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tre & s’insinue dans tous les autres corps minces ; car il n’y a aucun éclat de quelque corps que ce soit, d’entre ceux que nous connoissons jusqu’à présent, qui n’ait paru transparent, en le considérant à l’aide d’un microscope. Nous sommes nous-mêmes transparens. Pour vous en convaincre, rendez une chambre entierement obscure, faites un petit trou, de la grandeur d’un pois, à la fenêtre, de maniere que le soleil puisse y entrer, tenez contre ce petit trou votre doigt qui paroîtra aussi transparent que de la corne, sur-tout à l’endroit où l’on voit les ongles : si cette recherche vous paroît trop gênante, joignez seulement les doigts de votre main les uns contre les autres, & regardez-les le soir à la lumiere de la chandelle, & vous les trouverez alors en quelque maniere transparens à chaque côté de leur jonction. La lumiere, qui pénetre à-travers ces corps est par conséquent une preuve qu’ils ont des pores. Le feu démontre aussi la même chose. En effet, y a-t-il aucun corps, soit solide ou liquide, qui ne devienne chaud par le moyen du feu ? Cet élément s’insinue donc dans les corps, & il y pénetre à-travers leurs pores.

3°. Le mercure pénetre dans l’or, dans l’argent, dans le cuivre rouge, dans le cuivre jaune, dans l’étain, & dans le plomb, de la même maniere que l’eau entre dans une éponge. On a aussi découvert que l’eau renfermée dans une boule d’argent, d’étain, ou de plomb, peut en entrant dans les pores la pénétrer, & traverser jusque sur la surface externe du métal, où elle se rassemble comme une rosée. L’eau pénetre à travers toutes les membranes du corps animal ; car si on les met tremper dans l’eau, lorsqu’elles sont seches & dures, elles y deviendront mollasses & humides. L’eau s’insinue dans les plantes, soit qu’elles soient vertes ou seches, & par conséquent dans toute sorte de bois ; car elle leur sert de nourriture, ou du moins elle la leur porte avec elle. L’eau entre dans le sable, dans plusieurs poudres, dans le sucre, & dans les sels : les huiles pénetrent dans le soufre.

Nous voyons donc par-là que les corps solides sont poreux ; mais en est-il de même à l’égard des liquides, peuvent-ils aussi se pénétrer mutuellement, de la même maniere que l’eau s’insinue dans le sable ?

M. de Reaumur (Hist. de l’acad. royale ann. 1733.) ayant versé dans un tuyau de verre deux parties d’eau, & par-dessus une partie d’eau-de-vie, remarqua d’abord jusqu’à quelle hauteur la surface supérieure de l’eau-de-vie montoit ; ensuite secouant le tout ensemble, jusqu’à ce que l’eau-de-vie fût bien mêlée avec l’eau, il trouva que ces deux liquides occupoient dans le tuyau moins de place qu’auparavant, & même que pour remplir le tuyau à la même hauteur il falloit y ajouter de nouveau une 120e partie d’eau-de-vie. On connoit encore d’autres liquides qui se pénetrent mutuellement. Versez dans un tuyau de verre de l’huile de vitriol jusqu’à la hauteur de trois pouces, versez ensuite par-dessus trois pouces d’eau, & il se fera alors une ébullition : bouchez le tuyau sur ces entrefaites, & dès que ces deux liquides ne seront plus en mouvement, on trouvera que ce tuyau n’est pas rempli jusqu’à la hauteur de six pouces : si l’on joint à dix parties d’huile de vitriol quarante parties d’eau, la diminution sera de deux parties.

La grandeur, la multitude, & les figures des pores des corps sont d’une grande diversité, & il est impossible d’en donner la description, comme il paroit clairement lorsqu’on considere & qu’on examine ces corps à l’aide du microscope. Celui qui n’a ni l’occasion, ni le loisir de faire lui-même cette recherche, peut consulter à ce sujet les excellens ouvrages de Malpighi & de Leeu wenohek.

