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renards. Les habitans vivent presque comme des bêtes, & ne reconnoissent ni lois, ni rois, ni chefs. (D. J.)

PAYSAGE, s. m. (Peinture.) c’est le genre de peinture qui représente les campagnes & les objets qui s’y rencontrent. Le paysage est dans la Peinture un sujet des plus riches, des plus agréables & des plus féconds. En effet, de toutes les productions de la nature & de l’art, il n’y en a aucune que le peintre paysagiste ne puisse faire entrer dans la composition de ses tableaux. Parmi les styles différens & presqu’infinis dont on peut traiter le paysage, il faut en distinguer deux principaux : savoir le style héroïque, & le style pastoral ou champêtre. On comprend sous le style héroïque, tout ce que l’art & la nature présente aux yeux de plus grand & de plus majestueux. On y admet des points de vûes merveilleux, des temples, des sépultures antiques, des maisons de plaisance d’une architecture superbe, &c. Dans le style champêtre au contraire, la nature est représentée toute simple, sans artifice, & avec cette négligence qui lui sied souvent mieux que tous les embellissemens de l’art. Là on voit des bergers avec leurs troupeaux, des solitaires ensevelis dans le sein des rochers, ou enfoncés dans l’épaisseur des forêts, des lointains, des prairies, &c. On unit fort heureusement le style héroïque avec le champêtre.

Le genre du paysage exige un coloris où il y ait de l’intelligence, & qui fasse beaucoup d’effet. On représente quelquefois dans des paysages des sites incultes & inhabités, pour avoir la liberté de peindre les bisarres effets de la nature livrée à elle-même, & les productions confuses & irrégulieres d’une terre inculte. Mais cette sorte d’imitation ne sauroit nous émouvoir que dans les momens de la mélancholie, où la chose imitée par le tableau peut sympathiser avec notre passion. Dans tout autre état le paysage le plus beau, fut-il du Titien & du Carrache, ne nous intéresse pas plus que le feroit la vûe d’un canton de pays affreux ou riant. Il n’est rien dans un pareil tableau qui nous entretienne, pour ainsi dire ; & comme il ne nous touche gueres, il ne nous attache pas beaucoup. Les peintres intelligens ont si bien senti cette vérité, que rarement ils ont fait des paysages deserts & sans figures. Ils les ont peuplés, ils ont introduit dans ces tableaux un sujet composé de plusieurs personnages, dont l’action fût capable de nous émouvoir, & par conséquent de nous attacher. C’est ainsi qu’en ont usé le Poussin, Rubens & d’autres grands maîtres, qui ne se sont pas contentés de mettre dans leurs paysages un homme qui passe son chemin, ou bien une femme qui porte des fruits au marché ; ils y placent ordinairement des figures qui pensent, afin de nous donner lieu de penser ; ils y mettent des hommes agités de passions, afin de reveiller les nôtres, & de nous attacher par cette agitation. En effet, on parle plus souvent des figures de ces tableaux, que de leurs terrasses & de leurs arbres. La fameuse Arcadie du Poussin ne seroit pas si vantée si elle étoit sans figures. Voyez sur ce paysage, l’article du Poussin, au mot Paysagiste. (Le Chevalier de Jaucourt.)

PAYSAGISTE, s. m. (Peinture.) peintre de paysage. Voyez Paysage.

Les écoles italiennes, flamandes, & hollandoises sont celles qui ont produit le plus grand nombre d’excellens artistes en ce genre de peinture.

Les sites de l’Albane sont agréables & piquans. Le Bassan se fit admirer par la vérité qui regnoit dans ses paysages ; il suivit toujours l’étude de la nature qu’il sut exprimer, après l’avoir connue dans les lieux champêtres qu’il habitoit. Peu de peintres ont mieux touché le feuillage que le Bolognese. Borzoni (François-Marie) né à Gènes en 1625, & mort dans

la même ville en 1679, a fait aussi connoître ses talens en ce genre par ses neuf grands paysages peints à huile, qu’on voit dans le vestibule du jardin de l’Infante.

