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des momens où ce naturel se développe davantage ; on doit les étudier.

L’air, le coloris, les ajustemens, l’attitude, sont des choses essentielles à la perfection d’un portrait. L’air est cet accord des parties dans le moment, qui marque la physionomie, l’esprit en quelque sorte, & le tempérament d’une personne. Le coloris ou le teint dans les portraits, est cet épanchement de la nature qui sert à faire connoître d’ordinaire le caractere propre d’une personne. La distinction des états & du rang se tire en grande partie des ajustemens, & l’on doit avoir soin que les draperies soient bien choisies & bien jettées. L’attitude est la posture & comme l’action de la figure. On sent bien que cette attitude ne doit pas seulement convenir à l’âge, au sexe, au tempérament, mais qu’elle doit être propre à chacun pour produire son exacte ressemblance.

Tous les portraits des peintres médiocres sont placés dans la même attitude ; ils ont tous le même air, parce que ces peintres n’ont pas les yeux assez bons pour discerner l’air naturel qui est différent dans chaque personne, & pour le donner à chaque personne dans son portrait. Mais le peintre habile sait donner à chacun l’air & l’attitude qui lui sont propres en vertu de sa conformation ; il a le talent de discerner le naturel qui est toujours varié. Ainsi la contenance & l’action des personnes qu’il peint sont toujours variées. L’expérience aide encore beaucoup à trouver la différence qui est réellement entre les objets, qui au premier coup d’œil nous paroissent les mêmes. Ceux qui voient des negres pour la premiere fois, croient que tous les visages des negres sont presque semblables ; mais à force de les voir, ils trouvent les visages des negres aussi différens entr’eux, que le sont les visages des hommes blancs.

Il est impossible de faire choix dans les objets animés, d’une attitude assez permanente, pour qu’elle soit absolument analogue à l’immobilité de la Peinture ; mais la raison veut au-moins qu’on choisisse celle qui en approche davantage, quelque éloignée qu’elle puisse être. Tout doit contribuer à la ressemblance d’un portrait ; or plus on choisit dans la nature de circonstances approchantes de celles où la Peinture est assujettie, plus on se trouve avoir rassemblé de circonstances illusoires qui contribueront à la ressemblance du portrait à son original, ou, si l’on peut le dire, de l’original à son portrait.

Une attitude forcée déplaît dans un portrait, dès qu’on le regarde beaucoup plus long-tems que cette attitude n’auroit pû durer dans la nature. Sa continuation détruit alors, sans qu’on y pense, l’illusion qu’on cherchoit à se faire ; elle révele trop grossierement & trop tôt l’imposture agréable de l’art, lors même qu’on tâchoit avec plaisir de s’y prêter. Il seroit aisé de donner plusieurs exemples de l’absurdité de l’introduction des attitudes instantanées dans le portrait.

Le sourire, par exemple, seroit désagréable dans la nature, s’il étoit perpétuel. Il dégénéreroit en idiotisme, en fadeur, en imbécillité. Le peintre qui le perpétue en l’introduisant dans un portrait, sous prétexte de peindre une grace, assujettit son ouvrage au même défaut. Dans tout portrait, on ne peut trop le dire, la ressemblance est la perfection essentielle. Tout ce qui peut contribuer à l’affoiblir, ou à la déguiser, est une absurdité ; c’est pour cela que tout ornement introduit dans un portrait aux dépens de l’effet de la tête, est une inconstance. C’est pour cela pareillement que tout attribut, qui, sous prétexte de faire tableau, égare nos idées & nous fait manquer la reconnoissance, est une erreur, une foiblesse, une défiance prématurée, de pouvoir remplir suffisamment la principale intention de l’ouvrage, la ressemblance ; & qui, en cherchant d’avance à en compenser le dé-

faut, le produit. En effet peut-on aisément reconnoître

le portrait de sa femme, ou de tout autre à qui on s’intéresse, dans l’image payenne d’une folle échappée de l’olympe, parcourant les airs sur une nue, ou d’une Minerve avec le casque d’un soldat, &c. Mais les personnes qui se font peindre aiment ces déguisemens ; elles se font masquer, & sont surprises de n’être pas reconnues.

