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férence, mais encore de la quantité & de la raison de son objet. En effet, l’ouie distingue parfaitement toutes les gradations des tons ; elle les détermine, elle les soumet au calcul, elle en fait un art ; les yeux ne peuvent nous en dire autant de la lumiere ; ils apperçoivent en gros, & à-peu-près, qu’une lumiere, une couleur est plus ou moins claire ou foncée qu’une autre, & voilà tout ; ils ne pourront jamais déterminer la quantité de ce plus ou moins.

Il faut encore convenir que les travaux de nos physiciens ont porté beaucoup de clarté pour l’intelligence de plusieurs phénomenes de l’ouie. Voici les principaux dont on peut donner des explications certaines ou vraissemblables.

1°. Si l’on applique le creux de la main à l’oreille externe, de sorte qu’il regarde le corps sonore, on entend beaucoup mieux ; parce qu’alors on ramasse plus de rayons, ainsi il doit se faire dans l’oreille une impression plus forte.

2°. L’oreille externe étant coupée, on entend plus difficilement ; cela vient de ce que l’entonnoir qui ramassoit beaucoup de rayons est enlevé : on pourroit suppléer à ce défaut par un tuyau évasé qu’on appliqueroit au trou auditif.

3°. Si l’on présente obliquement le plan de l’oreille externe à un corps sonore, en tournant la tête vers le côté opposé, on entend beaucoup mieux ; la cause en est que le conduit auditif marche en devant ; ainsi quand on tourne la tête, on reçoit directement les rayons sonores.

4°. L’ouie est beaucoup plus fine quand on écoute la bouche étant ouverte ; cela vient non-seulement de ce que les vibrations de l’air se communiquent par la bouche, & par la trompe d’Eustache, à l’intérieur de l’oreille, mais encore de ce que la charniere de la mâchoire appliquée contre le conduit de l’oreille, s’en éloigne quand on ouvre la bouche, & par-là elle laisse ce conduit plus libre ; quand la bouche est fermée, la mâchoire inférieure comprime un peu le conduit auditif, & empêche par-là qu’il n’y entre une aussi grande quantité de rayons sonores que lorsqu’elle est ouverte.

5°. Pourquoi entend-t-on des bruits sourds, & pourquoi l’ouie est-elle émoussée quand on souffle, qu’on bâille, qu’on parle ou qu’on chante sur un ton fort aigu ? Parce que la trompe d’Eustache étant comprimée à diverses reprises, l’air est poussé dans la caisse du tambour, & cause des bruits sourds en tombant sur les corps qu’il rencontre.

6°. Il y a des sourds qui entendent quand on leur parle à la bouche ; l’air communique alors ses vibrations par la trompe d’Eustache.

7°. S’il arrive une obstruction à cette trompe d’Eustache, on devient sourd ; la raison en est évidente, parce que cette trompe étant bouchée, il se ramasse dans la caisse du tambour des matieres qui peuvent éteindre le son, & qui sortiroient si cette issue ne leur étoit pas interdite.

8°. Si la membrane du tambour vient à se rompre, la surdité succede quelque tems après. On en doit attribuer la cause aux matieres qui s’introduisent alors dans la caisse, & aux impressions de l’air externe ; outre que cette membrane sert à transmettre à l’ouie des vibrations plus parfaites, & proportionnées à cet organe.

9°. Par quelle ouverture la fumée d’une pipe de tabac qu’on fume dans la bouche, peut-elle sortir par les oreilles, comme on le voit dans quelques personnes. Cette fumée entre alors par les trompes, & sort par le trou de Rivinus, qui se trouve ouvert dans quelques sujets, au moyen duquel ils pourront encore éteindre une bougie en faisant sortir de l’air par le conduit de l’oreille. Ce trou se rencontre à

l’interruption du cercle osseux où s’attache la membrane du tambour.

10°. Quoique le son frappe les deux oreilles, on n’entend cependant qu’un seul son, égal & sans confusion ; c’est parce que la fabrique de l’oreille par rapport à l’organe immédiat de l’ouie, est entierement la même, toujours, en tout tems, à tout âge,& que s’il y a quelque défaut naturel dans une oreille d’un côté, le même défaut se trouve dans la même partie à l’autre oreille, & au côté opposé ; ce sont les observations curieuses de Valsalva qui méritent bien d’être vérifiées ; car si l’anatomiste d’Imola ne se trompe point, sa découverte est très-singuliere.

11°. Mais comment entend-on comme simple, un son qui est évidemment infiniment multiplié dans l’oreille, puisque dans le canal de l’ouie, comme dans une trompette, le son est poussé & repoussé une infinité de fois, & que cependant l’ame se représente tous ces sons comme n’en formant qu’un seul.

La raison qu’en donne M. Boerhaave, c’est que l’oreille ne peut distinguer tous les échos ou résonnemens qu’on fait naître, soit en parlant, soit en jouant de quelque instrument que ce soit, parce qu’on ne distingue l’écho qu’à une certaine distance. Quoi que nous entendions distinctement une syllabe dans moins d’une seconde ; ce tems est fort long comparé à la vîtesse du tems qui se passe entre le son primitif & le son réflêchi, elle est telle sans doute, que la perception du premier dure encore, quand celle du second arrive, ce qui empêche l’ame de la distinguer. Donc tous les résonnemens du son primitif ne laisseront appercevoir qu’un son. Tous les corps qui sonnent harmoniquement au son primitif, se joignent en un dans notre oreille, parce qu’ils sont de même espece, & ne se distinguent pas facilement, sans quoi nous aurions le malheur d’entendre un grand nombre de sons discordans au-lieu d’un seul.

12°. D’où vient la grande communication qu’il y a entre l’ouie & la parole ? Par la correspondance de la portion dure du nerf auditif avec les branches de la cinquieme paire, qui se distribue aux parties qui servent à former & à modifier la voix.

13°. D’où viennent les tintemens, les sifflemens & bruits confus qui se font quelquefois dans l’oreille ? Ils viennent des maladies de cet organe ou des maladies du cerveau, qui produisent un mouvement irrégulier & déréglé des esprits, & qui ébranlent les nerfs auditifs.

14°. Le bourdonnement qu’on sent lorsqu’on se bouche les oreilles a-t-il la même cause ? Non, il vient du frottement de la main, de la compression qui froisse la peau & les cartilages, lesquels étant élastiques, causent un ébranlement dans l’oreille ; la vertu du ressort de l’air resserré, peut encore y contribuer, & former par ses réflexions un son qui devient sensible, à cause de la proximité & de la continuité des parties qu’il frappe.

15°. Quand la matiere cérumineuse vient à boucher le conduit auditif externe, on devient sourd, parce que l’air ne peut pas communiquer ses vibrations intérieurement. De même s’il se ramassoit des liqueurs épaisses dans la caisse du tambour, les vibrations de l’air ne pourroient pas se communiquer par les fenêtres ; alors si l’on faisoit quelqu’injection par la trompe, on pourroit enlever cette matiere, mais en tentant ce moyen, il faut que ce soit par le nez.

16°. D’où vient que certains sourds entendent beaucoup mieux quand on leur parle par-dessus la tête ? C’est qu’apparemment tout le crâne étant ébranlé, les os pierreux & tous les autres le sont aussi successivement.