Annibal Carrache ne se distingua pas seulement par un goût de dessein fier & correct, il sut aussi s’occuper du paysage, & y excella ; ses arbres sont d’une forme exquise, & d’une touche très-légere. Les tableaux du Giorgion sont d’un goût supérieur pour les couleurs & les oppositions. Le Guaspre a montré un art particulier à exprimer les vents, à donner de l’agitation aux feuilles des arbres, enfin à représenter des bourasques & des orages. Le Lorrain, à force d’études, devint un grand paysagiste dans l’expression des objets inanimés, mais manquant de talens pour peindre les figures, la plûpart de celles qu’on voit dans ses ouvrages, sont d’autres artistes. Le Mola a des sites du plus beau choix, & sa maniere de feuiller les arbres est charmante. Le Mutien prit beaucoup en ce genre de la maniere flamande, car les Italiens n’ont pas autant recherché l’art du feuiller que les Flamands ; il accompagna donc ses tiges d’arbre de tout ce qu’il croyoit les devoir rendre agréables, & y jetter de la variété ; mais les plus grands paysagistes qu’on connoisse sont sans doute le Titien & le Poussin.

La plume du Titien, aussi moëlleuse qu’elle est expressive, l’a servi heureusement lorsqu’il a dessiné des paysages. Indépendamment de sa belle façon de feuiller les arbres sans aucune maniere, & d’exprimer avec vérité les différentes natures de terrasses, de montagnes, & de fabriques singulieres, il a encore trouvé le secret de rendre ses paysages intéressans, par le choix des sites & la distribution des lumieres : tant de grandes parties ont fait regarder le Titien comme le plus grand dessinateur de paysages qui ait encore paru.

Le Poussin a su de plus agiter nos passions dans ses paysages comme dans ses tableaux d’histoire. Qui n’a point entendu parler, dit l’abbé Dubos, de cette fameuse contrée qu’on imagine avoir été durant un tems le séjour des habitans les plus heureux qu’aucune terre ait jamais portés. Hommes toujours occupés de leurs plaisirs, & qui ne connoissoient d’autres inquiétudes ni d’autres malheurs que ceux qu’essuient dans les romans, ces bergers chimériques dont on veut nous faire envier la condition.

Le tableau dont je parle représente le paysage d’une contrée riante ; au milieu l’on voit le monument d’une jeune fille morte à la fleur de son âge ; c’est ce qu’on connoit par la statue de cette fille couchée sur le tombeau, à la maniere des anciens ; l’inscription sépulchrale n’est que de quatre mots latins : je vivois cependant en Arcadie, & in Arcadiâ ego. Mais cette inscription si courte fait faire les plus sérieuses réflexions à deux jeunes garçons, & à deux jeunes filles parées de guirlandes de fleurs, & qui paroissent avoir rencontré ce monument si triste en des lieux, où l’on devine bien qu’ils ne cherchoient pas un objet affligeant. Un d’entr’eux fait remarquer aux autres cette inscription en la montrant du doigt, & l’on ne voit plus sur leurs visages, à-travers l’affliction qui s’en empare, que les restes d’une joie expirante. On s’imagine entendre les réflexions de ces jeunes personnes sur la mort qui n’épargne ni l’âge, ni la beauté, & contre laquelle les plus heureux climats n’ont point d’asyle. On s’imagine ce qu’elles vont se dire de touchant, lorsqu’elles seront revenues de leur premiere surprise, & l’on l’applique à soi-même, & à ceux à qui l’on s’intéresse.

La vûe du paysage qui représente le déluge, & qui orne le palais du Luxembourg, nous accable de l’évenement qui s’offre à nos yeux, & du boulversement de l’univers. Nous croyons voir le monde expirant, tant il est vrai que le Poussin a aussi-bien