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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/305

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242. a accordé à quelques prépositions la permission d’en régir d’autres en certaines occasions ; c’est-à-dire de les souffrir dans les complémens dont elles indiquent le rapport ; de façon qu’il se trouve alors un rapport particulier compris dans le général : celui-ci est énoncé par la préposition, qui est la premiere en place ; celui-là par la préposition qui ne marche qu’en second, & qui par conséquent se trouve conjointement avec son propre complément sous le régime de la premiere. Cette permission, ajoute-t-il, n’est accordée qu’à ces quatre, de, pour, excepté, hors. Leur droit ne s’étend pas même sur toutes les prépositions indifféremment, mais seulement sur quelques-unes d’elles… De peut régir ces six, entre, après, chez, avec, en & par… Pour ne sauroit avoir droit que sur ces cinq, après, dans, devant, à, & derriere… Excepté & hors admettent dans leur complément & sous leur régime dix-neuf des autres prépositions ; savoir, chez, dans, sous, sus, devant, derriere, parmi, vers, avant, après, entre, depuis, avec, par, devant, pendant, à, de, & en ».

Premierement, de, pour me servir des termes de l’auteur, & pour parler conformément à son hypothèse, que j’examinerai plus bas, de peut régir encore neuf autres prépositions ; savoir, derriere, dessous, dessus, devant, devers, delà, deçà, dedans, dehors ; comme on le voit dans ces phrases : il sortit de derriere l’autel, de dessous la table, de dessus la voûte ; disparoissez de devant moi ; il revient de devers les princes d’Allemagne, de delà les Alpes ; ils ont été repoussés de deçà le Rhin ; je viens de dehors la ville, de dedans le jardin.

En second lieu, pour a encore droit sur avant, chez, de, deçà, delà, dessous, dessus, & l’on dit très-communément : le sermon est pour avant vêpres ; ces meubles sont pour chez moi ; on en peut avoir pour de l’argent ; cette division est pour deçà la Meuse, & l’autre pour delà le Rhin ; cette poële est pour dessous la table ; ces fleurs sont pour dessus la fenêtre.

En troisieme lieu, excepté & hors admettent dans leur complément & sous leur régime bien d’autres prépositions que celles dont parle l’académicien. Ils se sont tous déclarés contre les philosophes excepté contre Platon ; les ministres sages s’intéressent pour les gens de lettres, excepté pour ceux qui deshonorent leur état par leurs écarts, &c.

En quatrieme lieu, il y a d’autres prépositions que les quatre citées par l’abbé Girard, auxquelles il est permis par l’usage d’avoir d’autres prépositions dans leur complément. Et d’abord il est évident que la préposition de se trouve très-fréquemment, non-seulement après à, comme l’a remarqué M. l’abbé Froment, supplement au ch. xj. de la II. part. de la Gram. gén. mais encore après un grand nombre d’autres. On dit, se livrer à des faux amis ; après de si bons avis ; avec de bon vin ; chez de bonnes gets, on ne tient pas contre de telles avances ; dans de l’eau ; derriere de la paille ; devant de bons juges ; jetter de la défiance entre des amis ; envers des étrangers ; malgré de si grands obstacles ; moyennant de l’argent ; prouver par des faits ; sans de bons appuis ; selon des témoignages respectables ; sous de belles apparences ; suivant des principes dangereux ; sur de bons garants ; touchant des affaires sérieuses ; vers des jardins spacieux, &c. D’ailleurs la préposition par est assez souvent suivie d’une autre, & l’on dit fort bien, j’ai passé par chez vous, par-dessus tout cela, par-dessous la jambe, par-dedans la ville, par-dehors l’enceinte. Ajoutez que l’on pouvoit remarquer jusqu’à trois prépositions consécutives & subordonnées les unes aux autres : par devers chez vous, par-dessus de bons titres, en deçà de la riviere : & ne pourroit-on pas en accumuler jusqu’à quatre, & dire dans quelques occurrences, pour en-deçà de la riviere ?

