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la terre ; & c’est un indice assez certain qu’en creusant un peu avant dans un même lieu, on en trouvera infailliblement. Il se présente dans la mine par petites pieces, grosses à-peu-près comme le pouce, mais plates & non pas rondes. L’azur grossier est assez commun ; mais le fin est très-rare, & il n’est pas aisé de le discerner à l’œil : il faut en faire l’épreuve si l’on ne veut pas y être trompé.

Cette épreuve consiste à peindre une porcelaine & à la cuire. Si l’Europe fournissoit du beau lear ou de l’azur, & du beau tsiu, qui est une espece de violet, ce seroit pour King-te-tching une marchandise de prix, & d’un petit volume pour le transport ; & on rapporteroit en échange la plus belle porcelaine. On a dejà dit que le tsiu se vendoit un taël huit mas la livre, c’est-à-dire neuf livres : on vend deux taëls la boëte du beau lear, qui n’est que de dix onces, c’est-à-dire 20 sols l’once.

On a essayé de peindre en noir quelques vases de porcelaine, avec l’encre la plus fine de la Chine ; mais cette tentative n’a eu aucun succès. Quand la porcelaine a été cuite, elle s’est trouvée très-blanche. Comme les parties de ce noir n’ont pas assez de corps, elles s’étoient dissipées par l’action du feu ; ou plutôt elles n’avoient pas eu la force de pénétrer la couche de vernis, ni de produire une couleur différente du simple vernis.

Le rouge se fait avec de la couperose : peut-être les Chinois ont-ils en cela quelque chose de particulier, c’est pourquoi je vais rapporter leur méthode. On met une livre de couperose dans un creuset, qu’on lutte bien avec un second creuset ; au-dessus de celui-ci est une petite ouverture, qui se couvre de telle sorte qu’on puisse aisément la découvrir s’il en est besoin. On environne le tout de charbon à grand feu ; & pour avoir un plus fort reverbere, on fait un circuit de briques. Tandis que la fumée s’éleve fort noire, la matiere n’est pas encore en état ; mais elle l’est aussitôt qu’il sort une espece de petit nuage fin & delié. Alors on prend un peu de cette matiere, on la délaye avec de l’eau, & on en fait l’épreuve sur du sapin. S’il en sort un beau rouge, on retire le brasier qui environne & couvre en partie le creuset. Quand tout est refroidi, on trouve un petit pain de ce rouge qui s’est formé au bas du creuset. Le rouge le plus fin est attaché au creuset d’en-haut. Une livre de couperose donne quatre onces de rouge dont on peint la porcelaine.

Bien que la porcelaine soit blanche de sa nature, & que l’huile qu’on lui donne serve à augmenter sa blancheur, cependant il y a de certaines figures en faveur desquelles on applique un blanc particulier sur la porcelaine qui est peinte de différentes couleurs. Ce banc se fait d’une poudre de caillou transparent, qui se calcine au fourneau de même que l’azur. Sur demi-once de cette poudre on met une once de céruse pulvérisée : c’est aussi ce qui entre dans le mélange des couleurs. Par exemple, pour faire le verd, à une once de céruse & à une demi-once de poudre de caillou, on ajoute trois onces de ce qu’on appelle toug-hoa-pien. On croiroit sur les indices qu’on en a, que ce sont les scories les plus pures du cuivre qu’on a battu.

Le verd préparé devient la matrice du violet, qui se fait en y ajoutant une dose de blanc : on met plus de verd préparé, à-proportion qu’on veut le violet plus foncé. Le jaune se fait en prenant sept dragmes de blanc préparé, comme on l’a dit, auxquelles on ajoute trois dragmes de rouge couperosé.

Toutes ces couleurs appliquées sur la porcelaine déjà cuite après avoir été huilée, ne paroissent vertes, violetes, jaunes ou rouges, qu’après la seconde cuisson qu’on leur donne. Ces diverses couleurs s’appliquent avec la céruse, le salpêtre & la couperose.

