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de voir des maladies qui se terminent par différentes excrétions. Plusieurs organes conspirent à l’effort critique ; mais chacun a son action particuliere, son méchanisme propre, son influence déterminée sur toute la machine, & singulierement sur le pouls, d’où résulte nécessairement une composition dans ses caracteres : composition que Solano n’a point apperçue, que M. Bordeu a bien sentie & développée, & qui cependant offre encore aux observateurs attentifs, un champ vaste & fécond en découvertes utiles. La matiere est difficile & d’une grande étendue : les maladies sur lesquelles on doit faire ces observations, sont les plus ordinaires, elles se présentent tous les jours au praticien.

Les combinaisons ou compositions des pouls qu’on observe le plus communément sont, 1°. des pouls supérieurs entr’eux ; 2°. de ceux-ci avec le pouls intestinal ; 3°. des différentes especes de pouls inférieurs ; 4°. du pouls pectoral avec celui de la sueur ; 5°. du pouls des différentes hémorrhagies. Cette combinaison peut avoir lieu de deux façons, ou lorsque les caracteres sont mêlés, ou lorsqu’ils se succedent. Je m’explique : il peut arriver, & il arrive en effet fréquemment, qu’en tâtant le pouls, on le trouve tout de suite composé de deux pouls, du pectoral & du nasal, par exemple. Alors on sent quelques pulsations qui ont de la souplesse, l’espece d’ondulation & le rebondissement doux du pectoral ; tandis que d’autres ont la roideur jointe à la réduplication qui caractérisent le pouls nasal. Dans l’autre cas, le pouls reste pendant un certain nombre d’heures, plus ou moins grand pectoral décidé, après quoi il devient nasal. On doit s’attendre alors à deux excrétions, l’une par le nez, & l’autre par la poitrine. Ces compositions doivent d’ailleurs être sujettes à beaucoup de variations, selon la disposition du sujet, la nature de la maladie, & la méthode du traitement.

Ces pouls composés manifestent en général la difficulté de la crise, l’affection de plusieurs organes, & l’indétermination de la nature ; ils sont l’effet & le signe des efforts redoublés qu’elle fait pour emporter les embarras de ces différentes parties : tantôt elle semble vouloir déterminer la crise par plusieurs organes en même tems ; tantôt elle en abandonne un pour s’attacher à un autre, qu’elle quitte ensuite pour revenir au premier qu’elle a entrepris de débarrasser. Toutes ces variations, cette incertitude de la nature qu’expriment foiblement la marche & la bisarrerie des symptomes dans ces maladies graves, sont peintes avec force sur le pouls ; l’observateur exercé distingue au bout des doigts ces mouvemens. Mais il est bien important de savoir quelle est la crise la plus prochaine & la plus décidée, pour ne pas se mettre dans le cas d’hasarder un prognostic nuisible à sa réputation ; ou ce qui est encore pis, un traitement funeste au malade. Pour éviter ces inconvéniens fâcheux, où tombent si souvent ceux qui ne suivent que les regles ordinaires & les méthodes de traitement les plus accréditées, on peut tirer de la nature & des variations du pouls composé les lumieres suffisantes : il est rare que plusieurs crises de différente espece, se fassent en même tems, pour l’ordinaire elles se succedent ; alors les caracteres du pouls propres à l’organe par où doit se faire cette premiere excrétion, prennent le dessus, deviennent dominans, plus marqués, plus forts, plus fréquens, lorsque différens caracteres sont mêlés ; ils sont plus constans, plus durables, paroissent pendant plus long-tems, lorsqu’ils se succedent. On peut sur ce principe établir assez sûrement son prognostic, & fixer son traitement. Il y a d’ailleurs des crises qui sont favorisées par les mêmes remedes, telles que l’expectoration & la sueur ; les différentes hémorragies, les excrétions supérieures, les évacuations du bas-ventre, &c. Dans

les autres cas où l’on risqueroit de se méprendre, il n’y a qu’à s’en tenir à une prudente inaction, ne donner aucun remede, ou ce qui est le même, n’en donner que d’indifférens.

Une autre espece de combinaison des pouls, assez ordinaire dans les maladies qui ont une mauvaise issue ; dans les nerveuses & les chroniques, est celle qu’on a plus particulierement appellée complication, qui résulte du mélange du pouls critique avec le pouls d’irritation ; de façon qu’on apperçoit en même tems des caracteres plus ou moins marqués de l’un & de l’autre : cette complication se présente de deux façons, ou les pulsations acritiques succedent aux pulsations critiques, ou les mêmes participent des unes & des autres. Par exemple, on sentira le pouls serré, convulsif pendant plusieurs pulsations, & il sera développé, excréteur même dans quelques autres ; d’autres fois l’état de convulsion sera très-sensible dans les pulsations qui se développent & qui annoncent quelque évacuation critique. L’observation d’accord avec le raisonnement, fait voir que cette espece de pouls est presque toujours fâcheuse & d’un mauvais augure, excepté cependant dans les maladies nerveuses, qui pour se dissiper n’ont besoin ni de crise, ni d’excrétion. L’événement des maladies dans lesquelles on observe le pouls compliqué, est très-douteux ; on peut juger s’il sera favorable ou fâcheux, suivant que le pouls critique ou non critique, prévalent plus ou moins l’un sur l’autre, lorsque le pouls d’irritation prend le dessus, on ne doit attendre aucune évacuation critique salutaire : s’il s’en fait quelqu’une, elle est ordinairement mauvaise, comme Galien l’a fort judicieusement remarqué, & la maladie se termine par la mort, ou par une convalescence longue, pénible & jamais complette, qui prépare ou des rechutes, ou une suite d’incommodités & d’affections chroniques.

Après ces regles générales dont on peut faire l’application à toutes les maladies, l’auteur donne des observations, des remarques spéciales sur quelques maladies particulieres, telles sont les fievres malignes, les maladies par cause externe, les blessures considérables, les amputations, les fleurs blanches, les pulmonies, les hydropisies, les maladies convulsives du bas-ventre, la colique des Peintres, les vers, le scorbut, le rhumatisme, la goutte, les fievres d’accès, l’agonie, la convalescence, & l’état de grossesse. Chacun de ces articles offre à l’auteur matiere à des réflexions, quelquefois neuves & toujours importantes. Il ne nous est pas possible de le suivre dans tous ces détails, nous renvoyons le lecteur aux recherches sur le pouls, nous étant moins proposé de donner un extrait de cet ouvrage, que de la doctrine qui y est contenue. Les principes généraux établis suffisent pour la faire connoître ; par la même raison nous passerons sous silence les différens moyens tirés de la connoissance du pouls, pour évaluer l’action des différens remedes, déterminer au juste leur vertu, & fixer leur usage & le tems de leur application. Il n’y a point de médecin éclairé qui ne sente la difficulté, l’étendue & les avantages de ce genre de recherches ; que d’erreurs à combattre, de préjugés à vaincre, de ténebres à dissiper ! On pourra juger par l’ouvrage de M. Bordeu, ce qu’on est en droit dans ce cas d’attendre du pouls, & quelle lumiere il répand sur des questions aussi obscures & intéressantes. Les remedes sur lesquels il a eu occasion de faire les observations particulieres dont il rend compte, sont les bains, le therme minéral, les lavemens, le mercure, les vésicatoires, l’émétique, les délayans, les purgatifs, la saignée & l’opium. Recherches sur le pouls, ch. xxxij. & xxxiv.

Il ne nous reste plus pour terminer ce qui regarde les différences & les présages, & pour rendre ce signe plus assuré & plus pratique, qu’à indiquer quelques