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pend, heureux est celui qui prend un genre de vie conforme au caractere de son cœur & de son esprit, il trouvera toujours du plaisir & des ressources dans le choix de son attachement ! (D. J.)

Naturelle, loi, s. f. (Droit naturel.) on définit la loi naturelle, une loi que Dieu impose à tous les hommes, & qu’ils peuvent découvrir par les lumieres de leur raison, en considérant attentivement leur nature & leur état.

Le droit naturel est le système de ces mêmes lois, & la jurisprudence naturelle est l’art de développer les lois de la nature, & de les appliquer aux actions humaines.

Le savant évêque de Péterborough définit les lois naturelles, certaines propositions d’une vérité immuable, qui servent à diriger les actes volontaires de notre ame dans la recherche des biens ou dans la fuite des maux, & qui nous imposent l’obligation de régler nos actions d’une certaine maniere, indépendamment de toute loi civile, & mises à part les conventions par lesquelles le gouvernement est établi. Cette définition du docteur Cumberland revient au même que la nôtre.

Les lois naturelles sont ainsi nommées parce qu’elles dérivent uniquement de la constitution de notre être avant l’établissement des sociétés. La loi, qui en imprimant dans nous-mêmes l’idée d’un créateur, nous porte vers lui, est la premiere des lois naturelles par son importance, mais non pas dans l’ordre de ses lois. L’homme dans l’état de nature, ajoute M. de Montesquieu, auroit plûtôt la faculté de connoître, qu’il n’auroit des connoissances. Il est clair que ses premieres idées ne seroient point ses idées spéculatives, il songeroit à la conservation de son être avant que de chercher l’origine de son être.

Un homme pareil ne sentiroit d’abord que sa foiblesse ; sa timidité seroit extrème ; & si l’on avoit là-dessus besoin de l’expérience, l’on a trouvé dans les forêts des hommes sauvages ; tout les fait trembler, tout les fait fuir. Les hommes dans cet état de nature ne cherchent donc point à s’attaquer, & la paix est la premiere loi naturelle.

Au sentiment de sa foiblesse, l’homme joint le sentiment de ses besoins. Ainsi une autre loi naturelle est celle qui lui inspire de chercher à se nourrir.

Je dis que la crainte porteroit les hommes à se fuir ; mais les marques d’une crainte réciproque les engageroit bientôt à s’approcher. Ils y seroient portés d’ailleurs par le plaisir qu’un animal sent à l’approche d’un animal de son espece. De plus, ce charme que les deux sexes s’inspirent par leur différence, augmenteroit ce plaisir ; & la priere naturelle qu’ils se font toujours l’un à l’autre, seroit une troisieme loi.

Les hommes parvenant à acquérir des connoissances, ont un nouveau motif de s’unir pour leur bien commun ; ainsi le desir de vivre en société est une quatrieme loi naturelle.

On peut établir trois principes généraux des lois naturelles, savoir 1°. la religion : 2°. l’amour de soi-même : 3°. la sociabilité, ou la bienveillance envers les autres hommes.

La religion est le principe des lois naturelles qui ont Dieu pour objet. La raison nous faisant connoître l’être suprême comme notre créateur, notre conservateur & notre bienfaiteur : il s’ensuit que nous devons reconnoître notre dépendance absolue à son égard. Ce qui par une conséquence naturelle, doit produire en nous des sentimens de respect, d’amour & de crainte, avec un entier dévouement à sa volonté ; ce sont là les sentimens qui constituent la religion. Voyez Religion.

L’amour de soi-même, j’entends un amour éclairé & raisonnable, est le principe des lois naturelles qui nous concernent nous mêmes. Il est de la derniere

évidence que Dieu en nous créant, s’est proposé notre conservation, notre perfection & notre bonheur. C’est ce qui paroît manifestement, & par les facultés dont l’homme est enrichi, qui tendent à ces fins, & par cette forte inclination qui nous porte à rechercher le bien & à fuir le mal. Dieu veut donc que chacun travaille à sa conservation & à sa perfection, pour acquérir tout le bonheur dont il est capable, conformément à sa nature & à son état. Voyez Amour de soi-même.

La sociabilité, ou la bienveillance envers les autres hommes, est le principe d’où l’on peut déduire les lois naturelles qui regardent nos devoirs réciproques, & qui ont pour objet la société, c’est-à-dire les humains avec lesquels nous vivons. La plûpart des facultés de l’homme, ses inclinations naturelles, sa foiblesse & ses besoins, sont autant de liens qui forment l’union du genre humain, d’où dépend la conservation & le bonheur de la vie. Ainsi tout nous invite à la sociabilité ; le besoin nous en impose la nécessité, le penchant nous en fait un plaisir, & les dispositions que nous y apportons naturellement, nous montrent que c’est en effet l’intention de notre créateur.

Mais la société humaine ne pouvant ni subsister, ni produire les heureux effets pour lesquels Dieu l’a établie, à moins que les hommes n’aient les uns pour les autres des sentimens d’affection & de bienveillance, il s’ensuit que Dieu veut que chacun soit animé de ces sentimens, & fasse tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir cette société dans un état avantageux & agréable, & pour en resserrer de plus en plus les nœuds par des services & des bienfaits réciproques. Voyez Sociabilité.

Ces trois principes, la religion, l’amour de soi-même & la sociabilité, ont tous les caracteres que doivent avoir des principes de lois ; ils sont vrais puisqu’ils sont pris dans la nature de l’homme, dans sa constitution, & dans l’état où Dieu l’a mis. Ils sont simples, & à la portée de tout le monde ; ce qui est un point important, parce qu’en matiere de devoirs, il ne faut que des principes que chacun puisse saisir aisément, & qu’il y a toujours de danger dans la subtilité d’esprit qui fait chercher des routes singulieres & nouvelles. Enfin ces mêmes principes sont suffisans & très-féconds, puisqu’ils embrassent tous let objets de nos devoirs, & nous font connoître la volonté de Dieu dans tous les états, & toutes les relations de l’homme.

1°. Les lois naturelles sont suffisamment connues des hommes, car on en peut découvrir les principes, & de-là déduire tous nos devoirs par l’usage de la raison cultivée ; & même la plûpart de ces lois sont à la portée des esprits les plus médiocres.

2°. Les lois naturelles ne dépendent point d’une institution arbitraire ; elles dépendent de l’institution divine fondée d’un côté sur la nature & la constitution de l’homme ; de l’autre sur la sagesse de Dieu, qui ne sauroit vouloir une fin, sans vouloir en même tems les moyens qui seuls peuvent y conduire.

3°. Un autre caractere essentiel des lois naturelles, c’est qu’elles sont universelles, c’est-à-dire qu’elles obligent tous les hommes sans exception ; car non seulement tous les hommes sont également soumis à l’empire de Dieu, mais encore les lois naturelles ayant leur fondement dans la constitution & l’état des hommes, & leur étant notifiées par la raison, il est bien manifeste qu’elles conviennent essentiellement à tous, & les obligent tous sans distinction, quelque différence qu’il y ait entr’eux par le fait, & dans quelqu’état qu’on les suppose. C’est ce qui distingue les lois naturelles des lois positives ; car une loi positive ne regarde que certaines personnes, ou certaines sociétés en particulier.