sang, entretiennent le mouvement progressif des humeurs, les présentent successivement à toutes les parties du corps ; de-là suivent 1°. la nutrition de ces parties par l’intus-susception des molécules analogues qui se moulent à leur type intérieur ; 2°. la formation de la semence, extrait précieux du superflu des parties nutritives ; 3°, les sécrétions des différentes humeurs que les organes appropriés sucent, extraient du sang, & perfectionnent dans les follicules par une action propre ou un simple séjour ; 4°. de l’action spéciale, & encore inexpliquée de ces vaisseaux, mais constatée par bien des faits, viennent les circulations particulieres faites dans le foie, les voies hémorroïdales, la matrice dans certain tems, le poumon & le cerveau, & peut-être dans tous les autres visceres. Le mouvement alternatif de la poitrine & du poumon, attirant l’air dans les vésicules bronchiques, & l’en chassant successivement, fait la respiration, & contribue beaucoup au mouvement du cerveau suivant les observations de l’illustre de Lamure (mém. de l’acad. royale des Sc. année 1739) ; l’action des nerfs appliquée aux muscles de l’habitude du corps, donne lieu aux mouvemens nommés volontaires ; les nerfs agissans aussi dans les organes des sens externes, l’œil, l’oreille, le nez, la langue, la peau, excitent les sensations qu’on appelle vue, ouïe, odorat, goût, & toucher ; le mouvement des fibres du cerveau (de concert avec l’opération de l’ame, & conséquemment aux loix de son union avec le corps), déterminent les sensations internes, les idées, l’imagination, le jugement & la mémoire. Enfin, le sentiment produit dans chaque partie des appétits différens, plus ou moins marqués ; l’estomac appete les alimens ; le gosier, la boisson ; les parties génitales, l’éjaculation de la semence ; & enfin tous les vaisseaux sé-