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tardeaux, fondemens de piles & culées, les échafaudages, les vaisseaux, navires, & toutes sortes de bateaux, grands & petits, les moulins à vent & à l’eau, les presses & pressoirs, & presque tous les ouvrages méchaniques, mais encore celui de conduire, transporter & élever toute sorte de fardeaux, pour lesquels la connoissance de la géométrie, & sur-tout des méchaniques, est absolument nécessaire. Ce mot vient du latin carpentarius ou carpentum, un char, à cause du rapport qu’il y a des ouvrages du charron avec ceux du charpentier.

Anciennement tous ceux qui travailloient le bois ne formoient qu’une seule & unique profession, & étoient appellés Charpentiers. Il y en avoit de deux sortes : les uns étoient appellés charpentiers de la grande coignée (nom d’un des principaux instrumens de cette profession), qui employoient les gros bois pour les gros ouvrages de charpenterie : les autres au contraire étoient appellés charpentiers de la petite coignée, qui employoient les menus bois à toute sorte de petits ouvrages. Vers la fin du quinzieme siecle, ceux-ci, à cause des menus bois qu’ils employoient, prirent le nom de menuisiers, c’est-à-dire ouvriers en menus ; de-là vinrent les différentes sortes de menuisiers, comme menuisiers d’assemblage, menuisiers de placage ou ébénistes, & plusieurs autres. Quelque tems après on divisa encore la charpenterie en deux especes : l’une le charronage, dont les ouvrages sont les charrettes, équipages, & toutes sortes de voitures ; & l’autre la charpenterie proprement dite, qui est celle dont nous allons traiter.

Origine de la Charpenterie. Il paroit assez vraissemblable que l’art de charpenterie est le premier & le plus ancien de tous. Le bois, dit Vitruve, ayant servi d’abord aux premieres habitations des hommes accoutumés alors à vivre comme les bêtes dans le fond des forêts, ils n’avoient comme elles qu’une nourriture sauvage. Il arriva un jour qu’un feu allumé tout-à-coup par le frottement violent de plusieurs arbres, causé par la force du vent, les rassembla tous en un même lieu, & donna matiere à une dissertation sur ce nouveau phénomene, dont ils tirerent par la suite de très-grands avantages : assemblés ainsi ils se parloient par signes, articuloient des mots dont ils convenoient de la signification & peu-à peu ils formerent société ; enfin pour être plus à la portée, ils se firent des demeures près les unes des autres & à l’abri des injures du tems. Leurs premieres idées furent de faire des toîts en croupe, espece de comble dont nous parlerons dans la suite, qui n’étoient que des pieux dressés debout, & appuyés l’un contre l’autre par leurs extrémités supérieures pour soutenir des branches d’arbre, des joncs, de la paille, ou des branches d’osier entrelacées, garnies de terre, & cela pour se garantir des ardeurs du soleil pendant le jour, du serain pendant la nuit, des rigueurs du froid pendant l’hiver, & des pluies & mauvais tems. Ce qui se présenta de plus favorable à cet usage fut le bois qui venoit de soi-même dans les forêts. Devenant peu-à-peu industrieux, ils s’en firent des cabanes, ensuite des maisons, & enfin des édifices plus importans, selon les matériaux des pays & la richesse des peuples. Ils sont parvenus à équarrir le bois au-lieu de l’employer brute ; les mortaises ont succédé aux trous, les tenons aux chevilles, enfin l’art de charpenterie s’est perfectionné à un tel point que nous verrons par la suite des chefs-d’œuvre de cet art.

La charpenterie se divise en quatre especes différentes, la premiere est la connoissance des bois propres à cet art, la seconde est la maniere de les équarrir, la troisieme en est l’assemblage, & la quatrieme est celui de les joindre ensemble pour en fabriquer route sorte d’ouvrages.