Le genre de peinture le plus suivi & le plus recherché en Angleterre est celui du portrait. Dobson, Lely & Ramsay, s’y sont distingués. La maniere de colorer des peintres anglois, est ce que les Artistes appellent larges & simples. Ils colorent les portraits des femmes sur-tout avec un art singulier, & une pureté extrèmement agréable, mais ils négligent trop les détails. Leurs portraits du beau sexe se ressentent souvent des graces de l’original ; s’ils pouvoient y ajouter le caractere, ils peindroient une décence extrème dans les façons & dans la parure ; une modestie fine, séduisante, pleine d’esprit, & quelquefois un air d’innocence le plus capable d’enflammer Voyez Rouquet, état des arts en Angleterre. (D. J.)

Portrait en pié, (Peinture.) c’est un portrait en grand comme nature, & qui représente la personne toute entiere debout. Nous avons quelques portraits en pié de rois, de princes, de généraux ; mais il étoit réservé à la folie de Néron de se faire peindre en pié sur une toile de cent vingt piés de haut. C’est Pline qui nous l’apprend, l. XXXV. c. vij. voici ses termes : & nostræ ætatis insaniam ex picturâ non omittam ; Nero princeps jusserat colosseum se pingi cxx. pedum in linteo incognitum ad hoc tempus. Ce fait extrèmement singulier & unique dans l’Histoire, a fourni à M. de Caylus quelques réflexions que je trouve trop curieuses pour les passer sous silence.

Premierement, dit-il, ce fait nous indique les grands moyens d’exécution que les Artistes d’alors pouvoient avoir. Si ce colosse a été bien exécuté, & s’il a eu ce qu’on appelle de l’effet, comme on ne peut presque en douter, puisque Néron l’exposa à la vûe de tout le peuple, on doit regarder ce morceau non seulement comme un chef-d’œuvre de la Peinture, mais comme une chose que peu de nos modernes auroient été capables de penser & d’exécuter. Michel-Ange l’auroit osé, & le Corrège l’auroit peint ; car aucun de nos modernes n’a vû la Peinture en grand comme ce dernier. Les figures colossales de la coupole de Parme qu’il a hasardées le premier en sont une preuve : car il n’est pas douteux qu’un pareil ouvrage de Peinture ne soit plus difficile que toutes les choses de Sculpture ; chaque partie dans ce dernier genre conduit nécessairement aux proportions de celle qui l’approche. D’ailleurs la Sculpture porte ses ombres avec elle, & dans la Peinture il faut les donner, il faut les placer, &, pour ainsi dire, les créer successivement ; il faut enfin avoir une aussi grande machine tout à-la-fois dans la tête ; il est absolument nécessaire qu’elle n’en sorte point, non-seulement pour les proportions & le caractere, mais pour l’accord & l’effet. L’esprit a donc beaucoup plus à travailler pour un tableau d’une étendue si prodigieuse, que pour tous les colosses dépendans de la Sculpture.

Cette immense production de l’art fut exposée dans les jardins de Marius ; c’est une circonstance qui ne doit rien changer à nos idées : car elle ne prouve pas que ces espaces réservés dans Rome fussent plus étendus que nous ne le croyons ; le terrein étant aussi cher, & les maisons aussi proches les unes des autres, la distance nécessaire pour le point de vûe de ce tableau n’étoit pas fort grande. La regle la plus simple de ce point de vûe donne une distance égale à la hauteur ; ajoutons-y deux toises, pour faire encore mieux embrasser l’objet à l’œil, & nous n’aurons jamais que vingt-deux toises ; ce qui n’est pas fort considérable