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vriers qui ne connoissoient que le pur méchanisme de leur profession, & ils ne se releverent que vers le milieu du xv. siecle. La Peinture & la Sculpture qui ne vont jamais l’une sans l’autre, reparurent alors en Italie dans leur premier lustre, & l’on recommença à y graver avec goût tant en creux qu’en relief. Le celebre Laurent de Médicis, surnommé le magnifique & le pere des lettres, fut le principal & le plus ardent promoteur de ce renouvellement de la gravure sur les pierres fines. Comme il avoit un amour singulier pour tout ce qui portoit le nom d’antique, outre les anciens manuscrits, les bronzes & les marbres, il avoit encore fait un précieux assemblage de pierres gravées qu’il avoit tirées de la Grece & de l’Asie, ou qu’il avoit recueillies dans son propre pays, la vûe de ces belles choses qu’il possédoit, autant pour en jouir que pour avoir le plaisir de les communiquer, anima quelques artistes qui se consacrerent à la Gravure ; lui-même, pour augmenter l’émulation, leur distribua des ouvrages. Le nom de ce grand protecteur des arts, j’ai presque dit ce grand homme, se lit sur plusieurs pierres qu’il fit graver ou qui lui ont appartenu.

Alors parut à Florence Jean, qu’on surnomma Delle-Corniuole, parce qu’il réussissoit à graver en creux sur des cornalines, & l’on vit à Milan Domique, appellé De’Camei, à cause qu’il fit de fort beaux camées. Ces habiles gens formerent des éleves, & eurent bien-tôt quantité d’imitateurs. Le Vasari en nomme plusieurs, entre lesquels je me contenterai de rappeller ceux qui ont mérité une plus grande réputation ; Jean Bernardi de Castal-Bolognese, Matthieu del Nasaro (ce dernier passa une grande partie de sa vie en France au service de François I.) ; Jean-Jacques Caraglio de Vérone, qui n’a pas moins réussi dans la gravure des estampes ; Valério Belli de Vicence, plus connu sous le nom de Valerio Vicentini ; Louis Anichini, & Alexandre Césari, surnommé le Grec. Les curieux conservent dans leurs cabinets des ouvrages de ces graveurs modernes, & ce n’est pas sans raison qu’ils en admirent la beauté du travail. Qu’on n’y cherche pas cependant ni cette premiere finesse de pensée, ni cette extrême précision de dessein qui constituent le caractere du bel antique ; tout ce qu’ils ont fait de plus beau, n’est que bien médiocre mis en parallele avec les excellentes productions de la Grece.

Ce n’est peut-être pas tant à l’incapacité qui jusqu’à présent a empêché les graveurs modernes d’approcher de ceux de l’antiquité, qu’à l’ingratitude de la profession, à laquelle il en faut attribuer la cause ; du-moins jamais nos artistes ne montrerent plus de talens ni plus d’ardeur. Lorsqu’ils ont eu à graver des pierres en relief, travail aussi long & presque aussi difficile que celui de la gravure en creux, ils ont fait de très-belles choses. Tels sont les portraits qu’ils ont exécutés dans ce genre ; il y en a tel qu’on pourroit ranger à la suite du bel antique. Telles sont quelques autres ouvrages soignés & exécutés dans ces derniers tems par l’habile Sirlet.

2°. De la matiere sur laquelle on grave. Les anciens graveurs qui en cela ont été suivis par tous les modernes, paroissent n’avoir excepté aucune des pierres fines, ni même des pierres précieuses pour graver dessus, hormis que ces pierres ne se soient trouvées si recommandables par elles-mêmes, que c’eût été un meurtre de les faire servir à la gravure. Encore aujourd’hui l’on a pour de telles pierres précieuses les mêmes égards. Du reste, on rencontre tous les jours des gravures sur des améthystes, des saphirs, des topases, des chrysolites, des péridots, des hyacintes & des grenats. On en voit sur des bérylles ou aigues-marines, des primes d’émeraudes & d’améthystes, des opales, des turquoises, des malachites,

