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Henri IV. ses amours, ne font pas réflexion que toutes ses foiblesses furent celles du meilleur des hommes, & qu’aucune ne l’empêcha de bien gouverner.

On sait d’ailleurs que, dans plusieurs occasions, il eut la force de se démêler des pieges qu’on lui tendoit par de belles filles, dans le dessein de le surprendre. Catherine de Médicis lui demandant à la conférence de S. Brix ce qu’il vouloit. Il lui répondit en regardant les filles qu’elle avoit amenées : Il n’y a rien là que je veuille, madame ; lui faisant voir par ce discours qu’il ne se laisseroit plus piper à de semblables appas.

Les deux femmes qu’il épousa successivement lui causerent bien des chagrins domestiques. Sa seconde femme, Marie de Médicis, fut l’une des princesses contre lesquelles il avoit formé des objections, en examinant avec Rosni quelle femme lui conviendroit. J’ai à citer là-dessus un fort long passage ; néanmoins je suis assuré qu’il paroîtra court aux lecteurs curieux, parce qu’il est écrit d’une maniere amusante, & qu’il est rempli d’idées fort solides de ce prince sur le choix d’une femme. Voici donc ce qu’il dit à ce favori, Mém. de Sully, t. II. p. 112.

« De sorte qu’il semble qu’il ne reste plus pour l’accomplissement de ce dessein, sinon de voir s’il y aura moyen de me trouver une autre femme si bien conditionnée, que je ne me jette pas dans le plus grand des malheurs de cette vie, qui est, selon mon opinion, d’avoir une femme laide, mauvaise, & despite, au lieu de l’aise, repos & contentement que je me serois proposé de trouver en cette condition : que si l’on obtenoit les femmes par souhait, afin de ne me repentir point d’un si hasardeux marché, j’en aurois une, laquelle auroit entr’autres bonnes parties, sept conditions principales ; à savoir, beauté en la personne, pudicité en la vie, complaisance en l’humeur, habileté en l’esprit, fécondité en génération, éminence en extraction, & grands états en possession. Mais je crois, mon ami, que cette femme est morte, voire peut-être n’est pas encore née, ni prête à naître ; & partant voyons un peu ensemble, quelles filles ou femmes dont nous ayons oui parler seroient à desirer pour moi, soit dehors, soit dedans le royaume.

» Et pour ce que j’y ai déja, selon mon avis, plus pensé que vous, je vous dirai pour le dehors que l’infante d’Espagne, quelque vielle & laide qu’elle puisse être, je m’y accommoderois, pourvû qu’avec elle j’épousasse les Pays-Bas, quand ce devroit être à la charge de vous redonner le comté de Béthune.

» Je ne refuserois pas non plus la princesse Arabella d’Angleterre, si, comme l’on publie que l’état lui appartient, elle en avoit été seulement déclarée présomptive héritiere ; mais il ne me faut pas attendre à l’une ni à l’autre, car le roi d’Espagne & la reine d’Angleterre sont bien éloignés de ce dessein-là.

» L’on m’a aussi quelquefois parlé de certaines princesses d’Allemagne, desquelles je n’ai pas retenu le nom ; mais les femmes de cette région ne me reviennent nullement, & penserois, si j’en avois épousé une, devoir avoir toujours un lot de vin couché auprès de moi, outre que j’ai oui dire qu’il y eut un jour une reine de France de cette nation qui la pensa ruiner ; tellement que tout cela m’en dégoûte.

» L’on m’a parlé de quelqu’une des sœurs du prince Maurice ; mais outre qu’elles sont toutes huguenotes, & que cette alliance me pourroit mettre en soupçon à Rome & parmi les zélés catholiques, elles sont filles d’une nonain ; & quelqu’autre chose, que je vous dirai une autrefois, m’en aliene la volonté.

» Le duc de Florence a une niece qu’on dit être assez belle ; mais étant d’une des moindres maisons de la chrétienneté qui porte titre de prince, n’y ayant pas plus de 80 ans, que ses devanciers n’étoient qu’au rang des plus illustres bourgeois de leur ville, & de la même race de la reine-mere Catherine qui a tant fait de maux à la France & encore plus à moi en particulier, j’appréhende cette alliance, de crainte d’y rencontrer aussi mal pour moi, les miens & l’état.

» Voilà toutes les étrangeres dont j’estime avoir été parlé. Quant à celles de dedans le royaume, vous avez ma niece de Guise, qui seroit une de celles qui me plairoit le plus, nonobstant ce petit bruit que quelques malins esprits font courir, qu’elle aime bien autant les poulets en papier qu’en fricassée : car, pour mon humeur, outre que je crois cela très-faux, j’aimerois mieux une femme qui fît un peu l’amour qu’une qui eût mauvaise tête, de quoi elle n’est pas soupçonnée ; mais au contraire d’humeur fort douce, d’agréable & complaisante conversation, & pour le surplus de bonne maison, belle, de grande taille, & d’apparence d’avoir bientôt de beaux enfans, n’y appréhendant rien que la trop grande passion qu’elle témoigne pour sa maison, & sur-tout ses freres qui lui pourroient faire naître des desirs de les élever à mon préjudice, & plus encore de mes enfans, si jamais la régence de l’état lui tomboit entre les mains.

» Il y a aussi deux filles en la maison du Maine, dont l’aînée, quelque noire qu’elle soit, ne me deplairoit pas, étant sages & bien nourries, mais elles sont trop jeunettes. Deux en celle d’Aumale, & trois en celle de Longueville, qui ne sont pas à mépriser pour leurs personnes, mais d’autres raisons m’empêchent d’y penser. Voilà ce qu’il y a pour de princes.

» Vous avez après une fille en la maison de Luxembourg, une en la maison de Guimené, ma cousine Catherine de Rohan, mais celle-là est huguenote, & les autres ne me plaisent pas ; & puis la fille de ma cousine la princesse de Conty, de la maison de Lucé, qui est une très-belle fille & bien nourrie, seroit celle qui me plairoit le plus, si elle étoit plus âgée ; mais quand elles m’agréeroient toutes, pour si peu que j’y reconnois, qui est-ce qui m’assurera que j’y rencontrerai conjointement les trois principales conditions que j’y desire, & sans lesquelles je ne voudrois point de femme ? A savoir, qu’elles me feront des fils, qu’elles seront d’humeur douce & complaisante, & d’esprit habile pour me soulager aux affaires sédentaires & pour bien régir mon état & mes enfans, s’il venoit faute de moi avant qu’ils eussent âge, sens & jugement, pour essayer de m’imiter : comme apparemment cela est pour m’arriver, me mariant si avant en l’âge.

» Mais quoi donc, Sire, lui répondit Rosni, que vous plaît-il entendre par tant d’affirmatives & de négatives desquelles je ne saurois conclure autre chose sinon que vous desirez bien être marié, mais que vous ne trouvez point de femmes en terre qui vous soient propres ? Tellement qu’à ce compte il faudroit implorer l’aide du ciel, afin qu’il fît rajeunir la reine d’Angleterre, & ressusciter Marguerite de Flandres, mademoiselle de Bourgogne, Jeanne la Loca, Anne de Bretagne & Marie Stuart, toutes riches héritieres, afin de vous en mettre au choix ; car, selon l’humeur que vous avez témoignée, parlant de Clara Eugénie, vous seriez homme pour agréer quelques-unes de celles-là qui possédoient de grands états. Mais laissant toutes ces impossibilités & imaginations vaines à part, voyons un peu ce qu’il faut faire, &c. »