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par des ponts de bois. Il est rare que la riviere se ressente beaucoup des pluies de l’hiver ou de la secheresse de l’été. Ses eaux pures sont agréables à la vûe & excellentes à boire. Les habitans auroient de la peine à en avoir d’autres, étant situés dans une île. L’hiver y est assez doux… On y voit de bonnes vignes, & des figuiers même, depuis qu’on prend soin de les revétir de paille, & de tout ce qui peut garantir les arbres des injures de l’air. Pendant le séjour que j’y fis, un froid extraordinaire couvrit la riviere de glaçons… Je ne voulus point qu’on échauffât la chambre où je couchois, quoiqu’en ce pays-là on échauffe, par le moyen des fourneaux, la plûpart des appartemens, & que tout fût disposé dans le mien pour me procurer cette commodité… Le froid augmentoit tous les jours ; cependant ceux qui me servoient ne purent rien gagner sur moi… Je leur ordonnai seulement de porter dans ma chambre quelques charbons allumés. Le feu tout médiocre qu’il étoit fit exhaler des murailles une vapeur qui me donna à la tête, & m’endormit. Je pensai être étouffé. On m’emporta dehors, & les médecins m’ayant fait rendre le peu de nourriture que j’avois pris sur le soir, je me sentis soulagé. J’eus une nuit tranquille, & fus dès le lendemain en état d’agir » C’est ainsi que sa dureté pour lui-même pensa lui couter la vie.

Il est probable que ce fut du tems de Julien qu’on bâtit le palais des thermes ou des bains, dont on voit encore quelques vestiges à la Croix de fer, rue de la Harpe. Clovis après avoir tué Alaric, roi des Visigoths, y fit sa résidence en 508, selon l’abbé de Longuerue. Son palais étoit sur la montagne, aux environs du lieu où l’on a bâti depuis le college de Sorbonne. Saint Louis, dans ses lettres, témoigne que ce lieu étoit ante palatium thermarum, devant le palais des thermes, d’où l’on voit qu’il subsistoit dès ce tems-là, de maniere à mériter la dénomination de palais.

Raoul de Presles, après avoir parlé de ce palais des thermes, dit dans son vieux langage : « A donc, les gens commencerent à édifier maisons à l’environ de ce chastel, & à eulx logier, & commença celle partie lors premierement à estre habitée ; n’encores, ne despuis long-tems ne fut l’autre partie de Paris devers Saint-Denis, laquelle est à présent la plus grant habitée ; mais y avoit par-tout forests & grands bois, & y faisoit l’en moult d’omicides. Le marchié des bestes étoit par-deçà la rue aux Bourdonnois, ou lieu que l’en dit le siége aux Deschargeurs ; & encore l’appelle l’en la vieille place aux pourceaux ; & à la Croix du tirouoir se tiroient les bestes, & pour ce est appellé la Croix du tirouoir ». (Tirouoir, triouoir pour les bêtes que l’on y triooit.)

« Au carrefour Guillori estoit le pilori où l’on coupoit les oreilles, & pour ce à proprement parler il est appellé le carrefour Guiguoreille. Et la boucherie estoit là où elle est à présent, comme tout hors de la cité ; & c’estoit raison. Et emprez ou Perrin-Gasselin estoit une place où l’on gettoit les chiens. Et encores y a il une ruelle ainsi appellée.

» Despuis fut habitée & fermée Paris, jusques-au lieu que l’on dit à Barchet Saint-Merry, où il appert encore le côté d’une porte. Et là fut la maison Bernart des Fossez, où Guillaume d’Orange fut logié, quand il desconfit Ysore qui faisoit siége devant Paris. Cette porte alloit tout droit sans tourner à la riviere, ou lieu que l’en dist, les planches de Mibray. Et là avoit un pont de fust qui s’adressoit droit à Saint-Denis de la Chartre, & de-là tout droit parmi la cité, s’adressoit à l’autre pont que l’en dit Petit-pont.