des cornalines, des chalcédoines & des agates. Les jaspes rouges, jaunes, verds & de diverses autres couleurs, & en particulier les jaspes sanguins, le jade, des cailloux singuliers, des morceaux de lapis ou lyanée, & des tables de crystal de roche ont aussi servi de matiere pour la gravure, même d’assez belles émeraudes & des rubis y ont servi. Mais de toutes les pierres fines, celles qu’on a toujours employées plus volontiers par la gravure en creux, sont les agates & les cornalines ou sardoines, tandis que les différentes especes agates-onix semblent avoir été réservées pour les reliefs.

C’est à la variété des couleurs dont la nature a embelli les agates, que nous devons ces beaux camées, qu’un savant pinceau n’auroit pû peindre avec plus de justesse, & qui presque tous sont des productions de nos graveurs modernes.

Ne passons pas ici sous silence des gravures singulieres & qui peuvent marcher à la suite des pierres gravées. Ce sont des agates ou d’autres pierres fines sur lesquelles des têtes ou des figures en basse-taille & ciselées en or ont été rapportées & incrustées, de façon qu’à la différence près de la matiere elles font presque le même effet que les véritables camées. On en voit une à Florence, qui appartenoit à l’électrice palatine Anne-Marie-Louise de Médicis, en qui tout est fini. Cette belle gravure doit se trouver dans le cabinet du grand-duc : c’est peut-être un Apollon vainqueur du serpent Pithon ; il y en a une représentation dans le Musæum Florent. t. I. tab. 66. n°. 1. En 1749, un Italien a distribué à Paris plusieurs pierres semblablement incrustées ; & comme il en avoit nombre & qu’elles étoient trop bien conservées pour n’être pas suspectes, les connoisseurs sont persuadés que c’étoient des pieces modernes.

Le diamant, la seule pierre précieuse sur laquelle on n’avoit pas encore essayé de graver, l’a été dans ces derniers siecles. Il est vrai que M. André Cornaro, venitien, annonça en 1723 une tête de Néron gravée en creux sur un diamant, & pour relever le prix de cette gravure qu’il estimoit douze mille sequins, il assûroit qu’elle étoit antique. Mais on ne peut guere douter du contraire, & peut-être son diamant étoit un ouvrage de Constanzi qui a long-tems travaillé à Rome avec distinction. Lorsque Clément Birague, milanois, que Philippe II. avoit attiré en Espagne, & qui se trouvoit à Madrid en 1564, fit l’essai de graver sur le diamant, personne n’avoit encore tenté la même opération. Cet ingénieux artiste y grava pour l’infortuné dom Carlos le portrait de ce jeune prince, & sur son cachet qui étoit un autre diamant, il mit les armes de la monarchie espagnole. L’on a fait voir à Paris un diamant où étoient gravées ou plutôt égratignées les armes de France ; l’on dit qu’il y en a un semblable dans le trésor de la reine d’Hongrie à Vienne, & que le cachet du feu roi de Prusse étoit pareillement gravé sur un diamant. Au reste, ces gravures ne peuvent être ni bien profondes, ni fort arrêtées, ni faites sur des diamans parfaits. Ajoutez que souvent l’on montre des gravures qu’on dit être faites sur des diamans, & qui ne le sont réellement que sur des saphirs blancs.

3°. De la distinction des pierres antiques d’avec les modernes. Comme il regne beaucoup de ruse, de fraude & de stratagème pour tromper au sujet des pierres gravées, on demande s’il y a des moyens de distinguer l’antique du moderne, les originaux des copies ; quelques curieux se sont fait là-dessus des regles qui, toutes incertaines qu’elles sont, méritent cependant d’être rapportées.

Ils commencent par examiner l’espece de la pierre : si cette pierre est orientale, parfaite dans sa qualité, si c’est quelque pierre fine dont la carriere soit perdue, telles que sont, par exemple, les cornalines de