Le rouge à l’huile se fait de la grenaille de cuivre rouge, & de la poudre d’une certaine pierre ou caillou qui tire un peu sur le rouge. Un médecin chrétien a dit que cette pierre étoit une espece d’alun qu’on employe dans la médecine. On broye le tout dans un mortier, en y mêlant de l’urine d’un jeune homme & de l’huile ; mais on n’a pu découvrir la quantité de ces ingrédiens, ceux qui ont le secret sont attentifs à ne le pas divulguer.

On applique cette mixtion sur la porcelaine lorsqu’elle n’est pas encore cuite, & on ne lui donne point d’autre vernis. Il faut seulement prendre garde que durant la cuite, la couleur rouge ne coule point au bas du vase. On assure que quand on veut donner ce rouge à la porcelaine, on ne se sert point de petun-tse pour la former, mais qu’en sa place on employe avec le kaolin de la terre jaune, préparée de la même maniere que le petun-tse. Il est vraissemblable qu’une pareille terre est plus propre à recevoir cette sorte de couleur.

Peut-être sera-t-on bien aise d’apprendre comment cette grenaille de cuivre se prépare. On sait qu’à la Chine il n’y a point d’argent monnoyé : on se sert d’argent en masse dans le commerce, & il s’y trouve beaucoup de pieces de bas-aloi. Il y a cependant des occasions où il faut les réduire en argent fin ; comme par exemple, quand il s’agit de payer la taille, ou de semblables contributions. Alors on a recours à des ouvriers dont l’unique métier est d’affiner l’argent dans des fourneaux faits à ce dessein, & d’en séparer le cuivre & le plomb. Ils forment la grenaille de ce cuivre, qui vraissemblablement conserve quelques parcelles imperceptibles d’argent ou de plomb.

Avant que le cuivre liquefié se congele, on prend un petit balai qu’on trempe légérement dans l’eau, puis en frapant sur le manche du balai, on asperge d’eau le cuivre fondu ; une pellicule se forme sur la superficie, qu’on leve avec de petites pincettes de fer, & on la plonge dans l’eau froide, où se forme la grenaille qui se multiplie autant qu’on réitere l’opération. Si l’on employoit de l’eau-forte pour dissoudre le cuivre, cette poudre de cuivre en seroit plus propre pour faire le rouge dont on parle ; mais les Chinois n’ont point le secret des eaux-fortes & régales : leurs inventions sont toutes d’une extrème simplicité.

L’autre espece de rouge soufflé se fait de la maniere suivante. On a du rouge tout préparé ; on prend un tuyau, dont une des ouvertures est couverte d’une gaze fort serrée : on applique doucement le bas du tuyau sur la couleur dont la gaze se charge ; après quoi on souffle dans le tuyau contre la porcelaine, qui se trouve ensuite toute semée de petits points rouges. Cette sorte de porcelaine est encore plus chere & plus rare que la précédente, parce que l’exécution en est plus difficile si l’on veut garder toutes les proportions réquises.

On souffle le bleu de même que le rouge contre la porcelaine, & il est beaucoup plus aisé d’y réussir. Les ouvriers conviennent que si l’on ne plaignoit pas la dépense, on pourroit de même souffler de l’or & de l’argent sur de la porcelaine dont le fond seroit noir ou bleu, c’est-à-dire y répandre par-tout également une espece de pluie d’or ou d’argent. Cette sorte de porcelaine, qui seroit d’un goût nouveau, ne laisseroit pas de plaire. On souffle aussi quelquefois les vernis : on a fait pour l’empereur des ouvrages si fins & si déliés, qu’on les mettoit sur du coton, parce qu’on ne pouvoit manier des pieces si délicates, sans s’exposer à les rompre ; & comme il n’étoit pas possible de les plonger dans les vernis, parce qu’il eût fallu les toucher de la main, on souffloit le vernis, & on couvroit entierement la porcelaine.

On a remarqué qu’en soufflant le bleu, les ouvriers