5°. J’ai prouvé dès le commencement que toute

préposition a nécessairement pour complément un nom, un pronom, ou un infinitif ; & que la préposition avec son complément, forme un complément total déterminatif d’un nom appellatif, d’un adjectif, d’un verbe ou d’un adverbe. C’est donc présenter à l’esprit des idées fausses, que de dire, comme M. l’abbé Girard « que l’usage a accordé à quelques prépositions la permission d’en régir d’autres en certaines occasions ». Dans les exemples allégués par cet académicien, & dans ceux que j’y ai ajoutés, il y a nécessairement ellipse entre les prépositions consécutives ; & si l’on veut rendre une raison analytique de la phrase, il faut suppléer entre deux le terme qui doit servir tout-à-la fois de complément à la premiere préposition, & d’antécédent à la seconde. Ainsi de par le roi, signifie par exemple, de l’ordre donné par le roi ; il sortit de derriere l’autel, c’est-à-dire de l’espace situé derriere l’autel ; ces fleurs sont pour dessus la fenêtre, c’est-à-dire pour être placées dessus la fenêtre, ou sur la fenêtre, &c.

S’il y a de suite plus de deux prépositions, il faut également suppléer les complémens intermédiaires : cette garde est pour en-deçà de la riviere, c’est-à-dire cette garde est destinée pour servir en un poste situé deçà le lit de la riviere.

On voit dans cette derniere phrase ramenée à la plénitude analytique, que l’adjectif destinée est le terme antécédent de pour ; que l’infinitif servir est le complément grammatical de pour & l’antécédent de en ; que un poste est le complément grammatical de en ; que l’adjectif situé est l’antécédent de deçà ; & que le lit, qui est le complément grammatical de deçà, est en même tems l’antécédent du de qui vient après. Reprenons le tout synthétiquement : la riviere est le complément total de la préposition de ; de la riviere est le complément déterminatif total du nom appellatif lit ; le lit de la riviere est le complément logique de deçà ; deçà le lit de la riviere est la totalité du complément déterminatif de l’adjectif situé ; situé deçà le lit de la riviere est le complément déterminatif logique du nom appellatif poste ; un poste situé deçà le lit de la riviere est le complément logique de la préposition en ; en un poste situé deçà le lit de la riviere est la totalité du complément déterminatif du verbe servir ; servir en un poste situé deçà le lit de la riviere est le complément logique de la préposition pour ; enfin, pour servir en un poste situé deçà le lit de la riviere, est la totalité du complément déterminatif de l’adjectif destinée.

Il y a particulierement ellipse dans les phrases où une préposition est suivie immédiatement d’un que : par exemple, après qu’il fut parti, depuis que le monde existe, attendu que vous le voulez, dès que le soleil paroit, moyennant que vous donniez caution, malgré qu’il en ait, nonobstant que je l’en eusse prié, outre que je l’ai lû, pendant qu’on y pense, sans qu’il s’y opposât, selon que vous voudrez, suivant que vous le souhaitez, vu qu’il n’est pas possible ; c’est-à-dire après le moment qu’il fut parti, depuis le tems que le monde existe, attendu la raison que vous le voulez, dès l’instant que le soleil paroît, moyennant la condition que vous donniez caution, malgré le dépit qu’il en ait, nonobstant ce que je l’en eusse prié, outre ce que je l’ai la, pendant le tems qu’on y pense, sans ce qu’il s’y opposât, selon ce que vous voudrez, suivant ce que vous le souhaitez, vû la raison qu’il n’est pas possible.

On ne tournera pas apparemment en objection contre cette doctrine des ellipses, la longueur, le ridicule, ou si l’on veut, l’espece de barbarisme qu’introduiroit dans la phrase la plénitude analytique. L’usage n’a autorisé ces ellipses que pour donner en effet plus de vivacité à l’élocution ; & il est constant qu’on ne peut les suppléer sans jetter dans la phrase une langueur d’autant plus insupportable, que l’on est accoutumé à l’énergique briéveté de la phrase