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du crime : tout l’arbitraire cesse : la peine ne dépend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose ; & ce n’est point l’homme qui fait violence à l’homme. Il y a quatre sortes de crimes ; ceux de la premiere espece choquent la religion ; ceux de la seconde, les mœurs ; ceux de la troisieme, la tranquillité ; ceux de la quatrieme, la sureté des citoyens. Les peines que l’on inflige doivent dériver de la nature de chacune de ces especes. (Le Chevalier de Jaucourt)

Peines, éternité des, (Théol.) Tout homme qui ne consulte que la lumiere naturelle, & cette idée aussi vraie que brillante d’une bonté infinie qui constitue le principal caractere de la nature divine, ne peut adopter la croyance de l’éternité des peines. Deus Optimus, Maximus, étoient les titres de la nature divine dans le langage des payens : c’étoit leur style de formule, en parlant de Dieu, & ce style ne connoissoit point un Dieu très-sévere & implacable. Ce style renfermoit deux épithetes, celle de la bonté & celle de la grandeur souveraine ; car la grandeur suprème n’est autre chose qu’une magnanimité, munificence, effusion de biens. Cette idée naturelle du souverain Etre, trouve sa confirmation dans l’Evangile, qui ne cesse de relever la bonté de Dieu sur ses autres attributs. Faire du bien, user de miséricorde, c’est l’occupation favorite de Dieu : châtier, punir, user de rigueur, c’est son œuvre non accoutumée & mal-plaisante, dit l’Ecriture. Or cette peinture de la bonté de Dieu paroît incompatible avec les peines éternelles de l’enfer ; c’est pourquoi dès les premiers siecles de l’Église plusieurs savans hommes ont cru qu’il ne falloit pas prendre à la lettre les textes de l’Evangile, qui parlent de tourmens & de supplices sans bornes dans leur durée. Tel a été le sentiment d’Origène, de S. Jérôme, & d’autres peres cités dans les origeniana de M. Huet, l. II. quæst. 11.

Au commencement de la renaissance des Lettres dans l’Église, les Sociniens embrasserent la même opinion, comme la seule qui pût être compatible avec la souveraine bonté de Dieu, & la seule digne du Christianisme. C’est en vain qu’on a tâché de les rendre odieux par leur systême de la durée limitée des peines de l’enfer ; ce système s’est accrédité tous les jours davantage ; & compte aujourd’hui au nombre de ses défenseurs, les plus augustes prélats de l’église anglicane, la plûpart des Arminiens, & une foule incroyable de laïques dans toutes les communions du Christianisme. L’Angleterre nomme M. Newton à la tête de ces derniers.

Mais une autorité vénérable, est celle du docteur Tillotson, dans son sermon traduit en françois sur l’éternité des peines de l’enfer. M. le Clerc remarque cependant qu’il y a eu des gens de bien qui ont censuré l’illustre primat d’Angleterre, pour avoir publié une doctrine dont les méchans peuvent abuser. « Mais, répond ce fameux ministre, on reviendra de cette censure, si l’on considere qu’il se trouve plusieurs occasions où l’on est obligé de découvrir ce qu’il seroit bon d’ailleurs de tenir caché. Si personne n’élevoit des doutes sur l’éternité des peines, il ne seroit pas besoin de toucher cette question ; mais depuis que tous les incrédules prétendent démontrer que cette doctrine de l’Evangile n’est pas conforme à elle-même, parce qu’elle introduit Dieu tout juste & tout bon, punissant le péché avec une sévérité incompatible avec sa justice & sa bonté, on est obligé de justifier les perfections divines, & d’empêcher que les raisonnemens qui les détruisent ne s’accréditent encore plus, & ne jettent un plus grand nombre de particuliers dans la licence de l’incrédulité.

