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duire qu’à les détruire ou à les exalter : constitution admirable digne de tous nos respects & de tout notre amour ! Chaque corps, chaque société, chaque particulier même y doit voir une position d’autant plus constante & d’autant plus heureuse, que cette position n’est point établie sur de faux principes, ni fondée sur des mobiles ou des motifs chimériques, mais sur la raison & sur le caractere des choses d’ici bas. Ce qu’il y a même de plus estimable dans ce gouvernement, c’est qu’il n’a point été une suite d’une législation particuliere ni d’un système médité, mais le fruit lent & tardif de la raison dégagée de ces préjugés antiques.

Il a été l’ouvrage de la nature, qui doit être à bon titre regardée comme la législatrice & comme la loi fondamentale de cet heureux & sage gouvernement : c’est elle seule qui a donné une législation capable de suivre dans ses progrès le génie du genre humain, & d’élever l’esprit de chaque gouvernement à mesure que l’esprit de chaque nation s’éclaire & s’éleve ; équilibre sans lequel ces deux esprits cherchoient en vain leur repos & leur sûreté.

Nous n’entrerons point dans le détail des diversités qu’ont entr’elles les monarchies présentes de l’Europe, ni des événemens qui depuis dix à douze siecles ont produit ces variations. Dans tout, l’esprit primitif est toujours le même ; s’il a été quelquefois altéré ou changé, c’est parce que les antiques préventions des climats où elles sont venues s’établir, ont cherché à les subjuguer dans ces âges d’ignorance & de superstitions qui plongerent pour un tems dans le sommeil le bon sens des nations européennes, & même la religion la plus sainte.

Ce fut sous cette ténébreuse époque que ces mêmes préjugés théocratiques, qui avoient infecté les anciens gouvernemens, entreprirent de s’assujettir aussi les monarchies nouvelles, & que sous mille formes différentes ils en furent tantôt les fléaux & tantôt les corrupteurs. Mais à quoi sert de rappeller un âge dont nous détestons aujourd’hui la mémoire, & dont nous méprisons les faux principes ? qu’il nous serve seulement à montrer que les monarchies n’ont pu être troublées que par des vices étrangers sortis du sein de la nature calme & paisible. Elles n’ont eu de rapport avec les théocraties, filles de fausses terreurs, que par les maux qu’elles en ont reçu. Seules capables de remplir l’objet de la science du gouvernement, qui est de maintenir les hommes en société & de faire le bonheur du monde, les monarchies y réussiront toujours en rappellant leur esprit primitif pour éloigner les faux systèmes ; en s’appuyant sur une police immuable & sur des lois inaltérables, afin d’y trouver leur sureté & celle de la société, & en plaçant entre la raison & l’humanité, comme en une bonne & sure garde, les préjugés théocratiques, s’il y en a qui subsistent encore. Du reste, c’est le progrès des connoissances qui, en agissant sur les puissances & sur la raison publique, continuera de leur apprendre ce qu’il importe pour le vrai bien de la société : c’est à ce seul progrès, qui commande d’une façon invisible & victorieuse à tout ce qui pense dans la nature, qu’il est reservé d’être le législateur de tous les hommes, & de porter insensiblement & sans effort des lumieres nouvelles dans le monde politique, comme il est porté tous les jours dans le monde savant.

Nous croirions avoir obmis la plus intéressante de nos observations, & avoir manqué à leur donner le degré d’autenticité dont elles peuvent être susceptibles, si après avoir suivi & examiné l’origine & les principes des divers gouvernemens, nous ne finissions point par faire remarquer & admirer quelle a été la sagacité d’un des grands hommes de nos jours, qui sans avoir considéré l’origine particuliere de ces

gouvernemens, qu’il auroit cependant encore mieux vu que nous, a commencé par où nous venons de finir, & a prescrit néanmoins à chacun d’eux son mobile convenable & ses lois. Nous avons vu que les républiques avoient pris pour modele l’âge d’or de la théocratie, c’est-à-dire le ciel même ; c’est la vertu, dit M. de Montesquieu, qui doit être le mobile du gouvernement républicain. Nous avons vu que le despotisme n’avoit cherché qu’à représenter le monarque exterminateur de la théocratie des nations ; c’est la crainte, a dit encore M. de Montesquieu, qui doit être le mobile du despotisme. C’est l’honneur, a dit enfin ce législateur de notre âge, qui doit être le mobile de la monarchie ; & nous avons reconnu en effet que c’est ce gouvernement raisonnable fait pour la terre, qui laissant à l’homme tout le sentiment de son état & de son existence, doit être soutenu & conservé par l’honneur, qui n’est autre chose que le sentiment que nous avons tous de la dignité de notre nature. Quoi qu’aient donc pu dire la passion & l’ignorance contre les principes du sublime auteur de l’esprit des lois, ils sont aussi vrais que sa sagacité a été grande pour les découvrir & en suivre les effets sans en avoir cherché l’origine. Tel est le privilege du génie, d’être seul capable de connoître le vrai d’un grand tout, lors même que ce tout lui est inconnu, ou qu’il n’en considere qu’une partie. Cet article est de feu M. Boulanger.

ŒCONOMIQUE, (Morale.) c’est le nom d’une des parties de la philosophie morale, qui enseigne le ménage & la façon de gouverner les affaires d’une famille ou de régir une maison. Voyez Economie.

ŒCUMENIQUE, adj. (Théologie.) c’est-à-dire général ou universel, dérivé d’οἰκουμενα, la terre habitable ou toute la terre, comme qui diroit reconnu par toute la terre.

Ainsi nous disons un concile œcumenique, c’est-à-dire auquel les évêques de toute l’église chrétienne ont assisté ou du-moins ont été convoqués. Voyez Concile. Les Affricains ont cependant quelquefois donné ce nom à des conciles composés des évêques de plusieurs provinces.

Ducange observe que plusieurs patriarches de Constantinople se sont arrogés la qualité ou le titre de patriarches œcumeniques, & voici à quelle occasion. Les prêtres & les diacres de l’église d’Alexandrie présentant leur requête au concile genéral de Chalcédoine, tenu en 451, auquel saint Léon présidoit, par ses légats, donnerent ce titre au pape lorsqu’ils s’adresserent à lui, en ces termes, comme s’il eût été présent : Au très-saint & très-heureux patriarche œcumenique de la grande Rome, Léon ; & précédemment en 381, le premier concile de Constantinople ayant statué que l’évêque de Constantinople auroit les prérogatives d’honneur après l’évêque de Rome, parce qu’elle étoit la nouvelle Rome, les patriarches de cette derniere ville prirent aussi le titre de patriarches œcumeniques, sous prétexte qu’on l’avoit donné à saint Léon, quoiqu’on ne lise nulle part que celui-ci l’ait accepté. Dès l’an 518 Jean III. évêque de Constantinople, fut appellé patriarche œcumenique : en 536 Epiphane prit le même titre ; & enfin Jean VI. surnommé le jeûneur, le prit encore avec plus d’éclat dans un concile général de tout l’Orient qu’il avoit convoqué sans la participation du pape Pelage II. qui condamna en vain toutes ces démarches, puisque les successeurs de Jean le jeûneur conserverent toûjours ce titre, & qu’on en vit encore un le prendre au concile de Bâle.

Le pape saint Grégoire le grand fut extrèmement irrité de cette conduite des patriarches de Constantinople, & prétendit que le titre dont ils se paroient étoit un titre d’orgueil & un caractere de l’antechrist. En effet, le terme d’œcumenique est équivoque ; car