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consulaires illustrés par vingt triomphes ; d’une multitude de cliens qui composoient son cortege ; d’une suite nombreuse d’ambassadeurs, de rois, de souverains, d’étrangers qui imploroient sa protection. L’homme le plus froid ne seroit-il point échauffé à la vûe d’un spectacle aussi auguste ? Sous les empereurs quelle solitude dans les tribunaux, & quels gens les composoient !

Cependant après l’extinction des premiers Césars, sous le regne de Vespasien & celui de Trajan, deux orateurs vinrent encore lutter contre le mauvais goût de leur siecle, & rappeller l’éloquence des anciens ; ce furent Quintilien, & Pline le jeune. Traçons leur caractere en deux mots, & cet article sera fini.

Le premier brilloit par une grande netteté, par un esprit d’ordre, & par l’art singulier d’émouvoir les passions : on le chargeoit pour l’ordinaire du soin d’exposer le fait, quand on distribuoit les différentes parties d’une cause à différens orateurs. On le voyoit souvent en plaidant verser des larmes, changer de visage, pâlir, & donner toutes les marques d’une vive & sincere douleur. Il avoue que c’est à ce talent qu’il doit toute sa réputation. Il étoit comme l’avocat né des souverains ; il eut l’honneur de parler devant la reine Bérénice pour les intérêts de cette princesse même. Non-content d’instruire par son exemple, & de marquer du doigt la route de l’éloquence, il voulut aussi en fixer les principes par ses leçons, & verser dans l’esprit des jeunes patriciens qui aspiroient à la gloire du barreau, & consultoient ses lumieres, le goût solide des anciens maîtres.

Ses institutions, monument éternel de la beauté de son génie, peuvent nous donner une idée de ses talens & de ses mœurs : c’est-là où au défaut de ses pieces que les injures du tems n’ont pas laissé parvenir jusqu’à nous, il nous trace avec une franchise & une modestie qui lui étoit naturelle, le plan de la méthode qu’il suivoit dans ses narrations & ses peroraisons. Cependant il y a tout lieu de soupçonner, que pour obéir à la coutume qu’il avoit trouvé établie, & pour donner quelque chose au goût de son siecle, il employoit des armes brillantes, & ne rejettoit pas toujours les pensées fleuries, les antithèses, & les pointes. Loin de réprouver totalement la déclamation, qui comme chez les Grecs, ruina l’éloquence latine ; il la juge très-utile. Il est vrai qu’il lui prescrit des bornes étroites. & qu’il ne s’y soumet que par condescendance : mais enfin, auroit-il été entendu, s’il eût tenu un langage différent ? Il faut parler la langue de ses auditeurs, & prendre en quelque sorte leur esprit, pour les persuader & les convaincre. Les hommes, soit que ce soit un don de la nature, soit que ce soit un préjugé de l’éducation, n’approuvent ordinairement que ce qu’ils trouvent dans eux-mêmes.

Pline le jeune s’étoit proposé pour modele Démosthènes & Calvus ; il chérissoit une éloquence impétueuse, abondante, étendue, mais égayée par des fleurs autant que la matiere le permettoit ; il vouloit être grave, & non pas chagrin ; il aimoit à frapper avec magnificence ; il n’aimoit pas moins à surprendre la raison par des agrémens étudiés, que de l’accabler par le poids de ses foudres. Les armes brillantes étoient autant de son goût, que celles qui ont de la force : poli, humain, tendre, enjoué, droit, grand, noble, brillant ; son esprit avoit le même caractere que son cœur. Sa composition tenoit comme le milieu entre le siecle de Cicéron, & celui de Séneque ; en sorte qu’il auroit plû dans le premier, comme il plaisoit dans le second. Son plaidoyer pour les peuples de la Bétique, & pour Accia Variola, montre toute la fermeté de son courage,

& tout le beau de son génie. Ses conclusions furent modestes, & firent admirer par-là l’équité des premiers siecles.

Mais dans son panégyrique de Trajan, il prodigua trop toutes les fleurs de son esprit, affectant sans cesse des antithèses & des tours recherchés. Les richesses de l’imagination, la pompe des descriptions, y sont étalées sans mesure ; & cette abondance excessive répand sur le tribut de justes louanges, que la reconnoissance exigeoit, le dégoût qu’inspire la flaterie. Quelle beauté dans les éloges que Cicéron fait de Pompée & de César ! Tout le barreau retentit de bruyantes acclamations. Que de fadeur dans le panégyrique de Trajan ! Il choque par l’excès de ses louanges, & fatigue par sa prolixité.

Malgré ces défauts de Pline, qui étoient ceux de son siecle, plus d’une fois cet orateur admirable à plusieurs autres égards, eut la satisfaction de ne pouvoir parvenir qu’avec peine au barreau, tant étoit grande la foule des personnes qui venoient l’entendre plaider. Souvent même il étoit obligé de passer au-travers du tribunal des juges, pour arriver à sa place. A sa suite marchoit une troupe choisie de jeunes avocats de famille, en qui il avoit remarqué des talens ; il se faisoit un plaisir de les produire, & de les couvrir de ses propres lauriers. L’amour de la patrie, un noble désintéressement, une protection déclarée pour la vertu & pour les Sciences, un cœur généreux & magnanime ; ses vertus, ses bienfaits, sa fidélité à ses devoirs, sa bonté pour les peuples, son attachement aux gens de Lettres, le rendirent précieux & aimable à tout le monde. Il étoit l’admiration des Philosophes, & les délices de ses concitoyens. Goûté, estimé, & respecté, il régnoit au barreau en maître, & il commandoit en pere dans les provinces. Il fut le dernier orateur romain, & malgré ses soins & son attention, il n’eut point d’imitateurs. Plus Rome vieillissoit, plus la chûte de l’éloquence étoit sans remede.

Je sais bien qu’après le siecle heureux de Trajan, on vit encore quelques empereurs qui tâcherent de la ranimer par leur voix, & par leur générosité ; mais malheureusement le goût de ces princes étoit mauvais, & leur politique incertaine. Adrien, successeur immédiat de Trajan, n’aimoit que l’extraordinaire & le bisarre : esprit romancier, il couroit après le faux, & après l’hyperbole. Antonin le philosophe, transporté de l’enthousiasme du portique, n’avoit de considération que pour des philosophes & des jurisconsultes, & ne s’attachoit qu’aux Grecs. Enfin, leurs établissemens n’avoient aucune stabilité. Comme un empereur n’héritoit point du diadème, qu’il le tenoit de la fortune, de sa politique, de son argent, & de ses violences, il effaçoit jusqu’aux vestiges des graces de son devancier. Des savans placés à côté du trone sous un regne, se voyoient contrains sous un autre de mandier dans les places les moyens de subsister. Les Sciences chancelantes comme l’état, essuyoient les mêmes revers.

Ainsi dégénéra, & finit avant l’empire l’éloquence romaine : arrachée de son élément, c’est-à-dire, privée de la liberté, & asservie au caprice des grands, elle s’affoiblit tout-d’un-coup ; & après quelques efforts impuissans qui montroient plutôt un véritable épuisement qu’un fonds solide, elle s’ensevelit dans l’oubli ; semblable à un grand fleuve qui s’étend au loin dès sa source, s’avance d’un pas majestueux à l’approche des grandes villes, & va se perdre avec fracas dans l’immense abîme des mers. Le Chevalier de Jaucourt.

Orateur, (Hist. mod.) dans le parlement d’Angleterre, c’est dans la chambre des communes le président, le modérateur. Il est élu à la pluralité des