Il est fâcheux qu’il ne se trouve aucun grand corps qui n’ait des pores, car s’il y en avoit de tels, nous pourrions savoir au juste combien il y a d’étendue poreuse dans chaque corps. Car supposons qu’un corps de la grandeur d’un pouce cubique soit de la pesanteur d’une livre, & que ce même corps n’ait absolument aucun pore : supposons ensuite qu’un autre corps de la même grandeur ne pese qu’une demi-livre, la moitié de ce dernier ne consistera donc qu’en pores, & l’autre moitié sera composée de matiere solide. De cette maniere nous pourrions toujours savoir au juste quelle est la quantité de matiere ou de pores qui se rencontre dans un corps ; mais on ne connoit encore jusqu’à présent aucun corps de cette nature, & nous ne pouvons par conséquent rien déterminer à cet égard.

L’or est fort pesant & en même tems poreux : supposons pour un moment que les pores fassent la moitié de son étendue, & que l’autre moitié soit composée de matiere solide : la pesanteur d’une certaine quantité d’eau qui a le même volume que l’or, est d’environ 19 moindre que celle de l’or ; il y aura donc dans l’étendue de l’or 19 fois plus de matiere que dans celle de l’eau, & ainsi ce qu’il y a de poreux dans l’eau, sera à l’égard de ce qu’il y a aussi de poreux dans l’or, comme 19 à 1 ; mais nous supposons que la moitié de l’or est poreux, par conséquent l’étendue poreuse, qui se trouve dans l’eau, sera par rapport à la matiere de ce liquide, comme 39 à 1. Le liége est 81 fois plus léger que l’or ; ainsi on peut conclure, que dans un morceau de liége de la grandeur d’un pouce cublique, l’étendue des pores est par rapport à la solidité, comme 163 à 1. Qui auroit jamais cru qu’il y eût si peu de matiere dans les corps ? & peut-être en ont-ils encore moins que ce que nous venons de marquer. En effet, combien l’eau, le verre, & les diamans doivent-ils être poreux, puisque de quelque maniere qu’on les tienne & qu’on les expose, la lumiere y entre & y pénetre de tous côtés si aisément.

Afin de donner une idée des corps & de leurs pores, supposons que plusieurs tamis, percés de grands trous, soient mis les uns sur les autres, il s’en formera de cette maniere une masse qui se trouvera de tous côtés percée d’outre en outre par de grands trous. De même que la poussiere passe par un crible, lorsqu’elle est plus petite que les trous qui s’y trouvent, de même aussi les parties les plus fines pourront passer à-travers la masse précédente, formée de plusieurs tamis posés les uns sur les autres. Tous les corps sont de pareilles masses faites en maniere de tamis ; ainsi nous pouvons par-là concevoir plusieurs effets & phénomenes, qui nous surprenoient autrefois. Si l’on enveloppe une piece d’argent bien nette dans beaucoup de papier & de linge, & qu’on la tienne suspendue au-dessus de l’esprit volatil fumant de soufre, elle deviendra dans peu toute noire ; l’esprit volatil de ce soufre traversant aisément les pores du papier & du linge, & pénétrant jusqu’à l’argent, sur lequel il produit cet effet. L’esprit de salpêtre, fait avec l’huile de vitriol, de la maniere que nous l’enseigne M. Geoffroi, de même que le sel volatil de l’urine, se font un passage à-travers les pores du verre & s’évaporent. Les parties odoriférantes qui s’exhalent du musc & de la civette s’échappent par les pores des boîtes de bois. Les esprits du vin & l’eau-de-vie s’évaporent à-travers les pores des tonneaux, & c’est par cette raison qu’on doit remplir toutes les semaines les tonneaux dans lesquels on a mis du vin du Rhin. Il arrive cependant que des matieres subtiles ne s’échappent pas à-travers de certains corps percés de larges trous, à cause d’une disposition particuliere qui se trouve dans ces mêmes corps : en voici un exemple. Les pores du liége sont