» Et estoit ce lieu dit, à proprement parler, les

planches de Mibras, car c’estoit la moitié du bras de Seine, & qui auroit une corde, & la menait de la porte Saint-Martin à la riviere, & de la riviere à la juierie, droit au petit pont de pierre abattu, & & de-là à la porte Saint-Jacques, elle iroit droit comme une ligne, sans tourner ne çà ne là.

» Après l’en fist le cimetiere ou lieu où est l’église des Innocens, qui étoit lors tout hors & loing de la ville, si comme l’en le faisoit anciennement ; car l’en faisoit & les boucheries & les cimetieres tout hors des cités, pour les punaisiers & pour les corruptions eschiever.

» Près de ce cimetiere, l’en commença à faire le marchié, & l’appelloit l’en Champeaux, pource que c’estoit tout champs. Et encores a ce lieu retenu le nom & raison du marchié, premierement y commencierent les gens à faire loges petites & bordes, comme feirent les Bourgueignons quant ils vindrent premierement en Bourgogne. Et puis petit-à-petit y édifierent maisons, & y fist l’en halles, pour vendre toutes manieres de denrées.

» Et ainsi crut la ville jusques-à la porte S. Denis, & là fut fermée & fut abattue la vieille muraille, & à présent s’estent la ville jusques-à la bastille S. Denis. Qu’il soit, il appert ; car quand l’église S. Magloire, laquelle fut premierement en la citée, fut transportée au lieu où elle est de présent, elle fut édifiée aux champs ; & se trouve encores qu’en la date des lettres royaux qui furent faites pour-lors, avoit escript : donné en notte église de lez Champiaux près de Paris ».

Après cette exposition des accroissemens & de l’état de Paris, Raoul de Presles parle du château de Begaux à Saint-Mor-des-Fossez, détruit par Maximien, puis il passe à la description du gouvernement de la nation d’après Julius Celsus, & dit qu’elle étoit composée de druides, de chevaliers, & du peuple, duquel l’on ne faisoit point de compte, car ils étoient aussi comme serfs. « Et quant ils se veoient grevez & oppressez par aucun, ils se rendoient au plus fort ».

Raoul de Presles parle ensuite des temples des Parisiens. « A la montagne de Mercure (aujourd’hui Monmartre), fut envoyé, dit-il, par Domitien-Maxence, & mené monseigneur saint Denis & ses compaignons, pour sacrifier à Mercure, à son temple qui là estoit, & dont appert encores la vieille muraille. Et pour ce qu’il ne le voult faire, fut ramené lui & ses compaignons, jusques-au lieu où est sa chapelle, & là furent tous décolez. Et pour celle, ce mont qui paravant avoit nom le mont de Mercure, perdit son nom & fut appellé le mont des Martirs, & encores est.

» Ce monseigneur saint Denis fonda à Paris trois églises ; la premiere de la Trinité où est aouré saint Benoist à présent, & y mit moines ; la seconde saint Etienne des Gres, & y fit une petite chapelle où il chantoit ; la tierce Notre-Dame-des-Champs, en laquelle église il demeuroit, & y fut prius ; & ces choses nous avons dit pour montrer l’ancienne création de Paris ».

Au reste, on ne devineroit pas l’ouvrage où se trouve tout le récit de Raoul de Presles, dont on vient de lire l’extrait ; c’est dans le chapitre xxv. du livre V. de ses Commentaires sur la Cité de Dieu de saint Augustin. Cet écrivain naquit vers l’an 1315 ; il fleurissoit sous Charles V. qui eut pour lui une estime particuliere, & estima beaucoup son ouvrage de la Cité de Dieu, dont un des plus anciens exemplaires est celui qui est noté à la bibliotheque royale, n°. 5824, 6835 ; il a appartenu à Louis XII. & les miniatures en sont belles.

Revenons à l’état où étoit la cité de Paris avant le ravage des Normands en 886. On y entroit par deux ponts de bois du tems de l’empereur Julien,