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livres sterlings la verge, semble composée de poils épais, raboteux, inégaux, entortillés, attachés ou liés ensemble tout de travers & sans art.

Mais la toile d’un ver à soie étant examinée, paroît parfaitement polie & brillante, uniforme de tous les côtés, & beaucoup plus fine qu’aucun fil qui puisse être filé par la meilleure fileuse du monde, autant que le plus petit fil retors est plus fin que le plus gros cable. Une cosse de cette soie étant développée, se trouve contenir neuf cent & trente verges ; mais il est bon de remarquer, que comme deux fils sont toujours attachés ensemble par le ver dans toute leur longueur, le nombre des fils en est réellement double, c’est-à-dire, de 1860 verges ; ces fils étant pesés avec la derniere exactitude, se trouvent ne peser que deux grains & demi. Quelle finesse exquise est donc celle-ci ? Encore n’est-ce rien en comparaison de la toile d’une petite araignée, ou même en comparaison de la soie qui sort de la bouche de ce même ver lorsqu’il vient d’éclore.

Le plus petit point ou marque que l’on puisse faire avec une plume, paroît au microscope une grande tache irréguliere, raboteuse, dentelée & inégale tout au-tour de ses côtés, & bien éloignée d’être véritablement ronde. L’écriture la plus fine & la plus menue, comme l’oraison de Notre-Seigneur comprise toute entiere dans un sol d’argent, ou autres petites écritures également curieuses faites par les plus habiles maîtres, paroissent lorsqu’on les examine au microscope, aussi difformes, grossieres & barbares, que si elles avoient été écrites par la main la plus pesante ; mais les taches qui sont sur les aîles ou sur les corps des teignes, des escarbots, des mouches & autres insectes, se trouvent lorsqu’on les grossit autant que l’on peut avec la loupe, très-exactement circulaires, & les autres lignes & marques qui sont tout-autour, paroissent tirées régulierement & délicatement avec toute l’exactitude possible.

Le docteur Power dit qu’il a vu une chaîne d’or à Tredescant, composée de trois cens anneaux, & qui n’avoit pas plus d’un pouce de longueur, on l’attachoit à une mouche qui la traînoit. M. Derham a vu au-près de Durhamyard une chaise faire par le sieur Boverick horloger, qui avoit quatre roues, avec toutes leurs appartenances, roulant aisément sur leurs essieux, & un homme assis dans la chaise ; le tout étoit d’yvoire, & traîné par une mouche sans aucune difficulté apparente ; il pesa le tout avec la plus grande attention dont il fût capable, & trouva que la chaise, l’homme, & la mouche pesoient un seul grain. Il pesa aussi dans le même tems & dans le même endroit une chaîne de cuivre faite par le même ouvrier, qui avoit environ deux pouces de longueur, deux cens anneaux avec un crochet au bout, & un cadenat avec une clé à l’autre bout, & il trouva qu’elle ne pesoit pas le tiers d’un grain. Il a vu encore de la même main une table de quadrille avec son tiroir, une table à manger, un buffet, un miroir, douze chaises à dossier, six plats, une douzaine de couteaux, autant de fourchettes, douze cuilliers, deux salieres, avec un cavalier homme, une dame & un laquais, le tout contenu dans un noyau de cerise.

On nous apprend dans le journal d’Allemagne, qu’un ouvrier nommé Oswald Nerlinger, fit une coupe d’un grain de poivre qui en contenoit douze cens autres plus petites, toutes tournées en ivoire, dont chacune étoit dorée aux bords, & se tenoit sur son pié. Si tous ces faits ne sont pas beaucoup exagérés, ce sont là les ouvrages de l’art les plus délicats, les plus curieux & les plus surprenans qui aient été faits de main d’homme, mais après qu’on a eu examiné quelqu’un de ces ouvrages avec un

microscope, on s’est convaincu que le plus grand effort de l’art ne consiste qu’à bien cacher les difformités, à en imposer à la foiblesse de nos yeux, & à prouver que notre admiration ne vient que de notre ignorance.

La découverte avantageuse de cette vérité, fait voir que les chefs-d’œuvres de l’art les plus vantés, sont aussi mal fagotés, raboteux & inégaux, que si on les avoit taillés avec une hache, ou si on les avoit frappés avec un maillet & un ciseau ; on y voit des bévues, des inégalités & des imperfections dans chaque partie, & le tout est monstrueux, n’ayant aucune proportion. Nos miniatures les plus fines paroissent devant cet instrument comme de purs barbouillages, enduits avec une truelle & sans aucune beauté, tant dans les traits que dans les couleurs. Nos plus brillans vernis, nos ouvrages les mieux polis, ne sont que des corps raboteux, pleins de fentes & de crevasses. Ainsi disparoissent les ouvrages de l’art lorsque nous sommes en état de voir ce qu’ils sont effectivement. Au contraire, si nous examinons de plus près, si nous distinguons mieux, si nous observons avec plus de soin les ouvrages de la nature, même dans ses moindres productions, nous n’en sommes que plus frappés de la sagesse, de la puissance, & de la grandeur infinie de celui qui les a faits.

Appliquez au microscope tout ce qu’il vous plaira, vous n’y trouverez que beautés & perfections. Considérez le nombre infini d’especes d’insectes qui nagent, qui rampent, ou qui volent autour de nous, quelle proportion, quelle exactitude, quelle uniformité & quelle symmétrie n’appercevrez-vous pas dans tous leurs organes ! Quelle profusion de couleurs ! L’asur, le verd & le vermillon, l’or, l’argent, les perles, les rubis & les diamans forment une broderie à leurs corps, à leurs aîles, à leurs têtes, & à toutes leurs autres parties ! Que de richesses ! que de perfections ! Quel poli inimitable ne voyons-nous pas de toutes parts ! Allons plus avant & examinons les petits animaux dont plusieurs especes sont absolument invisibles à l’œil humain sans le secours d’un microscope ; ces atômes vivans, tout petits qu’ils sont, ne laissent pas d’être presque tous des prodiges ; nous y découvrons les mêmes organes du corps, la même multiplicité de parties, variété de mouvemens, diversité de figures, & maniere de vivre particuliere que nous voyons dans les plus grands animaux ; la construction intérieure de ces petites créatures doit être prodigieusement curieuse, le cœur, l’estomac, les entrailles & le cerveau. Combien doivent être petits & déliés leurs os, leurs jointures, leurs muscles & leurs tendons ! Combien doivent être délicates, & au-delà de toute imagination, les veines, les arteres & les nerfs ! Quelle multitude de vaisseaux & de circulations dans un si petit espace ! & encore ont-ils assez de place pour remplir toutes leurs fonctions, sans se mêler ou s’embarrasser les uns avec les autres !

Si l’on examine les végetaux, on y voit pareillement le même ordre, la même régularité & la même beauté. Chaque tige, chaque bouton, chaque fleur & chaque semence, présente une figure, une proportion, une harmonie qui est au-dessus de la portée de tous les arts. Il n’y a point d’herbe sauvage, ni de mousse dont chaque feuille ne présente une multiplicité de vaisseaux & de pores rangés avec un art infini, pour porter les sucs nécessaires à sa conservation & à sa nourriture, & qui ne soit ornée d’une infinité de graces qui l’embellissent.

Les ouvrages les plus parfaits de l’art, font sentir la foiblesse, la pauvreté, & l’incapacité de l’ouvrier ; mais ceux de la nature font voir clairement que celui qui les a faits a un pouvoir absolu sur la