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avec son pere, avec sa femme ; on doit à ces êtres d’autres sentimens. Les sentimens vifs, qui marquent l’intimité, les liens du sang, laissent donc peu de circonstances à la politesse. C’est une qualité peu connue du sauvage. Elle n’a guere lieu au fond des forêts, entre des hommes & des femmes nuds, & tout entiers à la poursuite de leurs besoins ; & chez les peuples polices, elle n’est souvent que la démonstration extérieure d’une bienfaisance qui n’est pas dans le cœur.

POLITIO ou Pollizi, (Géog. mod.) petite ville de la Sicile, dans la vallée de Mazzara, sur les confins de celle de Demona, au pié du mont Madonia, à 15 lieues au sud-est de Palerme. Il y a un collége de jésuites, six couvens d’hommes & deux de filles. Long. 31. 44′. lat. 37. 50′. (D. J.)

POLITIQUE, (Philosophie.) La philosophie politique est celle qui enseigne aux hommes à se conduire avec prudence, soit à la tête d’un état, soit à la tête d’une famille. Cette importante partie de la Philosophie n’a point été négligée par les anciens, & sur-tout par l’école d’Aristote. Ce philosophe élevé à la cour de Philippe, & témoin de ces grands coups de politique qui ont rendu ce roi si célebre, ne manqua point une occasion si favorable de pénétrer les secrets de cette science si utile & si dangereuse ; mais il ne s’amusa point, à l’exemple de Platon son maître, à enfanter une république imaginaire, ni à faire des lois pour des hommes qui n’existent point : il se servit au contraire des lumieres qu’il puisa dans le commerce familier qu’il eut avec Alexandre-le-grand, avec Antipater, & avec Antiochus, pour prescrire des lois conformes à l’état des hommes, & à la nature de chaque gouvernement. Voyez sa morale & sa politique. Cependant quelque estimables que soient les préceptes qu’on trouve dans les écrits de ce philosophe, il faut avouer que la plupart seroient peu propres à gouverner les états qui partagent maintenant le monde. La face de la terre a éprouvé tant de révolutions, & les mœurs ont si fort changé, que ce qui étoit très-sage dans le tems où Aristote écrivoit, ne seroit rien moins que cela si on le mettoit maintenant en pratique. Et voilà sans doute la raison pourquoi de toutes les parties de la Philosophie la politique est celle qui a le plus éprouvé de changemens, & pourquoi, parmi le grand nombre d’auteurs qui ont traité de cette science, il n’y en a pas un seul qui n’ait proposé une maniere différente de gouverner. Nous ne parlerons ici que de ceux d’entre les modernes qui se sont rendus les plus célebres par leurs ouvrages sur la politique.

Jean Bodin né en Anjou, fut d’abord religieux de l’ordre des Carmes ; mais comme il avoit fait ses vœux dans sa premiere jeunesse, il en fut dispensé, & il s’adonna à l’étude avec beaucoup d’assiduité. Il avoit l’esprit si étendu, qu’après avoir acquis une connoissance extraordinaire des langues, il embrassa tous les arts & toutes les sciences. D’abord il s’attacha au barreau de Paris ; mai, ennuyé de cette guerre de paroles & d’écrits, il s’appliqua tout entier à la composition, & il fit son coup d’essai sur les cynégétiques d’Oppian qu’il traduisit en latin avec élégance, & qu’il explique par de savans commentaires. Le roi Henri III. s’entretint plusieurs fois avec lui, & ces entretiens lui firent beaucoup d’honneur ; car comme il avoit l’esprit présent, & que pour ainsi dire il avoit en argent comptant toutes les richesses de son esprit, il étaloit une incroyable abondance de choses curieuses, que son excellente mémoire lui fournissoit sur-le-champ. Depuis, la jalousie de quelques personnes lui ayant attiré la disgrace du roi, il se retira auprès du duc d’Alençon, à qui quelque tems après les Hollandois déférerent la souveraineté de leurs provinces, & il fut extrèmement considéré de ce prince,

à cause de sa rare érudition & de ses belles connoissances. Il accompagna ce duc dans son voyage d’Angleterre, & après sa mort il se retira à Laon, dont on lui donna la judicature ; & il y rendit la justice avec beaucoup d’intégrité jusqu’à l’année 1588. Enfin il y mourut de la peste âgé de plus de 70 ans. De Thou, lib. CXVII.

