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établissent leurs ordres sur les caracteres des classes qui les précedent.

» Enfin la derniere classe, cryptogamie, se divise en autant d’ordres qu’il y a de familles qui la composent. » Flor. par. prod. pag. 48. & suiv. par M. Dalibard.

Plantes, nombre des (Botan.) il y a dans les lettres philosophiques de Rai, un morceau curieux sur le nombre des plantes, & comme ces lettres n’ont pas paru en francois, nous allons donner dans cet ouvrage un extrait des réflexions de ce savant botaniste, sur cette matiere.

S’il n’est pas absolument impossible, dit-il, de marquer précisément le nombre des plantes, il est du moins moralement impossible de le faire ; mais sans nous arrêter à proposer des conjectures sur le nombre des plantes, il est nécessaire d’examiner deux questions. 1o. Si la terre a produit de nouvelles especes de plantes, ou si elle en produit tous les ans, outre celles qui furent créées au commencement du monde. 2o. Si quelques especes de plantes ont péri, ou s’il y en a qui puissent périr : si l’on peut assurer l’une ou l’autre de ces deux choses, il seroit inutile de faire des recherches sur le nombre des plantes, puisque ce nombre seroit incertain, qu’il varieroit tous les ans, & que la différence en pourroit être fort grande ou fort petite, car les causes de cette destruction, ou de cette nouvelle production étant accidentelles, il n’y a aucune raison qui puisse nous faire croire que l’un balance l’autre exactement, ou dans une assez juste proportion.

Ceux qui soutiennent l’affirmative de la premiere question, alleguent en leur faveur l’expérience commune : chaque année, disent-ils, ne produit-elle pas de nouvelles especes de fleurs & de fruits, & par conséquent de nouvelles especes de plantes ; nos jardins ne sont-ils pas enrichis tous les ans de nouvelles especes de tulipes par exemple, & d’anémones, & nos vergers de nouvelles especes de pommes & de poires ? Nos jardiniers ne les vendent-ils pas sur le pié de nouvelles especes, & les herboristes ne les mettent-ils pas dans le même rang ? Les livres de botanique ne font-ils pas les œillets, par exemple, & les violettes à fleur double, des especes différentes de celles qui n’ont qu’une fleur simple ?

L’auteur répond que cela est vrai ; mais si l’on examine en quoi consistent ces différences, on aura lieu de douter que ces plantes soient des especes distinctes ; & l’on en conclura plutôt qu’elles ne le sont pas. La principale, pour ne pas dire la seule différence qui se trouve entre ces prétendues nouvelles especes, & les anciennes, consiste dans la couleur de la fleur, ou dans la multiplicité de ses feuilles ; or il est évident que ni l’une ni l’autre de ces deux choses ne suffit pour établir une différence spécifique, à moins que l’on n’admette qu’un européen & un éthiopien sont deux especes d’hommes, parce que l’un est blanc & l’autre noir, ou qu’un européen & un indien sont aussi deux différentes especes, parce que l’un a la barbe épaisse & l’autre n’en a point du tout, ou qu’il n’a que quelques poils au lieu de barbe. La diversité dont nous parlons, vient uniquement du climat, du terroir, ou des alimens, comme l’on voit dans les autres animaux.

Il y a deux manieres de produire ces différences dans les plantes. La premiere en mettant la semence d’une plante dont on souhaite avoir une nouvelle espece, dans un terroir fertile, ou différent de celui dans lequel cette plante croît. Si l’on met dans un bon terroir la semence de certaines fleurs simples, elle produira outre plusieurs racines qui ne porteront qu’une fleur simple, quelques autres racines qui porteront des fleurs doubles, & d’une couleur différente de leurs meres plantes. Les plantes qui se

diversifient aisément de cette façon, sont les anémones, les primeveres, les marguerites, les violettes, &c. c’est la maniere ordinaire d’avoir des fleurs doubles de toutes les sortes. La plûpart des fleurs rouges & pourprées, & quelques fleurs jaunes, en répandant leur graine dans un jardin, produisent quelques fleurs blanches & de différentes couleurs : & même dans les champs, à peine trouve-t-on une plante à fleur rouge, pourprée, ou bleue, qui ne varie en quelque lieu, & qui ne produise une fleur blanche ou de différentes couleurs. Les plantes à fleur jaune ne varient presque jamais dans les champs.

La seconde maniere de diversifier les plantes, est de les transporter souvent d’un lieu dans un autre. C’est ainsi que le chevalier Plot faisoit porter des fleurs doubles à des plantes qui n’ont que des fleurs simples : ce moyen paroît naturel, parce les plantes qui sont long-tems dans un même lieu dégénerent insensiblement, ne portent qu’une fleur simple après avoir porté des fleurs doubles, & perdent leurs couleurs rares, qui sont suivies de couleurs communes.

Quoi qu’il en soit, toutes les variétés des plantes ne prouvent point que ces plantes soient des especes distinctes ; & c’est ce qu’on peut confirmer par deux raisons. La premiere est que si ces plantes sont long-tems dans un même lieu sans être cultivées, elles dégénerent comme nous venons de le dire, elles perdent la beauté de leurs couleurs, & ne portent qu’une fleur simple au lieu d’une fleur double. La seconde raison est que la graine de ces plantes ne donne que des plantes qui n’ont qu’une fleur simple, & d’une couleur commune, si elle est semée dans le lieu & dans le terroir qui leur est naturel.

Pour ce qui est des arbres fruitiers, M. Ray observe que la principale différence qui se trouve entre les prétendues especes de ces arbres, consiste dans la figure & le goût du fruit, ce que l’on doit aussi attribuer à la différence du terroir, & aux différentes manieres d’enter. Le seul moyen, selon l’auteur, d’avoir de nouveaux fruits, est de semer dans un terroir des pepins de pommes & de poires, qui produiront des fruits sauvages d’une autre figure & d’un goût différent des premiers fruits ; mais on pourra leur donner un meilleur goût, & les perfectionner si l’on ente les arbres qui les produisent.

A l’égard des plantes dont les feuilles ont diverses couleurs, comme le houx, l’alaterne, le romarin, l’hysope, la menthe, le thim, elles sont encore moins de différentes especes que les fleurs & les fruits dont nous venons de parler ; leurs diverses couleurs ne sont que les symptômes d’une mauvaise constitution ; & quant à la différence de grosseur & de petitesse qui se rencontre entre plusieurs plantes de la même espece, l’on ne doit attribuer cette différence qu’a la fertilité ou à la stérilité du terroir, à l’humidité ou à la sécheresse de la saison, à la froideur ou à la chaleur du climat, à la culture plus ou moins savante, ou à quelqu’autre accident.

La seconde question est, si quelques especes de plantes ont péri, ou s’il y en a qui puissent périr. L’auteur répond, 1o. que quoiqu’il soit possible absolument & physiquement que certaines especes de plantes périssent, cela est pourtant fort improbable ; 2o. que si quelques especes de plantes périssoient, il seroit moralement impossible de s’en assurer.

Il est peu vraissemblable qu’aucune espece de plantes ait péri. M. Ray ne sauroit se persuader qu’il y ait dans le monde aucune espece locale de plantes, c’est-à-dire si particuliere à un lieu, qu’on ne sauroit la trouver ailleurs ; il n’a observé en aucun endroit de la Grande-Bretagne, aucune plante qu’il n’ait vûe dans les pays étrangers, ou du moins en divers lieux de la même latitude au-delà de la mer.