Des bois en général. De tous les bois que l’on employe dans la charpenterie, il en est qui ne peuvent se conserver à l’air, parce qu’ils se fendent, se déjettent[1], & se tourmentent, soit par les grandes chaleurs de l’été ou les grands froids de l’hiver, ce qui cause quelquefois des interruptions & des dommages dans les ouvrages qui en sont faits ; d’autres qui ne peuvent se conserver dans l’eau parce qu’ils se pourrissent ; d’autres encore qui ne peuvent se conserver exposés tantôt aux ardeurs du soleil & tantôt à l’humidité, raison pour laquelle il est absolument nécessaire à un charpentier d’en connoître la nature & la qualité, afin de pouvoir en faire un bon choix, & prevenir par-là une infinité d’inconvéniens. Pour parvenir à cette connoissance, il faut examiner la situation des forêts & comment les bois y sont venus, si le terrein est graveleux, sablonneux & pierreux, exposé aux rayons du soleil : que les arbres soient éloignés les uns des autres & à découvert, les bois en seront durs, francs, secs, nets, & très-bons pour la charpenterie ; mais les menuisiers, sculpteurs, & autres, ne pourront s’en servir à cause de leur dureté ; si au contraire le terrein est humide, que les arbres soient pressés & couverts, les bois en seront trop tendres pour la charpenterie, mais en récompense seront très-propres pour la menuiserie & la sculpture ; aussi l’expérience nous a-t-elle toujours montré que les bois exposés au nord & au levant sont préférables à ceux qui sont exposés au midi & au couchant, à cause des vents humides qui viennent de ces côtés-là.

Les bois dont on se sert dans la charpenterie nous viennent principalement des provinces de Lorraine, de Champagne, de Bourgogne, de Brie, de Picardie, de Normandie, & quelques autres, les uns par charrois, les autres par bateaux, & d’autres encore par flottes, selon la commodité des rivieres qui les amenent, quelquefois à fort peu de frais : ils arrivent ordinairement à Paris tout débités, de différens calibres, c’est-à-dire en pieces quarrées, en planches, en voliges, mairrains, lattes, échalas & autres ; le Bourbonnois & le Nivernois en fournissent aussi, mais non en grosses pieces, parce que les rivieres de ces endroits-là ne peuvent en permettre la navigation : la province d’Auvergne & ses environs fournissoient autrefois beaucoup de sapins pour la charpenterie, mais depuis que l’on n’en emploie plus, le commerce en est cessé.

Le chêne est de tous les bois celui qui est le plus en usage dans cet art : on employoit beaucoup autrefois le sapin & le châtaignier ; on se sert encore quelquefois, mais fort rarement, de bois d’orme, de frêne, de hêtre, de charme, de tilleul, de peuplier, de tremble, d’aune, de noyer, de poirier, de cormier, neffliers, sauvageons, alisiers, & autres. Tous ces bois se réduisent à trois especes différentes : la premiere sont les bois taillis ; la seconde, les bois baliveaux ; & la troisieme, les bois de futaie. Les bois taillis sont ceux qui ne passent point l’âge de quarante ans, & que l’on coupe pour mettre en vente. Les baliveaux sont ceux qu’on a laissés sur pié après la coupe, dont les principaux ou maîtres brins se nomment baliveaux sur souche : on appelle encore baliveaux sur taillis ceux qui ont depuis cinquante jusqu’à quatre-vingt ans. Les bois de futaie sont de trois sortes : la premiere, que l’on appelle jeune ou basse-futaie, dont les arbres sont de quarante à soixante ans ; la seconde, que l’on appelle moyenne ou demi-futaie, dont les arbres sont de soixante à cent vingt ans ; & la troisieme, que l’on appelle grande ou haute-futaie, dont les arbres sont de cent vingt ou deux cens ans ; après ce

  1. Un bois se dejette lorsque les surfaces, de droites qu’elles étoient, deviennent tortueuses, & cessent d’être planes.