M. Diecman (Diecman, de naturalisno Bodini) découvrit dans le dernier siecle un manuscrit de Bodin intitulé, Colloquium heptaplomeres de abditis rerum sublimium arcanis. Chaque interlocuteur a sa tâche dans cet ouvrage ; les uns attaquent, les autres défendent. L’Eglise romaine est attaquée la premiere, les Luthériens viennent ensuite sur les rangs ; le troisieme choc tombe sur toutes les sectes en général ; le quatrieme sur les Naturalistes ; le cinquieme sur les Calvinistes ; le sixieme sur les Juifs ; & le dernier sur les sectateurs de Mahomet. L’auteur ménage de telle sorte ses combattans, que les chrétiens sont toujours battus : le triomphe est pour les autres, & sur-tout pour les Naturalistes & pour les Juifs. Bodin acheva ce mauvais ouvrage l’an 1588, âgé d’environ 63 ans, & mourut l’an 1596, sans qu’il ait paru renoncer aux sentimens qu’il avoit exposés dans son livre. On dit au contraire qu’il mourut juif.

Le plus considérable de ses ouvrages, & celui qui lui a fait le plus d’honneur, ce sont ses livres de la république, dont M. de Thou parle en ces termes : Opus magnum de republica Gallicè publicavit, in quo, ut omni scientiarum genere, non tincti, sed imbuti ingenii fidem fecit, sic nonnullis, qui rectè judicant, non omninò ab ostentationis innato genti vitio vacuum se probavit. Il soutint parfaitement dans sa conduite les maximes dont il avoit rempli son ouvrage ; car avant été député en 1576 par le tiers-état de Vermandois aux états de Blois, il y soutint fortement les droits du peuple. « Il y remontra, dit Mezerai, avec une liberté gauloise, que le fonds du domaine royal appartenoit aux provinces, & que le roi n’en étoit que le simple usager. Ce que le roi Henri III. ne trouva pas mauvais, disant que Bodin étoit homme de bien ».

Quelques auteurs ont disputé à Bodin la qualité d’écrivain exact & judicieux, mais du-moins ne lui a-t-on pu refuser un grand génie, un vaste savoir, une mémoire & une lecture prodigieuses. Montagne dit qu’il étoit accompagné de beaucoup plus de jugement que la tourbe des écrivailleurs de son siecle, & qu’il mérite qu’on le lise & qu’on le considere. Voyez Bayle, Dictionn. tom. II. p. 33, &c.

Balthasar Gracian, jésuite espagnol, mourut l’an 1658 à l’âge de 54 ans. Ses ouvrages sont l’homme de cour, le héros, le criticon & le discret. Le premier est une espece de rudiment de cour, dit M. Amelot de la Houssaie, qui l’a traduit, & de code politique, ou un recueil des meilleures & des plus délicates maximes de la vie civile & de la vie de cour. Dans le second, Gracian a entrepris de former le cœur d’un grand homme. Le troisieme n’est qu’une censure assez ingénieuse des vices ; & dans le dernier l’auteur a tâché de donner l’idée d’un homme parfait. Cet auteur a certainement de très-bonnes choses, mais ses ouvrages sont remplis d’idées peu naturelles, & d’expressions trop recherchées & trop guindées. L’homme de cour est son meilleur ouvrage. « On peut le regarder, dit Bayle, comme la quintessence de tout ce qu’un long usage du monde, & une réflexion continuelle sur l’esprit & le cœur humain, peuvent apprendre pour se conduire dans une grande fortune ; & il ne faut pas s’étonner si la savante comtesse d’Aranda, donna Louisa de Padilla, se formalisoit de ce que les belles pensées de Gracian devenoient communes par l’impression ; ensorte que le moindre bourgeois pouvoit avoir pour un écu des choses, qui à cause de leur