» Pour prévenir le mal qu’ils pourroient faire, & pour le couper par la racine, il est nécessaire d’a-

vouer que si quelqu’un ne peut se persuader que les peines éternelles soient justes, il vaut mieux qu’il prenne ce que l’Evangile en dit pour des menaces ou pour des peines comminatoires, que de rejetter l’Evangile. Il vaut mieux être à cet égard origéniste qu’incrédule, c’est-à-dire rejetter plutôt l’éternité des peines par respect pour la justice & pour la bonté de Dieu, & obéir d’ailleurs aux préceptes de Jesus-Christ, que de rejetter toute la révélation, en se persuadant qu’elle contient quelque chose de contraire à l’idée qu’elle nous donne elle-même de la divinité, & qui est conforme aux lumieres de la nature & de la raison ».

M. Camphuysen, ministre, natif de Gorcum, & fameux en Hollande par ses poésies pieuses, a témoigné dans un écrit public qu’il avoit été tenté de rejetter toute la religion chrétienne dans le tems qu’il avoit cru qu’elle admet des peines éternelles, & qu’il n’étoit revenu de ses doutes qu’en reconnoissant qu’on pouvoit entendre autrement les menaces de l’Evangile.

La crainte des peines éternelles qui porte aux bonnes œuvres, ne peut qu’être utile, dit M. Tillotson, & il n’est pas besoin de délivrer de cette crainte ceux sur qui elle produit cet effet ; mais quand il s’agit de gens que ces peines révoltent contre l’Evangile, il vaut mieux reconnoître avec eux des peines bornées, que de les éloigner de la religion chrétienne, ou de leur donner un si grand avantage pour la combattre. C’est pourquoi S. Jérôme gardoit un judicieux tempérament sur ce dogme. : comme nous croyons, dit ce pere de l’Église, qu’il y a des tourmens éternels pour les démons, & pour ceux qui contre leur conscience nient l’existence de Dieu, nous croyons aussi que la sentence du juge est modérée & mêlée de clémence envers les autres pécheurs & les impies : les tourmens qui les punissent sont réglés par les bienfaits de la miséricorde divine ; mais personne ne sait de quelle maniere & combien de tems Dieu doit punir. Disons donc seulement : Seigneur ne me reprens point en ta fureur, & ne me châtie point en ta colere.

Les théologiens qui sont dans l’opinion de Tillotson sur les bornes des peines, croient que Dieu a proposé ces menaces en termes illimités, non-seulement pour tenir les hommes dans la crainte, mais parce que les péchés étant d’une infinité de sortes, il n’y a point de terme limité pour tous en commun ; & c’est même une grande partie de la peine que de n’avoir aucune connoissance du tems auquel elle finira. L’Ecriture-sainte a nommé éternels des supplices dont la durée est illimitée à l’égard des créatures, & dont la fin n’est connue que de Dieu, ce qui est la signification propre du mot hébreu עילום, auquel répond le mot αἰὼν en grec, qui marque aussi un tems semblable. L’idée de ces supplices & de leur durée, quoique limitée, est assez effrayante pour faire trembler les plus endurcis, s’ils y font quelque attention. Quant aux incrédules, ils n’ont pas plus de peur des supplices éternels qu’ils ne croient pas, que de ceux dont on vient de parler.

L’archevêque Tillotson n’est pas le seul théologien d’Angleterre qui ait combattu nettement dans ses écrits l’éternité proprement dite des peines de l’enfer ; on peut lui joindre Thom. Burnet, de statu. mortuor. c. x. p. 290. Swinden, dans l’appendix de son traité de l’enfer ; l’auteur des remarques sur le lux orientalis ; Colliber, dans son essai sur la religion révélée ; Whitby, dans son appendix sur la seconde épître aux Thessalon. & l’illustre Samuel Clarke, dans ses sermons. Ce dernier théologien s’exprime ainsi sur ce sujet :

« A l’égard de l’éternité des peines de l’enfer, je l’admets autant qu’elle se trouve renfermée dans le