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ne voit pas que l’on ait employé la premiere pour les évêchés depuis le concordat ; cependant si le pape refusoit sans raison d’exécuter la loi qu’il s’est lui-même imposée, rien n’empêcheroit d’avoir recours à l’ancien droit de faire sacrer les évêques par le métropolitain sans le consentement du pape.

Dans les premiers siecles de l’Eglise, toutes les causes ecclésiastiques étoient jugées en dernier ressort par les évêques de la province dans laquelle elles étoient nées. Dans la suite, les papes prétendirent qu’en qualité de chefs de l’Eglise, ils devoient connoître de toutes les affaires, en cas d’appel au saint siege. Après bien des contestations, tous les évêques d’occident ont condescendu au desir des papes, lesquels jugent présentement les appellations interjettées des sentences rendues par les primats, ou par les métropolitains qui relévent immédiatement du saint siege. A l’égard de la France, le juge doit nommer des délégués pour juger sur les lieux des appellations qui sont portées à Rome ; & il ne peut en connoître, même par ses délégués, que quand on a épuisé tous les degrés inférieurs de la jurisdiction ecclésiastique.

Les canonistes ultramontains attribuent aux papes plusieurs autres prérogatives, telles que l’infaillibilité dans leurs décisions sur les matieres qui regardent la foi, la supériorité au-dessus des conciles généraux, & une autorité sans bornes pour dispenser des canons & des regles de la discipline ; mais l’église gallicane, toujours attentive à conserver la doctrine qu’elle a reçue par tradiction des hommes apostoliques, en rendant au successeur de S. Pierre tout le respect qui lui est dû suivant les canons, a eu soin d’écarter toutes les prétentions qui n’étoient pas fondées.

On tient en France, que quelque grande que puisse être l’autorité du pape sur les affaires ecclésiastiques, elle ne peut jamais s’étendre directement, ni indirectement sur le temporel des rois ; il ne peut délier leurs sujets du serment de fidélité, ni abandonner les états des princes souverains au premier occupant, ou en disposer autrement.

Par une suite du même principe, que le pape n’a aucun pouvoir sur le temporel des rois, il ne peut faire aucune levée de deniers en France, même sur le temporel des bénéfices du royaume, à moins que ce ne soit par permission du roi. C’est ce qui est dit dans une ordonnance de S. Louis, du mois de Mars 1268, que le pape ne peut lever aucuns deniers en France sans un exprès consentement du roi & de l’église gallicane ; on voit aussi par un mandement de Charles IV. dit le Bel, du 12 Octobre 1326, que ce prince fit cesser la levée d’un subside que quelques personnes exigeoient au nom du pape pour la guerre qu’il avoit en Lombardie.

Néanmoins pendant un tems les papes ont pris sur les biens ecclésiastiques de France des fruits & émolumens à l’occasion des vacans (ou annates), des procurations, dixmes ou subventions & des biens-meubles des ecclésiastiques décédés ; mais ces levées ne se faisoient que par la permission de nos rois ou de leur consentement, & il y a long-tems qu’il ne s’est rien vu de semblable.

Les papes ont aussi souvent cherché à se rendre nécessaires pour la levée des deniers que nos rois faisoient sur le clergé ; ils ont plusieurs fois donné des permissions au clergé de France de payer les droits d’aide au roi ; mais nos rois n’ont jamais reconnu qu’ils eussent besoin du consentement du pape pour faire quelque levée de deniers sur le clergé, & depuis long-tems les papes ne se sont plus mêlés de ces sortes d’affaires.

Le pape ne peut excommunier les officiers royaux pour ce qui dépend de l’exercice de la jurisdiction séculiere.

Il ne peut pas non plus restituer de l’infamie, re-

mettre l’amende-honorable, proroger le tems pour

l’exécution des testamens, convertir les legs, permettre aux clercs de tester au préjudice des ordonnances & des coutumes, donner pouvoir de posséder des biens dans le royaume contre la disposition des ordonnances, ni connoître en aucun cas des affaires civiles ou criminelles des laïcs.

Quoique le pape soit le chef visible de l’église, & qu’il y ait la principale autorité pour tout ce qui regarde le spirituel ; on a toujours tenu pour maxime en France, que son pouvoir n’est pas absolu ni infini, & que sa puissance doit être bornée par les saints canons, par les regles des conciles qui sont reçus dans le royaume, & par les decrets de ses prédécesseurs, qui ont été approuvés parmi nous.

Le pape ne peut donner aucune atteinte aux anciennes coutumes des églises, qui ne sont pas contraires aux regles de la foi & aux bonnes mœurs, & notamment il ne peut déroger aux coutumes & usages de l’église gallicane, pour lesquels les plus grands papes ont toujours témoigné une attention particuliere.

Le pape peut accorder des dispenses d’âge pour certains bénéfices tels que les abbayes & les prieurés conventuels ; mais quand l’âge est fixé par la fondation, le pape ne peut y déroger, sur-tout si le bénéfice est de fondation laïque.

Il n’y a que le pape & ceux qui en ont reçu de lui le pouvoir par quelque indult, qui puissent conférer les bénefices en commende.

Le pape jouit encore en vertu de l’usage de plusieurs autres droits.

C’est à lui seul qu’il appartient de résoudre le mariage spirituel qu’un prélat a contracté avec son église ; de sorte que le siege épiscopal n’est censé vacant que du jour qu’on connoît que la démission, la résignation ou la permutation ont été admises en cour de Rome.

C’est aussi le pape qui accorde des dispenses pour contracter mariage dans les degrés prohibés.

Il dispense ceux dont la naissance est illégitime pour recevoir les ordres sacrés, & pour tenir les bénéfices-cures & les canonicats dans les églises cathédrales, mais cette légitimation n’a point d’effet pour le temporel.

Il se réserve l’absolution de quelques crimes les plus énormes ; mais il y a certaines bulles qui ne sont point reçues en France, telles que la bulle in cœnâ Domini, par laquelle les papes se sont réservé le pouvoir d’absoudre de l’hérésie publique.

En France le pape ne peut pas déroger en patronage laïc. Libertés de l’église gallicane, art. 30.

Cependant si le pape accordoit par privilege à un particulier le droit de patronage sur une église, cette concession seroit valable, pourvu que ce privilege eût une cause légitime, & qu’on y eût observé toutes les formalités requises pour l’aliénation des biens ecclésiastiques.

Lorsque le pape ne déroge pas au patronage laïc par sa provision dans les tems accordés au patron laïc, il n’est pas contraire aux maximes du royaume d’y avoir égard, lorsque le patron néglige d’user de son droit. Louet & Solier sur Pastor.

L’autorité du pape pour l’érection d’une fondation en titre de bénéfice n’est pas reçue en France ; l’évêque seul a ce pouvoir. A son refus, on se pourvoit au métropolitain.

Pour ce qui concerne la puissance temporelle du pape pendant plus de sept siecles, le pape n’étoit simplement que l’évêque de Rome, sans aucun droit de souveraineté : la translation du siege de l’empire à Constantinople put bien donner occasion au pape d’accroître son pouvoir dans Rome ; mais la véritable époque de la puissance temporelle des papes est